« La loi portant police de la moralité, de l’intégrité, de la neutralité, de l’impartialité des membres de la Cour constitutionnelle a été violée en son article 8 et 10 » « Le président élu dans la violation de la loi est un président de fait ; ce n’est pas un président en droit » Après son arrêt sur les résultats des deux tours de l’élection présidentielle 2018, la Cour constitutionnelle est contestée par bon nombre de candidats à l’élection présidentielle. Si beaucoup lui reprochent d’avoir proclamé les résultats frauduleux de l’élection, certains dénoncent les violations des lois par ses membres. Sur le sujet, nous avons rencontré Mohamed Ali Bathily, un avocat hors pair, qui, dans une interview, a, non seulement dénoncé les violations de la loi par Manassa Danioko mais aussi la défaillance des 8 autres membres de la Cour. Il estime que cette Cour n’est plus habilitée à proclamer les résultats. Son arrêt est donc nul. Lisez l’interview !
La Cour constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs du second tour de l’élection présidentielle. Quel commentaire en faites-vous ?
Je n’ai pas d’observation sur les résultats, eux-mêmes. Mes observations portent sur la Cour Constitutionnelle, elle-même. Il faudrait qu’on distingue entre la Cour constitutionnelle qui a l’obligation de respecter la loi du 11 février 1997 portant fonctionnement de cette Cour. Son fonctionnement induit des règles et les membres de la Cour doivent les respecter. Et pour que leurs décisions, leurs arrêts, revêtent pleinement toutes leurs significations en droit, ils doivent eux-mêmes satisfaire à toutes les conditions que la loi leur prescrit concernant leur propre comportement. S’ils violent ces lois, ils ne peuvent, étant en dehors de la loi, proclamer quoi que ce soit qui soit la loi et qui soit valable.
S’agissant de ce qui s’est passé, c’est le ministre de l’Administration territoriale qui a révélé, lors d’une réunion à la Primature devant le Premier ministre, l’ensemble des candidats ou leurs représentants, devant aussi la Communauté internationale (Minusma, Union Européenne, Union Africaine…), qu’il a instruit aux gouverneurs, préfets, sous-préfets, maires, de délivrer des procurations aux électeurs qui le souhaitaient sur une base communale. Quand il a dit cela, nous avons dit que ce n’est pas ce que la loi dit. La loi dit que les procurations doivent être données sur la base de l’inscription dans le même bureau de vote. Il faut que vous figuriez sur la même liste du même bureau de vote pour que vous puissiez vous donner des procurations.
Ce qui est étonnant, la loi sur les procurations a été votée en 2016. Elle a été étudiée et proposée au gouvernement par le ministre de l’Administration territoriale, lui-même, et le gouvernement l’a adoptée comme projet et l’a fait voter par l’Assemblée nationale. Je me demande comment ce même ministre, s’il est de bonne foi, va demander à la présidente de la Cour constitutionnelle les bases sur lesquelles il doit établir les procurations. Pis, je me demande comment la présidente de la Cour constitutionnelle, qui est elle aussi en charge des questions électorales, ne connait pas la loi en la matière pour donner un avis qui oublie la loi.
Devant tout le monde, Ag Erlaf a sorti la lettre de Manassa Danioko, présidente de la Cour constitutionnelle, prouvant que c’est elle qui lui a donné un avis écrit. Suite à cela, la communauté internationale a invité le Premier ministre à appliquer la loi car l’interprétation de la présidente de la Cour constitutionnelle ne peut se substituer à la loi. Le Premier ministre a reconnu et dit qu’il va donner des instructions pour qu’on revienne à la loi. Le terme même employé par le Premier ministre veut dire qu’on était en dehors de la loi. Cela était grave parce que quand le Premier ministre donnait des instructions, les procurations étaient déjà données sur la base de l’avis donné par Manassa Danioko.
Donc en donnant un avis écrit, la présidente de la Cour a donc violé la loi ?
Bien sûr ! L’article 8 de la loi du 11 février 1997 dit que : « Les membres de la Cour Constitutionnelle ont l’obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions. Ils ont l’obligation en particulier pendant la durée de leurs fonctions de n’occuper au sein des partis politiques aucun poste de responsabilité et de direction, même à titre honorifique, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique sur les questions ayant fait ou susceptibles de faire l’objet de décision de la part de la Cour, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la Cour Constitutionnelle ». C’est clair, ils ne doivent pas le faire ! Et l’article 10 dit : « Si les membres de la Cour violent les obligations de l’article 8, la Cour constate leur démission de fait ». C’est elle qui a l’obligation de constater.
Les partis n’ont pas à lui demander. Ni Soumaila Cissé ni IBK ni les avocats n’ont à demander. La Cour doit constater à la manière d’un huissier que son propre membre a violé une obligation. Elle ne concerne pas IBK ni Soumaila Cissé. La police interne de la Cour veut que celui des membres qui va violer l’obligation de l’article 8, sa démission doit être constatée par la Cour.
La Cour devait constater la violation de l’article 8 par Manassa et déclarer qu’elle est considérée comme ayant démissionnée de fait. Donc si vous ne remplissez pas les conditions pour appartenir à une formation juridictionnelle et que vous siégiez, si cela est détecté, la décision est nulle. Donc Que Manassa, considérée comme ayant démissionné, appartienne seulement à la juridiction, même si elle n’avait pas présidé, la décision est nulle à plus forte raison si elle a été la présidente de la juridiction puisqu’elle ne remplissait plus les conditions légales pour statuer.
Dans d’autres pays, lorsqu’on occupe de si hautes fonctions, qu’on a été jusque-là pour violer les règles de fonctionnement de l’institution, et lorsqu’on en parle, pour permettre un débat sain et ne pas jeter le discrédit sur la Cour, la personne démissionne. Elle démissionne pour lever toute suspicion sur l’attitude de la Cour. Et Vous avez vu la présidente de la Cour constitutionnelle, croyant faire de l’humour en pleine audience : « Je suis là, si je suis là, c’est que je n’ai pas démissionné ». Je dis, ce n’est pas la robe qui fait le magistrat, c’est le droit qui fait la Cour. Et Manassa doit regarder les règles de fonctionnement de sa propre juridiction. Si elle n’est pas capable de faire ça, elle ne sera pas capable de démissionner. Sinon, elle aurait dû démissionner pour garder la tête haute et pour ne pas attendre qu’on dise qu’elle est considérée comme ayant démissionné de fait.
J’ai voulu lui tendre la perche de l’honneur pour qu’elle sorte par la grande porte, mais elle n’a pas compris. Elle attend que la Cour la fasse sortir par la petite porte. Ce n’est pas que je suis contre la décision qu’elle rendue, mais il faudrait se faire élire sur des bases respectueuses de notre loi. Si nous arrivons à ce stade, notamment à ne plus tenir en compte les lois, il arrivera un jour où on refusera d’aller aux élections parce qu’ici, c’est le dernier recours. C’est le dernier pole de la stabilité de l’Etat. On ne doit pas remettre en cause et douter de l’Etat à ce niveau. L’Etat doit être propre. Mais lorsque la légalité est sous scellé, c’est la dérive qui commence. Les membres de la Cour qui avaient la charge de constater la démission de fait de Manassa, eux aussi ont failli. Leur défaillance donne droit à ce qu’on appelle la forfaiture qui est une infraction. Et lorsque les membres d’une juridiction sont frappés d’une forfaiture, ils font l’objet d’une sanction prévue par la loi. Dans ce cas, si une requête est introduite contre les huit (8) autres membres de la Cour Constitutionnelle devant la Cour suprême pour forfaiture, cette Cour devra ouvrir une instruction contre ces huit membres de la Cour constitutionnelle.
Quelle pourrait donc la conséquence juridique de cette requête ?
La conséquence juridique de tout cela, c’est de remettre en cause la proclamation des résultats. Sans proclamation des résultats valables, on ne peut pas faire une investiture et si on fait une investiture en piétinant cette donnée-là, le président élu aura lui-même commencé son mandat par la violation de nos lois. Il ne peut donc plus garantir l’application des lois quand, lui-même, son investiture sera fondée sur la violation de nos lois. Le président doit faire beaucoup attention. Il aura violé la constitution sous toutes les coutures ; il n’aura aucune excuse. Qu’il s’agisse de Soumaila Cissé ou d’IBK, n’importe qui serait investi de cette manière, son investiture violerait la loi parce que tout simplement la loi portant police de la moralité, de l’intégrité, de la neutralité, de l’impartialité des membres de la Cour constitutionnelle a été violée en son article 8 et 10.
Or l’impartialité de la Cour a été violée ; la preuve en a été rapportée par la lettre écrite par Manassa à Ag Erlaf. Donc toute proclamation faite par Manassa est nulle, or sans la proclamation des résultats, on ne peut pas faire l’investiture valable en droit. Ça ne peut pas se faire. Il faut qu’on apprenne la loi, notamment lorsqu’on postule à la plus haute charge de l’Etat en tant que chef de l’Etat. Le président élu dans la violation de ce fondement, est un président de fait ; ce n’est pas un président en droit.
Avez-vous déjà introduit la requête pour forfaiture contre les 8 autres membres de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême ?
Je ne puis vous le dire, mais le candidat Soumaila Cissé doit l’introduire. Mais moi, à la place d’IBK, je vais aussi l’introduire pour montrer ma bonne foi pour que l’Etat fonctionne normalement. Il ne doit pas dire que cela remet sa victoire en cause. Ce n’est pas sa victoire, mais la légalité du fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui est en cause. Si la Cour a fonctionné en violant les propres lois qui gèrent son fonctionnement, cette Cour est disqualifiée pour proclamer les résultats. Et si IBK veut avoir une proclamation propre, lui aussi, il peut attaquer.
Par ailleurs, le ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile a qualifié l’enlèvement de Paul Ismaël Boro d’interpellation. Les procédures d’interpellation ont-elles été respectées, selon vous ?
Je veux simplement dire que le ministre de la Sécurité n’est pas le patron de l’action publique. Il est l’auxiliaire de la justice, il n’est pas le commandant de l’action publique. C’est le procureur général et le ministre de la justice qui commandent l’action publique.
J’ai appris que Paul Boro a été arrêté chez lui par des hommes cagoulés. Je ne pense pas que la cagoule fasse partie de l’équipement de notre police nationale. La loi opère à visage découvert. Elle opère de façon claire et nette parce que c’est la loi de l’Etat. La manière dont il a été arrêté correspond à un enlèvement de personne. L’Etat n’a aucune excuse de se comporter comme de vulgaires criminels et l’enlèvement est de plus en plus fréquent au Mali. Ça commence à devenir une pratique des mœurs politiques ; c’est plutôt cela que le Ministre doit combattre et non des justifications tirées par des cheveux comme il fait. Quand on est arrivé, on doit savoir pourquoi on est arrêté et on doit être gardé dans des lieux prévus pour ça. On ne doit pas disparaitre.
Réalisée par Boureima Guindo
Le Pays