Un an après le début de l’intervention Serval, l’écrivain et femme politique Aminata Traoré réagit pour «20 Minutes» aux interventions françaises au Mali et en Centrafrique…
Aminata Traoré, ancienne ministre malienne et militante altermondialiste, s’est montrée critique dès le début de l’intervention Serval au Mali, dont c’est le premier anniversaire samedi. Elle publie avec Boubacar Boris Diop La gloire des imposteurs, lettres sur le Mali et l’Afrique (Ed. Philippe Rey) ce jeudi.
Vous êtes critique sur les interventions françaises au Mali et en Centrafrique. Pourquoi?
On ne résout pas par les armes des problèmes liés à la politique économique internationale menée depuis plus de trente ans en Afrique. Il faut revenir aux origines du problème: les institutions internationales de financement, auxquelles participe la France, n’ont pas développé l’Afrique mais l’ont au contraire fragilisée, secrétant le chômage et la pauvreté.
Parmi les terroristes il y a aussi des jeunes désespérés, sans avenir. On les retrouve parmi les djihadistes au Mali ou au sein de la Seleka [ex- rébellion, accusée d’avoir commis de nombreuses exactions contre les civils centrafricains]…
Les points communs entre le Mali et la Centrafrique ce sont le profil des acteurs, les causes profondes de la déstabilisation et la militarisation.
Au Mali, les djihadistes menaçaient d’atteindre Bamako et terrorisaient la population, tandis qu’en Centrafrique les violences avaient pris une ampleur alarmante. Fallait-il ne pas intervenir malgré tout ?
Je ne veux pas me laisser enfermer dans ce questionnement car je n’aime pas commencer par la fin de l’histoire. Il faut se demander comment on en est arrivé là. La guerre en Libye menée par Nicolas Sarkozy a déstabilisé toute la région. Le Mali a été le premier pays à en faire les frais, à cause de la circulation des armes venant de Libye et la rébellion touareg.
En quoi ?
La France a fait un mauvais calcul : elle croyait que les touaregs d’origine malienne, qu’elle a soutenus, se battraient contre al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), qui menace pour la France. Or les rebelles se sont alliés aux djihadistes, et ont eu raison de l’armée malienne. La France est donc intervenue pour réparer les dommages qu’elle avait causés, et nous devrions dire merci? Si on n’explique pas aux gens les origines du problème, on devient redevable à la France de nous avoir libérés alors qu’on était victime.
François Hollande, qui a décidé d’intervenir, a hérité de cette situation…
Sarkozy a eu sa guerre en Libye, fallait-il que la gauche ait la sienne? François Hollande aurait pu faire autrement, sans déployer l’armada. Il avait dit qu’il n’enverrait pas de troupes au sol, ce qu’il n’a pas respecté. Je suis militante de gauche. Quand François Hollande est arrivé je me suis dit qu’il y aurait un dialogue. Mais il n’y a aucune volonté d’écouter l’Afrique. Les officiels et les ONG sont écoutés, certes, mais pas les voix dissonantes comme la mienne.
Quelles conséquences a selon vous l’intervention au Mali?
Au début l’opération a été saluée. Les terroristes ne sévissent plus à Gao, Kidal et Tombouctou. Mais ils se sont dispersés. On a connu des attentats après l’opération Serval : peut-on dire que le pays a été sécurisé ?
Vous mettez en doute les motifs de l’intervention française au Mali et en Centrafrique…
On nous prend pour des idiots: on nous dit «on va vous protéger» alors que la France est là simplement pour ses intérêts. Derrière l’humanitaire, c’est une guerre de positionnement pour défendre des intérêts géopolitiques – contre le terrorisme-, mais aussi pétroliers et miniers –le Mali et la Centrafrique ont des ressources naturelles convoitées.
La France souhaite que les Africains puissent assurer leur sécurité par eux-mêmes, et va par ailleurs réduire ses effectifs au Mali. Vous vous en réjouissez?
Ce n’est pas mon souci. Le plus important c’est d’expliquer, et que la France respecte les Africains. Il ne faut pas faire de l’Afrique une planète à part.