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Message de l’au-delà : « Depuis mon départ, le paradis n’est toujours pas à portée de main »

À travers ce récit fictif, j’évoque la mort des citoyens maliens au cours des événements ayant conduit au renversement du régime Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). Le Mali peine à faire la lumière sur les circonstances ayant conduit à leur mort. Le changement peine à se réaliser. 

Je venais à peine de boucler mes vingt ans. Seul garçon de mes parents, mon mariage était prévu pour le mois d’août. Les préparatifs étaient en cours. Tout le quartier, les proches amis étaient convaincus qu’un mariage mondial se profilait à l’horizon.

« J’ai reçu des balles »

Personne ne s’attendait à apprendre de sitôt ce message effroyable annonçant mon départ brutal pour l’autre monde. Jusqu’à la vue de mon corps criblé de balles, mon père avait de la peine à croire à ma mort. Animé du désir aveugle d’un Mali nouveau, je m’étais caché pour prendre part à cette manifestation. J’avais été bien convaincu de toute la noblesse de cette lutte.

Mais j’ai été trompé. J’ai reçu des balles qui m’ont coupé le souffle, m’ont séparé de mes amis, de mes collègues, de mon travail. Bref, du « monde sensible ». Jusque-là, j’étais fier de cette mort que j’estimais digne parce que je pensais devenir un martyr de la République.

Depuis l’autre monde, je sautais de joie en voyant cette foule nombreuse portée mon corps, avec la même détermination, me qualifiant de martyr. J’étais galvanisé. Je n’avais aucun regret surtout qu’on m’avait convaincu également que mourir dans ce combat pour « le changement », c’est entrer au paradis.

De l’autre monde, j’assistais aux différentes mobilisations avec joie et satisfaction, parce que je pensais n’être pas mort gratuitement. J’avais cru que ma dernière volonté : « N’abandonnez jamais cette lutte pour le changement », avait été entendu.

« J’ai fait souffrir inutilement mes proches »

Aujourd’hui, vous ne pouvez pas imaginer ma peine. J’ai fait souffrir inutilement mes proches, mon âme, ma fiancée qu’on qualifie aujourd’hui de fille maudite. S’il y a aujourd’hui un sentiment qui m’anime, c’est bien la transformation de ce pays en république de zombies. Cet esprit de vengeance m’anime parce que je me rends compte que vous m’avez sacrifié pour votre soif du pouvoir.

Vous, auprès desquels je me suis battu, vous qui m’avez galvanisé avec vos langues mielleuses, vous auprès desquels je suis tombé après avoir reçu cette balle, vous m’avez trompé. Vous m’avez donné de fausses promesses.

Depuis l’autre monde, auprès de mon grand-père railleur qui ne cesse de se moquer de moi en me qualifiant de martyr sacrifié à l’autel d’intérêts sordides de quelques assoiffés du pouvoir, je suis triste de vous voir à table et incapable de réaliser ce désir du changement qui nous avait réunis. Ceux d’entre nous qui n’ont pas encore rejoint cette table déploient toujours tous les moyens pour y être invités. Votre force, qui a été la nôtre, l’union, a été brisée. À quand justice pour moi ? Je suis triste de constater que vous m’avez oublié.

« Je regrette fort de m’être engagé dans ce combat »

J’écris cette lettre pour éviter que d’autres de mes frères me rejoignent ici dans les mêmes circonstances. Je l’écris pour éviter que d’autres tombent dans mon regret. Le changement tant souhaité n’a jusqu’ici été qu’un remplacement d’hommes. Malgré tout, vous qui êtes mes compagnons de lutte, vous contribuez à cette entreprise de duperie.

Je regrette fort de m’être engagé dans ce combat jusqu’à la mort. Je ne sais plus comment convaincre les enfants à qui je devais donner naissance. Pourtant, ils ne cessent de me demander des comptes. Au moment où j’écris ces lignes, je les sens en moi m’accusant de les avoir empêchés de goûter à cette vie. Comment pourrais-je les convaincre, puisque je ne suis plus sûr de mériter mon statut de martyr ?

Si j’étais encore en vie, j’allais mille fois réfléchir désormais avant de contribuer à des combats de positionnement politique. Mes chers amis, frères, parents, depuis mon départ, je suis dans l’entre-deux-mondes, en attendant que l’on décide de mon avenir. Je ne supporte plus de voir mon âme errer entre les deux mondes. Depuis mon départ, le paradis n’est toujours pas à portée de main.

Fousseni Togola

Source: Phileingora

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