À Tombouctou, les patrimoines culturels risquent d’être rayés de la liste des patrimoines de l’UNESCO. Plusieurs voix citoyennes se sont levées pour condamner les dangers qui pèsent sur ces patrimoines dans la ville des 333 saints. Mais aucune réaction des autorités locales ainsi que de l’État.
La Mosquée Djingareyber, la Mosquée Sidi Yahya Touré, la Médina, sont entre autres des patrimoines culturels de Tombouctou, 6e région du Mali, en danger à cause des occupations anarchiques.
En date du 26 janvier 2017, la Mission culturelle de Tombouctou a adressé une lettre au maire de la commune urbaine de Tombouctou pour lui faire état d’une menace qui pèse sur la Médina à cause de la construction d’une boulangerie en tôle dans le quartier de Badjindé. Un édifice qui appartiendrait à la société GDF. Mais aucune réaction n’a été reçue de la part du maire. Pourtant dans la même correspondance, dont nous avons reçu une copie, il est indiqué : « Outre que cette maison (la boulangerie) en tôle est d’une laideur qui affecte gravement l’ensemble architectural dans lequel il est situé, elle déborde largement sur le périmètre de protection de la Médina, classée patrimoine national par décret N°92-245 du 18 décembre 1992, et que le ministère de la Culture et l’UNESCO envisagent d’inscrire sur la liste du patrimoine mondial ».
Cet avertissement n’a pu inquiéter le maire d’un iota. Sans se lasser et soucieuse de la préservation des patrimoines culturels de cette ville sainte, la Mission culturelle de Tombouctou, dans sa démarche, a alors saisi, le 17 mai 2018, le Directeur régional de l’Urbanisme et de la Construction de Tombouctou. Dans cette lettre, la nature des menaces est précisée : « Les installations à usage généralement commercial constituent non seulement une entorse au paysage architectural de la ville, mais représentent un réel problème de sécurité […] »
Toutes ces craintes exprimées et ces appels à l’action n’ont pratiquement servi à rien. Les autorités ne posent pas d’acte pour sauvegarder ces joyaux culturels.
La menace sur ces patrimoines est réelle dans cette ville. Leur visibilité est masquée par des installations à usage commercial. Selon Youssouph Ag Ibrahim, habitant de Tombouctou, la plupart des patrimoines de cette ville sont transformés en grins, en centres commerciaux, etc.
Sur les réseaux sociaux, des Tomboucticiens ne se lassent pas en campagnes, avec le hashtag #LiberezLePatrimoine, pour dénoncer ces occupations anarchiques des joyaux culturels de la ville des 333 saints du Mali.
Les autorités, notamment le maire, sont pourtant tenues pour responsables de ces menaces. La Mairie est accusée d’être celle qui donne les autorisations pour occuper les alentours de ces patrimoines.
Aboubakrine Allaye Cissé, Maire de la Commune urbaine de Tombouctou, nie toute inaction de la part des autorités locales. À ses dires, des correspondances ont été adressées aux auteurs de ces occupations pour leur demander de libérer les lieux. Il s’agit d’« occupation anarchique », reconnait-il avant de préciser que le dernier délai donné à ces occupants pour libérer ces lieux était le 31 décembre 2019. « Tout ce qui reste à faire maintenant est d’amener les services de l’ordre pour faire déguerpir les gens », estime le maire de Tombouctou. Cependant, vu la situation sécuritaire dans la zone, des craintes existent pour la prise d’une telle décision. À ses dires, le Gouvernorat, la Préfecture, le Conseil communal ainsi que la Mission culturelle, ont tous agi pour la sauvegarde des patrimoines de Tombouctou. Malgré des sensibilisations, « les gens restent sourds ». Mais, pour le maire, la Mairie n’a pas encore baissé les bras. Ces lieux seront libérés.
Toutefois, la Mission culturelle de Tombouctou a saisi le Directeur régional de l’Urbanisme de ladite ville, le 18 août 2019, à travers une lettre. Dans cette correspondance, elle rappelle le constat ressorti de la 43e session du 30 juin au 10 juillet 2019 de l’UNESCO à Azerbaïdjan sur l’inscription du « bien culturel de Tombouctou » sur la liste des sites en péril. Suite à cela, « […] Le comité du patrimoine mondial a formulé des recommandations et demandé l’application de mesures correctives qui, si elles ne sont pas mises en œuvre, pourraient conduire au retrait pur et simple de Tombouctou du patrimoine mondial, ce qui serait un désastre pour l’image de notre pays », lit-on dans la lettre de la Mission culturelle au Directeur régional.
Contacté par téléphone, le Directeur de la Mission culturelle de Tombouctou, El Boukhari Ben Essayouti est revenu sur les différentes interpellations faites par son organisation avant de confirmer que les autorités censées protéger ces lieux sont celles qui les exposent. D’après lui, une dizaine de correspondances a été adressée au maire de la commune de Tombouctou afin que les abords des cimetières et des mausolées soient libérés, mais en vain. Ces occupations anarchiques ont rendu la ville « méconnaissable », déplore-t-il.
Sur son compte Facebook, ce vieil écrivain, Sane Chirfi Alpha, originaire de Tombouctou, exprime ainsi son cri de cœur, en véritable poète : « Sacré Tombouctou ! Le patrimoine est assassiné, ce n’est l’affaire de personne,
La ville est bradée, ce n’est l’affaire de personne,
Les ordures, déchets plastiques et autres eaux usées étouffent, ce n’est l’affaire de personne,
Les mosquées sont désacralisées, ce n’est l’affaire de personne,
Les cimetières deviennent des centres commerciaux et de formation,
Ce n’est l’affaire de personne.
Ici tout ce qui intéresse les gens, c’est ce qui ne les regarde pas. »
Selon cet écrivain, tout le monde a sa part de responsabilité dans les menaces qui pèsent sur ces patrimoines :« Le bien culturel Tombouctou est en passe de mourir, mais ce n’est ni l’affaire des populations, ni l’affaire des conseillers municipaux, ni l’affaire du maire et de ses adjoints, disons des Maires (parce que, dit-ont, à Tombouctou les adjoints au Maire sont autant maires que lui), ni l’affaire des ressortissants de Tombouctou ailleurs, ni l’affaire du préfet, ni l’affaire du Gouverneur, ni l’affaire du Président de l’autorité intérimaire au niveau cercle ou région, ni l’affaire des imams et autres leaders spirituels, ni l’affaire des légitimités traditionnelles, ni l’affaire des jeunes, ni l’affaire des femmes, ni l’affaire du ministre de la Culture, ni l’affaire du Président de la République, champion des arts, de la culture et du patrimoine, ni l’affaire de l’UNESCO. »
En tout cas, à cause de ces menaces sur les joyaux culturels de Tombouctou, il n’est plus possible « maintenant d’inscrire ces patrimoines » sur la liste des patrimoines mondiaux de l’UNESCO, déplore le Directeur de la Mission culturelle de Tombouctou.
F. TOGOLA
Source : LE PAYS