Il a fallu que les partis politiques soient menacés dans leur fondement pour que leurs leaders taisent leurs divergences d’opinion, la guerre de positionnement pour s’unir ou périr. Pour une des rares fois ils ont mis sous les boisseaux les calculs politiciens et autres ambitions démesurées pour tenter de sauver les meubles.
Toutes les sensibilités politiques, toutes les obédiences idéologiques, parfois antagoniques se sont tus pour ne laisser place qu’à une union sacrée autour de l’essentiel. En groupes ou individuellement les partis sont arrivés à la conclusion qu’ils doivent taire leurs querelles byzantines pour n’être qu’un seul parti et défendre une même et seule cause, celle de leur existence. Menacés de dissolution ou de suspension, les partis politiques à l’unisson se sont dits farouchement opposés à ce projet anticonstitutionnel et semant les germes d’une crise sociopolitique aux conséquences incommensurables. Les autorités vont-elles faire marche arrière pour éviter d’ouvrir un autre front sociopolitique ? Jusqu’où pourraient aller les leaders des partis politiques dans leur combat pour la démocratie et la République ?
Faudrait-il rappeler que de l’avènement du régime militaire transitoire au pouvoir en 2020 à nos jours les partis politiques n’ont jamais parlé d’une seule voix même quand leurs intérêts étaient menacés. Chacun cherchant à défendre sa petite chapelle, n’hésitant pas à vilipender l’autre pour se renforcer et tirer son petit épingle du jeu. In fine le camp d’en face s’est renforcé et a absorbé les partis politiques avec la complicité active de certains leaders politiques. Le M5 RFP est passé par là, ce Mouvement insurrectionnel qui a affaibli le régime IBK avant que les militaires regroupés au sein du CNSP ne « parachèvent » le fastidieux travail mené par le M5 RFP. Ce Mouvement qui a pourtant fait rêver les maliens n’a pas survécu aux prétentions des uns et aux ambitions démesurées des autres. Il va éclater en mille morceaux et chacun voyant midi à sa porte s’est battu pour avoir des strapontins. Si certains ont tiré le marron du feu avec des postes au CNT et au gouvernement, la grande majorité s’est sentie trahie et elle a décidé d’aller en belligérance contre les autres camarades de lutte qui ont eu des promotions. Ils se sont livrés en spectacle digne de l’opéra de Paris. C’est dans cette tragi-comédie que les militaires se sont renforcés en enfonçant le clou par une campagne de propagande et de dénigrement à l’encontre des partis politiques. Ils leur font porter le chapeau de tous les maux dont souffre le pays. Malgré une gestion beaucoup plus chaotique que celle des partis politiques, l’opinion a continué à porter à tour de bras les militaires en les dédouanant mêmes des fautes qu’ils ont commises. En effet, malgré qu’ils multiplient les erreurs et prennent des décisions impopulaires beaucoup de citoyens leur font encore confiance, même si de nos jours leur côte de popularité a chuté de façon vertigineuse. L’une de ces décisions les plus impopulaires est sans nul doute celle relative au prélèvement des taxes sur les crédits téléphoniques et les mobiles money. Comme si cela ne suffisait pas ils semblent décidés à donner le dernier coup de massue aux partis politiques en les dissolvant comme ce fut le cas au Niger et au Burkina Faso. Les leaders des partis politiques soupçonnent le gouvernement de vouloir dissoudre les partis politiques ou à défaut de les suspendre. Cette décision si elle venait d’être prise, viole non seulement la Constitution, mais aussi et surtout sème les germes d’une profonde division pouvant aboutir à une crise sociopolitique aux conséquences énormes. Ainsi, piqués dans leur orgueil et surfant sur l’impopularité des tenants du pouvoir, les partis politiques ont décidé d’unir leurs forces pour constituer un front afin de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il renonce à son projet de dissolution des partis politiques.
Les autorités vont-elles faire marche arrière pour éviter d’ouvrir un autre front sociopolitique ?
Il aura fallu secouer le cocotier pour pousser les formations politiques jusqu’à leur dernier retranchement. Donnés pour mort les partis politiques sont ressuscités et comptent se faire entendre par le gouvernement. Pour le combat dans lequel ils semblent s’être véritablement engagés, les partis politiques veulent tout d’abord prendre à témoin l’opinion nationale sur les conséquences de l’inopportun projet de dissolution ou suspension des partis politiques, ensuite s’ils ne sont pas compris par les autorités, ils useront de tous les droits légaux pour avoir gain de cause. Par cette prise de conscience les partis politiques semblent donner le ton et bien que brutal, voir tardif, leur réveil a néanmoins permis d’aplanir certaines dissensions et querelles de clochers, d’incompréhensions pour ne parler que d’une même voix et défendre leurs intérêts. On pourrait affirmer sans risque de se tromper qu’après le point de presse qu’ils ont animé, les leaders politiques semblent désormais montés sur leurs grands chevaux et n’entendent pas céder d’un iota de leurs droits constitutionnels.
En effet, réunis à la Maison de la Presse en faveur d’un point de presse les partis et regroupements de partis politiques entendent s’opposer, par tous les moyens que la loi leur a conférés, à la dissolution ou suspension des formations politiques. Pour rappel tous les partis politiques significatifs ont pris part à ce point de presse animé entres autres, par l’une des figures de proue du Mouvement démocratique, en l’occurrence Me Mountaga Tall. Dans son discours d’une dizaine de minutes, Me Tall a fustigé le comportement du gouvernement qui veut procéder à la liquidation de la démocratie en dissolvant les partis politiques. Me Tall a rappelé les quatre verrous qu’une simple concertation ou des assises ne pourraient jamais faire sauter dans la Constitution, parmi ceux-ci figure entre autre le multipartisme intégral. Il a balayé d’un revers de main la comparaison que certains veulent faire en faisant allusion au Niger et au Burkina Faso, les deux autres pays de l’AES qui ont soit dissout ou suspendu leurs partis politiques. Pour Me Tall ces deux pays ne sont pas dotés d’une constitution, mais ce sont des chartes qui définissent la conduite à tenir y compris la dissolution des partis politiques. A la question de savoir si le Gouvernement va faire marche arrière pour éviter d’ouvrir un autre front sociopolitique, la réponse est sans nul doute non car les autorités ayant leur agenda, elles n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin. Donc à défaut de dissoudre elles suspendraient les activités des partis politiques jusqu’à nouvel ordre et se donneraient gracieusement un nouveau bail e toute illégalité et en toute illégitimité.
Jusqu’où pourraient aller les leaders des partis politiques dans leur combat pour la démocratie et la République ?
Il est évident que les partis politiques jouent leur survie et ils semblent avoir leur destin entre les mains. La réussite ou l’échec du combat auquel ils sont engagés dépend de leur capacité de mobilisation de leurs militants et sympathisants. Ils doivent se tenir prêts et avoir une grande capacité de persuasion et d’engagement afin l’opinion. Cette dernière qui semble avoir une idée très négative des partis politiques, doit prendre fait et cause pour les partis politiques. Enfin ils doivent- faire preuve d’engagement à ne jamais céder quel que soit le rapport de force, car aujourd’hui ce rapport de force est à leur défaveur, mais à force d’insister, de persister et de signer, l’opinion finira par comprendre et leur donner raison. Le Mali étant devenu un pays où seul le rapport de force compte, le combat des partis politiques ne pourrait aboutir qu’après une large adhésion de l’opinion et un rassemblement sans faille des maliens derrière la cause des partis politiques. Ils ont le bon bout, car après plus de cinq ans de transition la déception est très grande et les langues se délient. Hier paria et voués aux gémonies, aujourd’hui, à défaut d’être adulés, les partis politiques semblent largement améliorer leur côte de popularité au sein de l’opinion qui ne les regarde point comme des pestiférés. Les partis politiques doivent non seulement unir leurs efforts pour une synergie d’action face au gouvernement, mais aussi et surtout ratisser large au sein de la société pour atteindre leurs objectifs.
En somme, les autorités de la transition gagneraient à rassembler toutes les maliennes et tous les maliens autour du Mali. Elles n’ont aucun intérêt encore moins le peuple à provoquer une autre crise sociopolitique aux conséquences imprévisibles.
Youssouf Sissoko