Ce type de construction a l’avantage d’utiliser des matériaux locaux écologiques et ne nécessite pas de consommation d’énergie thermique pour la ventilation de l’habitat
L’ « écoconstruction » ou la « maison écologique » n’est plus l’apanage des écologistes avertis de l’Occident. Au Mali, la réduction drastique du couvert végétal, due notamment à la coupe du bois (beaucoup utilisé dans la construction), au surpâturage… dessille les yeux sur l’utilité de certaines techniques de constructions économes en énergie. Le choix se justifie par un chiffre qui donne froid dans le dos : 100.000 hectares de forêts disparaissent chaque année au Mali à cause des menaces suscitées , selon le ministère en charge de l’Environnement. Comment réduire la pression sur nos forêts, en minimisant l’utilisation du bois ? L’une des réponses pourrait se trouver dans la « maison écologique », appellation qui désigne toute habitation respectueuse de l’environnement. Ce type d’habitation fait le moins de pollution possible en réduisant les besoins et les pertes en énergie.
Actuellement, une technique de construction respectueuse de l’environnement attire l’attention des spécialistes maliens. Elle répond au nom de « voûte nubienne ». C’est un modèle de construction fait à base de matériaux locaux sans bois. Aujourd’hui, la technique permet d’utiliser uniquement des matériaux résistants locaux dans la construction et évite indubitablement, l’utilisation du bois. Elle contribue sans doute à la lutte contre la désertification, aux effets néfastes du changement climatique et également à la protection de l’environnement. Le mode d’habitat « voûte nubienne » (VN) est un procédé architectural antique, originaire de Nubie (actuelle Haute-Égypte) et historiquement inconnu en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, la voûte nubienne représente une réponse africaine aux problèmes du bâtiment sub-saharien. Cette technique permet de construire, avec un outillage basique des matériaux locaux et des compétences techniques simples, des habitations aux toitures voûtées. Sa spécificité consiste en l’utilisation de la terre crue, matière première abondante, malaxée sous forme de mortier et de briques séchées au soleil.
Réduire la coupe du bois- Les plus anciennes voûtes encore visibles sont à Louxor (ville du Centre-est de l’Égypte), elles datent de plus de 3.000 ans. Cette technique est identifiée dès les années 80 par l’ONG Development Workshop comme une réponse potentielle aux graves problèmes d’habitat auxquels sont confrontées les populations d’Afrique sahélienne. C’est à partir de 1998 que les co-fondateurs de l’Association de la voûte nubienne, Thomas Granier et Séri Youlou revisitent à leur tour la technique. Ils la simplifient et la standardisent afin de favoriser son appropriation par les populations locales. Selon le directeur général de l’Agence de l’environnement et du développement durable (AEED), Boureïma Camara, la technique dite de la voûte nubienne est un modèle de construction qui pallie le manque croissant de ressources ligneuses telles que le bois, la paille, et les perches. Les constructions en terre suivant le principe de la voûte nubienne, explique le spécialiste, sont fraîches, bien isolées, faciles à construire, composées de matériaux disponibles. Cette utilisation de la terre réduit la consommation du bois dans des régions sahéliennes très largement déboisées.
Le Mali est un pays saharien, voire désertique où le bois est très rare. « Nous vivons dans un milieu où le bois est rare et le béton coûte très cher. En faisant la promotion de ces matériaux et en les vulgarisant auprès des populations, elles pourront désormais construire sans être obligées d’aller couper la forêt pour accroître les effets néfastes du changement climatique et ainsi nuire aux conditions normales du climat et de l’environnement », argumente Boureïma Camara. Le spécialiste ajoute que pour parer à tout cela, il est nécessaire de vulgariser cette technologie pour améliorer les conditions de vie de nos populations. S’il y a un produit qui peut le plus manquer c’est le bois. Pour lui, là où il n’y a pas de bois pour porter la verdure, le changement climatique a de beaux jours devant lui. Donc, il est nécessaire pour nous d’utiliser tous les moyens pour avoir de nouvelles technologies, entre autres, la construction sans bois pour nous permettre de préserver nos écosystèmes notamment nos maigres forêts, dont nous disposons et dont notre vie dépend, du point de vue alimentaire ainsi que du point de vue sanitaire, concède-t-il. Précisant que ce modèle de construction sans bois, est une autre manière de construire la maison qui est moins chère par rapport aux autres. Mais il permet aussi, selon lui, d’être dans les meilleures conditions de vie. Les constructions traditionnelles, faites de bois, de tôles et de béton, sont chères et inadaptées au climat semi-désertique, souligne le directeur de l’AEDD qui rappelle que le changement climatique et la déforestation rendent le bois inaccessible.
« On peut construire des habitations, des bureaux, des établissements de santé, dans des styles différents. Les nombreux avantages de la VN en font, à ce jour, la technique de construction la plus prometteuse pour répondre à la problématique du logement adapté en Afrique. Bien qu’elle existe depuis longtemps, c’est aujourd’hui que nous sentons de plus en plus son intérêt. Maintenant, pour construire une maison, on n’est pas obligé d’investir des millions uniquement dans le toit en béton et en tôles. Aujourd’hui, si la science nous permet de construire les maisons à travers des matériaux locaux, c’est dans ce sens que nous devons aller, insiste le spécialiste. Il invite les Maliens à adopter la technique étant donné que les équipements sont faits de sorte que l’on utilise de l’énergie propre : l’énergie solaire ou éolienne. Les matériaux locaux utilisés sont aussi des matériaux de bonne conservation qui permettent d’éviter au maximum la chaleur et de vivre tranquillement à l’intérieur.
5 antennes régionales-Pour le coordinateur national de l’Association voûte nubienne (AVN) au Mali, Souleymane Boubacar Diarra, la pertinence de cette alternative architecturale est avérée. C’est pour cela qu’au regard de la situation de l’habitat au Sahel, ils ont fondé en 2000 l’AVN pour assurer le portage d’un programme de diffusion à grande échelle du concept. Depuis 20 ans, l’AVN a pour missions d’améliorer les conditions de vie, l’économie et la formation professionnelle du plus grand nombre par l’émergence et la croissance d’un marché de l’habitat adapté en Afrique sahélienne. Il estime que le programme porté par l’AVN apporte des réponses tant aux questions de logement, de formation professionnelle, d’économie, d’environnement que de climat. Selon lui, son association est un facilitateur de marché. Elle ne construit pas et ne donne pas de maison, mais agit avec ses partenaires pour l’appropriation locale du concept VN par la croissance de son marché.
Pour Souleymane Boubacar Diarra, le développement du marché de la VN permet le renforcement des économies familiales et locales par la transformation des circuits d’achat de matériaux d’importation en circuits économiques courts à haute intensité de main d’œuvre. Cette main d’œuvre provient principalement de jeunes sans emploi et de paysans en zones rurales, leur offrant l’opportunité d’un emploi de contre-saison culturale en saison sèche. Le programme de formation duale sur chantier et en salle, mené par l’AVN et ses partenaires opérationnels génère donc formation, employabilité, émergence d’une filière verte et croissance du marché VN. Selon lui, l’AVN contribue à l’amélioration générale des pratiques des acteurs du développement qui intègrent les problématiques de la filière construction dans une approche transversale répondant aux multiples défis des territoires, logement, formation professionnelle, renforcement des économies, environnement et adaptation/atténuation.
Le programme a débuté au Burkina Faso en 2000, puis s’est étendu au Mali en 2009 et au Sénégal en 2010. Forte de son expérience sur ces 3 pays, l’AVN a par la suite ciblé l’ouverture de son programme au nord du Bénin et du Ghana en 2014. Le bureau national d’AVN au Mali est situé à Ségou et le programme se déploie à partir de 5 antennes régionales (Ségou, Dioïla, Koutiala, San-Tominian et Banamba).
Par ailleurs, Souleymane Boubacar Diarra affirme que les économies en termes d’énergie sont notables pour les utilisateurs et cela est dû à la stabilité thermique de la VN qui rend le recours à la climatisation non nécessaire pour un confort intérieur. Selon lui, par les qualités de confort des bâtiments et leur résistance aux événements climatiques extrêmes, la filière construction VN permet l’adaptation du parc bâti aux conséquences du changement climatique. La filière construction VN permet également de répondre aux engagements nationaux pris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre en utilisant principalement des techniques frugales et des matériaux locaux à faible empreinte carbone (circuits courts, matériaux non transformés, etc.). Sur la durée de vie du bâtiment, si la VN est bien entretenue, elle peut être transmise de génération à génération. Les plus anciennes VN ont plus de 3.300 ans et sont toujours visibles au Ramesseum de Louxor en Haute Égypte. « Le matériau terre ne connaît pas de vieillissement chimique contrairement aux bois, acier et béton, et seule l’érosion due aux pluies peut altérer la durée de vie d’un bâtiment VN », soutient-il. Avant d’ajouter que les nombreux bâtiments construits depuis une vingtaine d’années dans le cadre du programme d’AVN et suivis par le pôle technique et les artisans VN ont largement démontré leur solidité et leur durabilité. Selon lui, la clientèle rurale dans son ensemble, avec près de 45.000 maisons VN utilisées, ne rapporte quasiment aucun sinistre important.
Makan SISSOKO
Source : L’ESSOR