Mme Cissé Ramata Sissoko, malienne très influente aux Etats-Unis d’Amérique, précisément à Atlanta, et qui s’est toujours battue pour IBK accède à la magistrature suprême, est comme de nombreux maliens, très déçue des 5 ans de présidence du mandat. D’où sa décision de ne plus soutenir un homme qui n’a pas respecté ses engagements. Lettre ouverte à Ibrahim Boubacar Keita
Monsieur le Président et cher frère,
L’heure du bilan a sonné puisque votre premier mandat touche à sa fin. Tout comme vous rendez des comptes aux Maliens, je dois également des explications aux nombreux concitoyens de l’intérieur et de la diaspora qui m’ont soutenue et accompagnée pendant plus de 17 ans et particulièrement pendant la dernière campagne en 2012. Nous avons tous cru en votre leadership lorsque notre pays traversait la plus profonde crise de son histoire moderne. J’ai particulièrement cru en vous alors que vous-même doutiez que les Maliens pourraient vous accorder leurs suffrages.
Monsieur le Président et cher frère, je conviendrai naturellement avec vous que gouverner n’est pas facile surtout lorsqu’il s’agit d’un pays en crise. Loin d’exiger de vous des efforts surhumains, nous avions tout de même espéré une volonté manifeste – si minime soit-elle – de sortir ce pays de l’ornière. Force nous est de reconnaitre que le bilan aujourd’hui – même s’il n’est pas catastrophique – est très en deçà de nos attentes vu l’enthousiasme populaire et le capital de confiance dont vous aviez bénéficiés à l’entame de ce mandat. J’en veux pour preuves quelques points sur lesquels s’accordent tous les observateurs avertis de la vie politique de cette grande nation.
Monsieur le Président et cher frère, dès la proclamation des résultats des élections en 2013, je vous ai adressé une lettre de félicitations dans laquelle j’ai fait quelques propositions concernant la composition du futur gouvernement. Ensuite, juste après sa formation, je vous ai adressé une deuxième lettre dans laquelle je dénonçais très clairement la taille de l’équipe mais aussi sa composition dans laquelle les Maliens n’avaient en rien vu le signe d’un changement. Bien au contraire, Monsieur le Président et cher frère, nous avions eu l’impression que les fossoyeurs étaient revenus pour narguer le vaillant peuple du Mali. Le Mali méritait et mérite encore une meilleure équipe au regard de votre parcours politique, vous qui aviez assumé les plus hautes charges dans ce pays; vous qui aviez côtoyé toute la classe politique et tous les hauts fonctionnaires de l’Etat Malien.
Monsieur le Président et cher frère, vous avez, dans votre discours d’investiture de 2013, promis que personne ne détournera plus impunément le denier public, et vous aviez déclaré l’année suivante “année de lutte contre la corruption.” Une ironie du sort a voulu fort malheureusement que 2014 soit l’année de tous les détournements tant elle a été émaillée de scandales de corruption, de concussion et de népotisme. Le rapport du Vérificateur Général en fait foi. Pis, Monsieur le Président et cher frère, personne à ce jour n’a été réellement sanctionné ou poursuivi alors même que les crimes et délits étaient avérés. Monsieur le Président et cher frère, lorsque notre pays est suspendu par le FMI et que sa réputation est ternie, les coupables doivent répondre de leurs actes. C’est aussi ce que vous devriez faire, mais également ce que vous aviez promis en votre qualité de Premier Magistrat de l’Etat.
La liste des actes de mauvaise gouvernance est loin d’être exhaustive puisque je ne voudrais pas abuser de votre précieux temps. Il serait tout de même nécessaire de faire une rétrospective de notre parcours. Je me référerai tout d’abord à notre conversation téléphonique d’avant le coup d’état, pendant votre visite aux Etats Unis en 2011, visite au cours de laquelle j’avais promis de vous soutenir pour un mandat. J’espérais vous voir relancer le pays et éventuellement passer le relais à une autre équipe qui pourrait construire sur les fondements solides que vous auriez bâtis. Ma position n’a pas varié même si le fondement sur lequel je comptais n’a pas été établi. Malheureusement, le pays est aujourd’hui encore plus divisé et plus fragilisé.
Monsieur le Président, et cher frère, je me suis déplacée à mes propres frais en 2012 pour participer à la rencontre avec les Maliens de l’extérieur à votre domicile. Là-bas le débat était sur la stratégie de sortie de crise de notre pays en mettant fin à la corruption et à la mauvaise gouvernance. En 2013, pour le lancement de la campagne, je me suis déplacée avec toute ma famille d’Atlanta à New York, pour lancer et animer la campagne. Une année après votre arrivée au pouvoir, en 2014 je me suis entretenue avec vous lors de votre visite à Washington pendant laquelle je vous ai proposé de gérer le problème d’insalubrité au Mali surtout dans la capitale qui reste la vitrine de notre pays. Vous m’avez promis de participer physiquement aux activités de nettoyage et de décréter une journée nationale de salubrité. Aujourd’hui, Bamako est l’une des capitales les plus sales au monde.
Je vous ai ensuite adressé une lettre en 2015 dans laquelle j’ai proposé 10 points. Entre autres, j’ai évoqué le nombre élevé de ministres qu’il faut réduire à 18, réduire le train de vie de l’Etat, réduire les voyages à l’extérieur du pays, réduire le nombre de membres de vos délégations, planifier une série de voyage à l’intérieur du pays, augmenter le nombre de femmes dans votre gouvernement, exclure tous les cadres soupçonnés de détournement en appliquant toutes les recommandations du Vérificateur Général. Toutes ces suggestions se fondaient sur les promesses que vous aviez faites.
Monsieur le Président, et cher frère, aujourd’hui vous avez annoncé votre volonté de briguer un second mandat. En tant que citoyenne honnête, soucieuse de l’avenir de la nation, je ne me vois pas vous soutenir pour cette seconde aventure. J’ai aussi adressé un message à tous ceux qui ont cru en vous à travers ma modeste personne que je ne m’engagerai pas à battre campagne pour vous.
Je suis sûre que vous ne doutez point de l’estime, du respect et de la considération que j’ai pour vous en tant qu’aîné. Je ne voudrais pas m’engager sans conviction dans une lutte et surtout quand le leader ne m’inspire plus. Je regrette de finir ce voyage politique que nous avons entamé ensemble en 2001 mais j’ose croire qu’au-delà, notre amitié et notre fraternité demeureront.
Je reste cependant engagée pour la cause nationale en continuant à mettre à la disposition de mon pays toutes mes capacités intellectuelles, morales et physiques. Dans l’espoir que vous feriez bonne réception de cette lettre, je vous prie Mr. Le Président et cher frère, d’accepter l’expression de mes sentiments distingués.
Très respectueusement
Votre sœur militante Mme Cissé Ramata Sissoko
Atlanta, le 25 Juin 2018, Géorgie, USA
Source: L’Aube