Dans son adresse à la nation faite ce vendredi 10 avril 2020, la 3è du genre au sujet de la pandémie du Covid 19, le président de la République, Son Excellence M. Ibrahim Boubacar Keita a annoncé un certain nombre de décisions prises par le Gouvernement en vue de faire face à la situation actuelle. Près de 500 milliards de nos francs seront mobilisés pour amoindrir l’impact négatif de la pandémie sur l’économie et la société malienne. Nous vous proposons ici l’intégralité du message du président de la République
Mes chers compatriotes,
Respectés hôtes du Mali,
Ce sera la troisième fois ce 10 avril 2020 que je m’adresse solennellement à vous au sujet du COVID-19. Les fois précédentes, en particulier le 17 mars dernier, quand nous tenions un Conseil National de Défense Extraordinaire avec pour seul ordre du jour, la terrible pandémie, notre pays n’enregistrait encore aucun cas. Il cherchait alors à anticiper, à prendre les devants, à prévenir le mal, car la prévention est la réponse la plus indiquée pour un pays comme le nôtre, aux moyens modestes et aux défis multiples.
Aujourd’hui, le virus tant redouté est dans nos murs. La bonne nouvelle, certes, est que certains d’entre nous en ont déjà été guéris. Hier, le pays entier a été témoin de l’heureuse guérison et libération de notre compatriote qui avait été infectée la première, nous lui souhaitons le meilleur. La mauvaise nouvelle, cependant, est que d’autres en sont, hélas, décédés.
A la date d’aujourd’hui, nous comptons 87 patients infectés au Mali. Ce chiffre, malheureusement, irait crescendo dans les jours à venir, si le mal déroulait chez nous son impitoyable mécanique, comme il l’a fait ailleurs, répandant le deuil sur son passage, suscitant partout peur et angoisse, et malmenant les économies les plus solides.
Car le mal est chez nous, nous devons serrer les rangs, unis et mobilisés à tout instant. Nous devons le vaincre. Nous pouvons le vaincre. Avec plus de vigilance, avec plus de discipline, dans la sérénité et dans la solidarité. J’y reviendrai.
Je viens de voir un élément de notre télévision nationale, où certains s’en disaient encore sceptiques, ne croient pas encore à l’existence du mal, à sa présence au-dedans de notre pays, parmi nous. Ils se trompent! J’ai entendu, un jeune homme, un de mes fils, dire qu’il n’y croyait pas du tout, il n’était prêt à y croire, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Fiston, reviens sur terre, ce mal existe et a fait des dégâts, de grandes personnalités africaines en ont été victimes, de grands artistes ne sont plus.
Tout le monde a entendu ce départ de Manu DIBANGO, tous les sportifs africains ont entendu que l’ancien président de l’OM, Pap DIOUF, n’était plus de ce monde. Les amateurs de musique, outre Manu DIBANGO, ont entendu également qu’Aurlus Mabélé était également de ceux qui nous ont quittés: le mal est donc bien là!
Il sied, qu’avant toute chose, je salue notre personnel de santé, ces aide-soignants, ces manœuvres, ces infirmiers, ces ambulanciers, ces médecins, ces laborantins, le personnel administratif des services de santé ainsi que les membres du Conseil Scientifique National.
J’aimerais leur dire ici et maintenant, et je suis sûr d’être votre fidèle interprète en le faisant, que la nation est fière d’eux. Ils sont nos héros, ils sont les filles et les fils émérites de ce pays dont ils se montrent dignes de l’Histoire, des enjeux et des ambitions.
Du fond du cœur, je salue ensuite les forces de sécurité et de défense qui, soir après soir, s’assurent que le couvre-feu est respecté, pour le plus grand bien de nos compatriotes et de leurs hôtes, pour le plus grand bien de l’ensemble national. Car il faut que nous en soyons tous plus conscients : face à la tragédie du COVID-19, il nous incombe à tous et à chacun d’éviter d’être à la fois « la victime et le bourreau, la plaie et le couteau », pour reprendre le poète.
Je salue enfin ces Maliennes et ces Maliens sans grands moyens qui font pourtant tout pour respecter les gestes-barrières et ce, dans le but de se protéger et de protéger les autres. Ces femmes qui mettent le masque pour aller au marché, et qui se tiennent à distance requise, méritent d’être citées en exemple. Ces passagers qui mettent le masque pour prendre les transports en commun méritent nos égards. Tout comme ces personnes qui, sans attendre quelle que consigne que ce soit, décident d’éviter les attroupements, sur les lieux de culte et ailleurs, dans le souci d’eux-mêmes bien entendu, mais aussi pour ne pas prendre la responsabilité de contaminer une brave épouse, un vieux père, une vieille mère.
Mes chers compatriotes,
Contre l’arme de destruction massive qu’est le coronavirus, chacune de nous, chacun de nous, je le répète, doit être une digue, une digue pour lui-même, une digue pour sa famille, une digue pour sa communauté, une digue pour la nation, une digue pour l’humanité. Car c’est de civisme qu’il s’agit. C’est d’être à la hauteur des enjeux qu’il s’agit. De cela, nous sommes bien capables.
Or, le voulons-nous tous ? Non, car nous nous attroupons encore dans les mairies. Nous nous bousculons dans les transports en commun. Nous nous serrons les mains sans souci, comme si ceux qui ont à cœur de respecter les mesures édictées manquaient juste de courage et de bon sens.
Consciemment et inconsciemment, beaucoup d’entre nous continuent d’être les vecteurs de l’épidémie. Ils le font contre eux-mêmes, ils le font contre leurs familles, ils le font contre le Mali.
Qu’ils sachent que le coût de la lutte contre la pandémie du COVID-19 est dissuasif pour tout pays, à fortiori le nôtre qui est sur d’autres fronts tout aussi pressants. Depuis huit ans, nous sommes en guerre, une guerre coûteuse en ressources, contre le terrorisme.
C’est le lieu de m’incliner devant la mémoire de nos vaillants fils tombés ces jours-ci, à Bamba, dans le cercle de Kita, à Koro où un sous-préfet a perdu la vie suite à l’explosion d’un EEI, à Sévaré où le crash d’un de nos aéronefs vient de coûter la vie à deux de nos valeureux fils.
Nous sommes également, comme vous le savez, sur le front d’une demande sociale sans précédent.
Cela, dans un contexte où le taux de croissance national attendu à 5 pour cent pourrait tomber au plus bas à cause de l’incidence de la pandémie. Notre agriculture si performante sera affectée, en particulier le coton dont le prix sur le marché international chute à une allure vertigineuse. Notre secteur minier accusera également le coup.
L’Industrie, les services, le négoce, par conséquent nos recettes douanières et fiscales seront fortement touchées. La récession est à nos portes, menaçant d’anéantir nos avancées récentes. C’est dire jusqu’où la pandémie du COVID-19 nous affectera.
Mes chers compatriotes,
Le gouvernement du Mali qui, vous le savez bien, est le gouvernement d’un pays pauvre, acculé sur d’autres fronts, accepte de consentir le plus grand sacrifice pour amoindrir l’impact négatif de la pandémie sur notre économie et notre société.
Le gouvernement, pour ce faire, a décidé plusieurs mesures sociales qui coûteront à l’Etat, près de 500 milliards de nos francs, dans les hypothèses basses.
Conscients de l’impératif de solidarité, les membres du gouvernement renoncent à un mois de leur salaire pour l’effort de guerre requis contre le COVID-19.
Le Président de la République que je suis renonce à trois mois de son salaire, et le Premier ministre, deux mois.
Les Institutions ont déjà consenti à un effort. Des particuliers et des personnes morales le font tous. C’est bon signe et tous doivent être salués pour leur sens patriotiques.
Les allocations budgétaires, et toutes les allocations budgétaires, seront revues. La révision commencera par le sommet de l’Etat.
Les priorités d’investissements seront également revues. Il sera fait preuve de plus d’innovations dans la mobilisation des ressources. Et les fonds constitués seront scrupuleusement gérés, sous la supervision du Chef de gouvernement.
Au niveau national, tout sera mis en œuvre pour que les entreprises locales de textiles, grandes, moyennes ou petites y compris les tailleurs qualifiés puissent produire sur place des millions de masques au profit de la population. Il faut que cela se fasse, car impossible n’est pas malien. A cet effet, dans le cadre du programme « Un malien, un masque » que j’ai le plaisir d’annoncer, une commande spéciale de 20 millions de masques lavables sera livrée à Bamako dans le courant de la semaine prochaine. Le masque est une barrière efficace pour tous. Il a fait sa preuve ailleurs. A défaut d’observer les mesures de distanciation requises, il constitue un irremplaçable moyen de protection.
Ensuite, un fonds spécial de 100 milliards de nos francs pour les familles les plus vulnérables sera mis en place, à l’échelle des 703 communes du Mali. Des critères de vulnérabilité évalués et consensuels conditionneront l’accès à ce fonds qui sera géré de manière collégiale et transparente, avec l’administration publique, les chefs de villages et de quartiers, les organisations citoyennes, les autorités morales désignées par les bénéficiaires eux-mêmes. Nous sommes pris à la gorge mais nous n’avons pas d’autre choix : nous avons un devoir de compassion vis-à-vis de nos sœurs et frères qui vivent d’un secteur informel pleinement impacté, lui aussi, par la pandémie.
De plus, en direction des couches les plus fragiles, les mesures suivantes sont prises :
● diminution pendant 3 mois, de la base taxable au cordon douanier des produits de première nécessité, notamment le riz et le lait ;
● prise en charge pour les mois d’avril et de mai 2020, des factures d’électricité et d’eau des catégories relevant des tranches dites sociales, c’est-à-dire les plus démunies ;
● exonération de la Taxe sur la Valeur Ajoutée les factures d’électricité et d’eau, de tous les consommateurs, pour les mois d’avril, mai et juin 2020 ;
● distribution gratuite de cinquante-six mille tonnes de céréales et de seize mille tonnes d’aliments bétail aux populations vulnérables touchées par le COVID 19.
A ce titre, il sera procédé, principalement, au renforcement du contrôle des prix appliqués par les brigades de la Direction Générale du Commerce, de la Consommation et de la Concurrence.
L’ensemble de la dette intérieure due au 31 décembre 2019 sera apuré, autant que sera diligenté le paiement des mandats au titre de l’exercice 2020 à hauteur de 100 milliards de FCFA.
Le Fonds de Garantie du Secteur Privé sera doté d’un montant de 20 milliards de FCFA destiné à garantir les besoins de financement des PME/PMI, des Systèmes Financiers Décentralisés, des industries et de certaines grandes entreprises affectées par la pandémie.
Des remises d’impôts, au cas par cas et secteur par secteur, aux entreprises privées impactées par les mesures de prévention du COVID 19, en l’occurrence les secteurs les plus sinistrés tels que les industries touristiques (Hôtellerie, Voyages et Restauration), culturels et les Transports, afin de protéger les emplois.
Les crédits de toutes les entreprises sinistrées suite au COVID 19 seront restructurés et des orientations seront données aux banques, afin que les entreprises maliennes puissent bénéficier des concessions accordées par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Enfin, une prime spéciale sera payée au personnel de santé mobilisé ainsi qu’aux éléments des forces de sécurité et de défense affectés à la surveillance du couvre-feu et des lieux d’attroupements éventuels.
Mes chers compatriotes,
Le gouvernement n’a pas d’autre choix que de s’assumer. Tout en privilégiant la pédagogie de la persuasion par le dialogue, il est le principal garant de la santé publique.
Dès lors, il examine, avec l’avis du Conseil scientifique, la possibilité d’isoler Bamako, épicentre de l’épidémie, du reste du territoire. La population sera informée de la décision qui sera prise dans les heures à venir.
Les heures d’ouverture et de fermeture des marchés, foires rurales et supermarchés sont revues et elles seront communiquées par les voies les plus appropriées.
Les écoles resteront encore fermées, le temps d’apprécier la situation. Les spécialistes sont à pied d’œuvre pour examiner les possibilités d’utiliser les médias pour dispenser des cours à distance.
Il reste, mes chers compatriotes, la question du second tour de scrutin des élections législatives, lesquelles sont normalement prévues ce 19 avril.
Ultime instance de validation des résultats, la Cour constitutionnelle vient de proclamer les résultats du premier tour des élections législatives.
Je rappelle que la décision d’aller aux législatives n’est pas le fait du gouvernement mais du Dialogue national Inclusif qui a mené ses travaux en totale indépendance, sans aucune interférence.
Du reste, une forte majorité des partis politiques, ne s’était-elle pas prononcée pour le maintien de la date du premier tour, à l’issue de la concertation entre ceux-ci et le Ministre de l’Administration Territoriale ?
Une telle décision du Dialogue National Inclusif résulte, c’est perceptible, d’une réflexion mûrie sur notre histoire immédiate, laquelle nous enseigne qu’en démocratie, rien ne vaut la pleine légalité constitutionnelle ainsi que le jeu normal des institutions.
Cependant, il est de la responsabilité du gouvernement de faire en sorte que lors du second tour des législatives, le 19 avril prochain, toutes les mesures sanitaires et sécuritaires requises soient rigoureusement appliquées.
J’y engage le gouvernement.
Maliennes et Maliens,
Je voulais vous parler. A certains, j’ai parlé comme parlerait un père. A d’autres un grand-père. A certains autres, un fils, un frère. A tous, je parle en tant que serviteur fier et honoré. J’assume la charge dans un temps de gravités successives et cumulées. Le destin a voulu qu’en ce moment le fardeau soit lourd. Mais je l’accepte. Car rien n’est plus grand que le Mali.
A mon tour, je voudrais vous supplier une fois de plus, chacune, chacun, toutes, tous, de vous protéger, de nous protéger en respectant les gestes-barrières et les mesures prises pour contenir la pandémie du COVID-19. En l’occurrence, ne voyez nulle théorie du complot, nulle manœuvre de diversion, mais la seule manière d’épargner à la nation les scènes d’apocalypse que nous voyons ailleurs.
Pour le confort de la nation, nous devons tous renoncer à quelque chose : une habitude, un réflexe, un confort, un droit. Mais nous n’y renonçons que pour espérer vivre, mieux vivre, vivre plus longtemps. J’ai grand espoir que nous nous retrouverons bientôt sur les mêmes nattes d’un pays profondément social. Quand tout cela sera fini et quand nous pourrons de nouveau nous donner la main et nous congratuler pour le combat de titan que nous aurons livré et gagné contre la Pandémie du COVID-19, qui est à l’heure actuelle l’ennemi No 1 de l’humanité.
Que personne ne s’y trompe ! Soyons unis ! Restons unis !
A la communauté chrétienne, je souhaite de bonnes fêtes de Pâques.
Plaise au Ciel que le Ramadan qui s’annonce dans quelques jours, se déroule dans des conditions satisfaisantes !
Plaise au Ciel également que notre frère Soumaila Cissé nous revienne très vite, libre et en bonne santé !
Qu’Allah bénisse le Mali !