L’atelier de validation des termes de référence de la concertation nationale fut un véritable cadre d’échanges, très animé voire quelquefois agité. Diatribes contre le régime déchu, chauvinisme en bandoulière, propos conciliateurs… il y avait de l’ambiance samedi au CICB.
Champions autoproclamés du changement, anciens dignitaires du pouvoir déchu, citoyens neutres mais engagés pour l’avenir du pays… chaque catégorie de participants s’est fait violence pour se parler, après quelques moments de frictions. Les Maliens ont fait la démonstration que malgré les clivages, souvent très profonds, ils étaient capables d’échanger pour le bien du pays.
Les organisateurs de l’atelier de validation ont pu se rendre compte que réunir nos compatriotes, moins d’un mois après la chute du président Keïta, n’était pas sans risque de dérapages. Mais au bout, le pari de mener des discussions fécondes fut gagné !
Même si ce ne fut pas facile par moments. Des participants ont échangé parfois des amabilités dans les couloirs du CICB et au sein des différents groupes de travail.
Ce qui n’a pas empêché toutes les sensibilités de s’exprimer librement et de proposer ce qu’elles estimaient utiles pour parvenir à des termes de référence qui prennent en compte les préoccupations de l’ensemble du peuple. Quasiment toutes les interventions tendant à améliorer le document étaient acceptées, pourvu qu’elles ne fassent pas référence à l’ancien président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta.
L’évocation du nom de l’ex-chef de l’État suffisait parfois à faire sortir certains jeunes du M5-RFP de leurs gonds. Des intervenants l’ont appris à leurs dépens. Au niveau du groupe n° 4 par exemple, les travaux ont été interrompus lorsqu’un intervenant s’est présenté comme étant le président du Mouvement Mali-IBK. Les organisateurs ont dû intervenir pour calmer les tensions. Et le groupe n° 3 a connu la même scène de remue-ménage, quand un ancien député a essayé de proposer une méthodologie de travail.
Tout au long de la journée, les jeunes du M5-RFP ont tenu à démontrer que la transition en vue est d’abord leur «affaire». Pour eux, ce Mouvement est le seul partenaire crédible du CNSP et doit, à cet effet, jouer un rôle de premier plan dans le processus de changement que devrait impulser cette transition. Toutes choses que les experts leur concèdent implicitement dans le projet de TDR, en mettant en exergue les manifestations populaires qui ont amené les « militaires à prendre leurs responsabilités».
Ainsi, tous les acteurs qui s’étaient affichés en fervents défenseurs de l’ancien chef de l’État, étaient plus ou moins considérés comme des «faux patriotes pour avoir assisté, sans broncher, à la descente aux enfers du pays», selon Youssouf Sangaré, un jeune se réclamant du M5-RFP. Il faisait partie de ceux qui ont mis en mal le dispositif de sécurité du CICB pour filtrer les entrées. «On ne peut pas nous empêcher de participer à cet atelier, sous prétexte qu’on ne dispose pas d’invitation ou d’accréditation. Et qu’au même moment, des anciens ministres du régime déchu sont acceptés», a-t-il soutenu.
Cet acte était le début du déploiement d’une stratégie de forcing qui leur permettra, par la suite, de prendre la tête de certains groupes de travail, notamment le n° 3. «Allons-y dans une autre salle», se chuchotaient certains jeunes du Mouvement après avoir réussi à faire élire (par vote) Dr Mahamadou Konaté comme président de ce groupe. La volonté affichée était de placer leurs militants à la tête des cinq groupes de travail mis en place.
Ces agitations ont retardé le démarrage des travaux dans certains groupes. À 13 heures 10 minutes, les salles n° 3 et 1 n’avaient pas encore commencé les travaux, alors que les n° 4 et 5 étaient déjà dans le vif du sujet. Au même moment, des délégués cherchaient encore désespérément un groupe à intégrer. «On a pourtant dit que chacun pouvait intégrer le groupe de son choix», a rétorqué un capitaine de la gendarmerie à Moussa Sidibé, un enseignant «sidéré par le cafouillage qui caractérise l’organisation».
La liste de répartition entre les différents groupes, avait été contestée dès sa présentation au public. Les noms de plusieurs associations et partis politiques connus n’y figuraient pas. Et certains mouvements membres du M5-RFP, comme la CMAS ou l’URD, voulaient être cités nommément pour la simple raison que «des associations qui n’ont pas lutté apparaissaient sur la liste», soutient Alassane Touré, membre du groupement politique se réclamant de l’imam Mahmoud Dicko. La jeunesse du M5-RFP doit participer à tous les groupes de travail, a réclamé Oumar M. Traoré, un des meneurs des jeunes du mouvement.
Au cours des débats au sein des groupes, les intervenants ont mis à l’index des aspects qu’ils considéraient comme des insuffisances du document. Dans la majorité des cas, il s’agissait plutôt d’attirer l’attention sur des considérations corporatistes. Pour Alioune Ifra N’Diaye, il n’existe nulle part le mot culture dans les TDR, alors que le «problème malien est fondamentalement culturel ». Aliou Yalcoué plaidera pour la cause de la jeunesse, dont les « préoccupations ne sont pas suffisamment évoquées dans le document». Il faisait notamment allusion au chômage.
Même dynamique dans le groupe n° 1. Certains, comme Mme Gologo, ont estimé que la crise a été traitée sur les deux dernières années, alors qu’elle a commencé en 2012. Une réalité à prendre en compte dans le document qui doit également, selon elle, souligner les méfaits de l’injustice sociale et la nécessité d’appliquer les conclusions du Dialogue national inclusif. Hamane Touré dit «Serpent» plaidera, pour sa part, pour l’ajout d’un point dédié à la réorganisation de la société civile. Et dans le groupe n° 2, il a été notamment proposé une revue à la hausse du nombre de participants – de 300 à 1.000 – et de jours pour la phase nationale de la concertation.
À la fin de la journée, les forces vives de la nation ont convenu de ce qu’il faudrait aborder lors de la concertation nationale annoncée pour les 10, 11 et 12 septembre. Cette rencontre devra, in fine, définir la forme et la durée de la Transition.
Issa Dembélé
Source: Journal l’Essor-Mali