22 septembre 1960. Il y a 56 ans, le Mali accédait à la souveraineté internationale, reprenant ainsi la main sur le colonisateur, la France, qui occupait une position prédominante dans le pays depuis près de 80 ans. Les jeunes autorités maliennes se sont retrouvées face à la gestion d’un pays immense, à la pauvreté, à la nécessité de scolariser des centaines de milliers d’enfants, et à la sauvegarde de la paix. Chaque 22 septembre, les Maliens célèbrent l’anniversaire de l’indépendance. Au moment où l’économie malienne, pourvoyeuse de matières premières, est sous la dépendance économique des institutions occidentales et que la sécurité est assurée en grande partie par les forces internationales, que reste-t-il des idéaux de 1960, chers à Modibo Keïta, qui prônait la souveraineté politique et l’autonomie financière ?
« Un pays indépendant c’est un pays qui décide de son sort, qui décide de ses relations avec les autres, que ce soit les grands, les moins grands ou les petits, qui assume son économie, sa défense, sa culture, qui croit en lui-même, qui sait que le destin est décidé par Dieu mais que c’est l’homme qui le façonne. Un pays indépendant est un pays qui à son sort en main », déclare Seydou Badian, militant de la première heure de l’US-RDA, le parti de Modibo Keïta, dont il fut le ministre.
Assis chez lui, ce vénérable Malien, qui scandait avec des milliers d’autres, en 1960 à la fin de la colonisation, « vive l’indépendance » et a qui l’on doit l’hymne national du Mali, ajoute d’un ton las, qu’ « on ne peut être indépendant en tendant la main ». Au sortir de ces années 60, où l’on vibrait avec ferveur pour la libération du pays et du peuple, le réveil fut brutal et les désillusions nombreuses. La réalité de l’indépendance s’est heurtée à l’héritage laissé par le colonisateur, dont le Mali a gardé des traces tout au long de son histoire administrative, politique, éducative et culturelle, jusqu’à aujourd’hui, et qui ont servi de modèle à l’administration et à son mode de gouvernance. L’indépendance chèrement acquise semble s’être dissoute, au fil des décennies, dans le socialisme de Modibo Keïta pris dans la guerre froide, le libéralisme, la violence de la dictature de Moussa Traoré, la démocratisation, les conflits avec des Touaregs au nord du pays, l’importation des modèles de développement, et la dépendance économique persistante. « Tout s’explique à travers une indépendance politique qui n’a jamais été traduite en indépendance économique depuis plus de 50 ans. Un progrès économique et social insignifiant, des formations académiques inadaptées, des services de santé mal structurés, une dégradation du niveau de vie, un système politique non conforme aux aspirations de la masse, sans oublier l’exploitation des ressources naturelles au profit de l’hexagone. Voilà un peu le bilan qui s’affiche du Mali, plus d’un demi siècle après une soi-disant indépendance », résume Mamadou Koné, conférencier et chercheur à l’Institut des Sciences politiques de l’université de Vienne.
Dépendance politico-économique Au cours des 23 ans de dictature, le Mali a basculé dans les politiques de développement et d’industrialisation et s’est endetté. Pour faire face à l’endettement, Moussa Traoré puis les gouvernements successifs, ont passé des accords avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), et ont accepté de soumettre le pays aux fameuses politiques d’ajustement structurel (PAS), pour obtenir des crédits censés sortir le pays de la crise économique, conditionnés à des réformes qui imposaient d’énormes contraintes. En a résulté l’effondrement d’un tissu industriel plutôt dynamique, et une ouverture au libéralisme mal préparée.
Trois décennies plus tard, le Mali dépend des apports extérieurs, aussi bien pour les investissements que pour la consommation. « Quand on voit un peu les éléments qui constituent notre économie, on dépend beaucoup des importations, on n’a pas d’industrie pour transformer les produits. Quand je prends l’exploitation minière, 20% des bénéfices nous reviennent et 80% à ceux qui transforment, parce que nous n’avons pas la technologie. Nous dépendons de nos partenaires techniques et financiers, avec l’aide au développement et tout le reste. Le Mali ne maîtrise pas son économie, et est donc dépendant économiquement », explique Soibou Mariko, inspecteur au service économique à la direction générale du budget.
Cette dépendance du Mali à l’égard de l’aide publique au développement, qui représente plus de 45% du budget national et 80% des investissements publics, est devenue telle que le pays semble sous contrôle permanent des bailleurs de fonds (FMI, BM) et autres partenaires bilatéraux. Les acteurs nationaux sont amenés à définir les politiques nationales en fonction des conditions d’accès à ces aides extérieures, et beaucoup de décisions ne peuvent être prises sans leur consentement. « Ceux qui financent, décident. C’est d’autant plus vrai pour les institutions internationales élaborant et finançant des projets au Mali, que notre État reste un exécutant. La dette extérieure est devenue un fardeau, un moyen de chantage permettant de donner des directives à l’exécutif. La fragilité de notre indépendance politique réside dans sa faiblesse et sa dépendance économique à la France, aux institutions internationales et à l’Union européenne. Ce système est intelligemment conçu. Nos partenaires connaissent bien nos points faibles et en profitent sous forme de coopération ou d’aide militaire, pour appuyer une continuité et renforcer la dépendance, et nos responsables affichent une incapacité à nous en sortir », analyse Mamadou Koné.
Indépendance sécuritaire Économiquement dépendant de ses bailleurs internationaux, le Mali doit aujourd’hui composer avec les armées de ces mêmes pays pour assurer la sécurité de son territoire. Trois ans après l’intervention qui a chassé les mouvements djihadistes du nord et du centre du pays, une bonne partie de l’immense territoire échappe encore à l’État. La présence de ces forces et la sous-traitance de notre appareil sécuritaire et militaire est aussi un autre aspect de notre dépendance. « Aujourd’hui, le Mali ne peut pas mener une attaque contre des éventuels ennemis par manque de moyens logistiques », rappelle Ousmane Kornio, spécialiste des conflits communautaires. « Ceux qui sont en charge de notre protection ou de la formation de nos armées sont aussi, pour certains, ceux qui ont plongé le Mali dans la crise, avec la guerre libyenne, et qui n’ont pas assuré le service après-vente, en permettant à ces groupes de se déplacer jusqu’au Mali et de déstabiliser le pays. Je crois qu’aujourd’hui, dans le malheur il faut choisir le moindre mal, l’armée n’étant pas capable, il est bon d’avoir l’EUTM et Eucap Sahel pour les former. Dans le futur, peut-être, aurons-nous une armée reconstituée et bien formée, mais pour le moment on est obligé de dépendre des partenaires extérieurs pour, par la suite, être autonome », ajoute Ousmane Kornio.
Si un État indépendant se définit par un certain nombre de paramètres classiques, comme les langues dans les administrations, l’impact ou la place de sa propre culture au niveau national, la consommation interne de ses propres produits, la maîtrise de son économie, sa capacité d’assurer la sécurité de son peuple en cas de conflits, ces 56 années qui nous séparent de la déclaration d’indépendance, peuvent pousser à penser que le chemin vers le rêve des pères fondateurs sera encore long. Les plus sceptiques voient dans la forte implication des « partenaires » du Mali dans la gestion de ses affaires, une « mise sous tutelle », et ne voient pas comment, dans les conditions actuelles que certains estiment savamment entretenues, le Mali pourra prétendre à une réelle indépendance politique, économique, voire sociale et culturelle.
Source: journaldumali