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Mali : Al Hassan à la CPI, un procès pour l’exemple ?

 L’ex-commissaire de la police islamique de Tombouctou, Al Hassan, a été transféré à la CPI. Mais son cas demeure une exception : la majorité des très nombreux crimes sexuels commis dans le nord du pays, en 2012 et 2013, restent impunis.

L’air un peu perdu dans son costume cravate, il a lentement pris place dans le box des accusés, le 4 avril. Là où, deux ans plus tôt, son compatriote Ahmed al-Faqi al-Mahdi l’avait précédé pour répondre de la destruction des mausolées de Tombouctou en 2012. Si Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud devra lui aussi rendre des comptes à propos du saccage du patrimoine religieux de la cité aux 333 saints, il sera surtout le premier à comparaître devant la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis contre des personnes physiques durant la crise malienne.

Arrêté en avril 2017 par des militaires français dans le nord du Mali, il a passé près d’une année de détention secrète dans les locaux de la Sécurité d’État, à Bamako, avant d’être transféré à La Haye, le 31 mars dernier. Plus connu sous le nom d’Al Hassan, cet ex-membre présumé d’Ansar Eddine de 41 ans a été commissaire de la police islamique à Tombouctou durant l’occupation de la ville par les jihadistes. Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, il est suspecté d’avoir laissé ses hommes commettre de nombreux crimes sexuels.

Des viols et crimes sexuels passés sous silence

Entre début 2012 et janvier 2013, les différents groupes armés qui avaient fait main basse sur le Nord ont perpétré d’innombrables viols et violences sexuelles. Des crimes passés sous silence sous le double effet de l’impunité et des traumatismes profonds avec lesquels doivent désormais vivre les victimes. « Il y a eu énormément de crimes sexuels commis par les groupes armés durant cette période. Bien plus que d’exécutions sommaires ou de destructions de mausolées », explique Florent Geel, directeur Afrique à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH).

Ces crimes furent si répandus que certains évoquent un ciblage systématique des femmes par les groupes armés. Dès 2012, des associations de défense des droits humains ont recueilli de nombreux témoignages dans tout le septentrion malien : Kidal, Gao, Tombouctou, mais aussi Bourem, Goundam, Ansongo ou encore Hombori… À Tombouctou, le commissariat de la police islamique, dirigé par Al Hassan et installé dans une banque du centre-ville, a été le théâtre de violences régulières. Les femmes qui y étaient emmenées pour un motif ou un autre étaient souvent humiliées ou frappées par leurs geôliers.

Une multitude de témoignages

Ce fut le cas d’Aïssata*, mineure en 2012, forcée à se déshabiller et fouettée avec les autres filles présentes dans sa cellule. Deux jours après sa libération, trois hommes enturbannés sont venus la demander en mariage à son père. Celui-ci a été contraint de plier sous les menaces de mort proférées par ses visiteurs. Aïssata a ensuite été conduite dans une maison où des jeunes femmes étaient séquestrées. Pendant un mois, elle a été violée chaque nuit par des hommes différents.

Les témoignages comme celui d’Aïssata sont nombreux, mais les groupes jihadistes qui ont imposé la charia dans le Nord ne sont pas les seuls coupables. Plusieurs mettent également en cause les combattants indépendantistes du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui ont occupé des villes du Nord avant d’en être évincés par les islamistes radicaux. En février 2012, Maïmouna* était au domicile familial à Gao lorsque des membres du MNLA ont débarqué chez elle.

Elle a été violée devant sa famille et ses voisins. Dans la même ville, Hawa* a été attaquée par des combattants du MNLA alors qu’elle rentrait d’une corvée de lessive. Elle a été violée en plein jour. Des récits similaires ont aussi émergé à Kidal et à Ménaka.

La volonté des autorités en question

La plupart de ces témoignages figurent dans deux plaintes déposées en novembre 2014 et mars 2015 devant la justice malienne. Malgré les relances des organisations de défense des droits humains qui se sont constituées parties civiles, elles sont pour l’instant restées lettre morte. « Il n’y a aucune avancée significative depuis trois ans, déplore une source proche du dossier. Les magistrats justifient leur retard en invoquant tantôt des problèmes sécuritaires, tantôt leur manque de moyens. »

Jusqu’à présent, aucun membre de groupe armé n’a eu à rendre de comptes pour ces crimes sexuels. Et hormis Aliou Mahamane Touré, ex-commissaire de la police islamique de Gao, condamné en août 2017 à dix ans de prison, les seuls individus jugés pour leurs forfaits dans le Nord – Ahmed Al Faqi Al Mahdi en 2016, Al Hassan depuis mars – l’ont été à La Haye et non au Mali. Une externalisation judiciaire qui pose question, notamment sur la volonté réelle des autorités maliennes de voir les auteurs présumés de ces crimes traduits devant leurs propres tribunaux.

Cinq ans après les faits, la plupart d’entre eux sont toujours en liberté. Certains jouissent même d’une étonnante tranquillité, à l’image de Houka Ag Alfousseyni, dit « Houka Houka ». Natif de la zone d’Essakane, ce Touareg d’une soixantaine d’années présidait le tribunal islamique à Tombouctou durant l’occupation jihadiste.

Une impunité banale au Mali

Arrêté en 2014, il avait été rapidement relâché, en compagnie d’une quarantaine d’autres membres de groupes armés suspectés de crimes de guerre, dans le cadre de mesures de confiance visant à favoriser le processus de paix. Il vit désormais parmi les siens, près de Tombouctou, et servirait à l’occasion d’intermédiaire utile entre Bamako et les différents hommes en armes de la région.

Un autre personnage qui a imposé la terreur dans la cité sainte du Nord-Mali a longtemps été à portée des juges du pays avant de disparaître dans l’immensité du Sahara. Mohamed Ag Mosa, dit « Hammar Mosa », était le chef du « centre d’application du convenable et de l’interdiction du blâmable », sorte de brigade des mœurs de la police islamique. Selon de nombreux témoignages, ce très redouté membre d’Ansar Eddine s’en est particulièrement pris aux femmes.

Un temps présent à Bamako, il aurait même participé à la signature des accords de paix en juin 2015. Il est depuis introuvable et ne semble pas près de rendre des comptes pour les crimes sexuels dont il est accusé. Une impunité banale au Mali, que l’extradition de deux figures jihadistes à la CPI ne suffit pas à masquer.

* Les prénoms ont été modifiés.


Le viol comme arme de guerre

C’est après le début de la guerre en ex-Yougoslavie, au début des années 1990, que le viol a progressivement été reconnu comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité par différents tribunaux internationaux, dont le Tribunal pénal international pour le Rwanda. En 1998, ce dernier a été le premier à juger un viol en tant que crime de génocide.

Plus récemment, en décembre 2017, onze miliciens congolais ont été condamnés à la prison à perpétuité pour le viol d’une quarantaine de fillettes entre 2013 et 2016 au Sud-Kivu – une première dans l’histoire judiciaire de la RD Congo. Mais les crimes sexuels restent globalement impunis.

Selon les Nations unies, 100 000 à 250 000 femmes ont été violées durant les trois mois du génocide au Rwanda (1994), plus de 60 000 durant la guerre civile en Sierra Leone (1991-2002), plus de 40 000 au Liberia (1989-2003), et au moins 200 000 en RD Congo depuis 1998.

 

JA

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