Le riz, une des céréales les plus consommées dans le monde, a cette particularité d’être apparu à deux endroits distincts de la planète, en Afrique et en Asie. Le riz africain (Oryza glaberrima) et le riz asiatique (Oryza sativa) composent ainsi les deux grandes espèces de riz cultivé. Si l’on trouve des preuves de la culture du riz en Chine méridionale vers 5000-4000 ans avant notre ère, les travaux archéologiques en Afrique – moindres – dévoilent des traces de riz cultivé vers Mopti, au Mali, il y a 3 000 ans. Mais cette date marque-t-elle vraiment le début de la domestication du riz, et cette zone géographique en est-elle le cadre principal ?
Une étude internationale vient lever le voile sur ces questions. Parue dans la revue scientifique Current Biology, elle établit que le berceau de la domestication du riz est bien le delta intérieur du fleuve Niger, dans le nord de l’actuel Mali, et que la riziculture s’y est développée il y a environ 3 000 ans.
Premières sociétés agricoles dans le nord du Mali il y a 3 000 ans
« C’est la première fois qu’on arrive à poser une origine géographique bien définie avec des preuves statistiques. L’archéologie pourra encore affiner le lieu dans l’avenir, mais on sait aujourd’hui que cette zone est à l’origine des premières sociétés agricoles en Afrique de l’Ouest, il y a 3 000 ans. Dans la vallée du Nil, il y avait aussi une agriculture assez ancienne mais qui a adopté des céréales venues d’Asie, dont le blé », commente Yves Vigouroux, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), partie prenante avec le Centre du riz pour l’Afrique (Africarice) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), de ces travaux.
La preuve est apportée par le séquençage de près de 250 génomes de riz africain (sauvage et cultivé), issus de la banque de gènes d’Africarice. Depuis les années 1970 et le développement de la révolution verte, des milliers d’échantillons de semences de riz africain ont été collectées par cet institut panafricain, qui a son siège en Côte d’Ivoire.
L’assèchement du Sahara comme « élément déclencheur » de la riziculture
Pour pouvoir remonter le fil de la domestication du riz africain, les chercheurs ont traqué des caractères bien particuliers. « Quand le riz est cultivé, les graines restent attachées à l’épi et on les récolte toutes en même temps, tandis que sous la forme sauvage, les graines tombent et se répandent », explique Yves Vigouroux. Ces caractères ont été sélectionnés il y a environ 3 000 ans, période qui coïncide avec les traces d’épis de riz fossilisés retrouvés par des archéologues vers Mopti dans des travaux antérieurs.
Selon les chercheurs, cette phase durant laquelle les hommes ont cherché à domestiquer le riz correspond à la fin de l’assèchement du Sahara. « À l’aide d’outils génomiques, on a remarqué un déclin des plantes de riz sauvage. Notre hypothèse est que cette décroissance du riz sauvage précède la domestication, et qu’elle en est l’élément déclencheur. Elle a été initiée il y a environ 9 000 ans. Or la période 9000-3000 avant notre ère correspond à l’assèchement du Sahara, qui, auparavant, était une savane arborée, avec des girafes, des lacs, des rivières… Les ressources devenant plus rares, on s’est tourné vers un mode de société agricole pour produire plus », rend compte le spécialiste de génomique des populations Yves Vigouroux.
Les atouts du riz africain pour l’agriculture de demain
Si cette étude permet de remonter le fil des migrations humaines et des transformations des modes de vie dans la région sahélo-saharienne, elle a aussi une portée environnementale. Mieux connaître le riz africain permet, à l’heure du réchauffement climatique, d’améliorer les variétés de céréales. « Alors que 95 % du riz asiatique est produit dans des rizières avec des techniques d’irrigation, entre 80 et 85 % du riz cultivé en Afrique se fait sous pluie, comme le blé en France. La forme sauvage du riz africain pousse même dans des mares temporaires qui s’assèchent, il est beaucoup plus résistant à la chaleur et à la sécheresse », résume Yves Vigouroux.
Combiner cette capacité d’adaptation du riz africain à des climats plus chaud, et les rendements du riz asiatique, c’est aussi l’objet du Centre du riz pour l’Afrique (Africarice). Ce métissage entre deux cousins est au cœur du projet Nerica (New rice for Africa). Plusieurs hybrides ont déjà été élaborés, mais font encore l’objet d’amélioration, afin d’optimiser notamment la résistance à certains virus.
Le riz africain supplanté par le riz asiatique il y a 500 ans
Aujourd’hui, le continent africain, non seulement ne produit pas suffisamment de riz pour répondre à la demande croissante de sa population, et en importe donc une partie d’Asie, mais surtout cultive essentiellement à partir de diverses variétés de riz asiatique. Le riz asiatique, plus productif, a supplanté le riz africain il y a environ 500 ans. Si on connaissait son introduction en Afrique de l’Ouest par les colonisateurs portugais au XVIe siècle, les chercheurs ont pu observer par l’étude génomique le déclin du riz africain à cette période, après une forte expansion amorcée il y a 2 000 ans. Mais avec ses capacités d’adaptation au stress hydrique et à des températures élevées ainsi mises au jour, le riz africain n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Source: lepoint.fr