Au Mali, il n’y a jamais eu autant d’observateurs étrangers pour une élection. Dimanche, ils seront plusieurs centaines, venus du monde entier, pour scruter le déroulement de la présidentielle. Parmi eux, quelque 250 délégués de la Cedeao et quelque cent délégués de l’UE. L’ancien ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel est le chef de cettte mission d’observateurs européens. Y aura-t-il de la fraude? A Bamako, il répond aux questions de l’un de nos envoyés spéciaux, Christophe Boisbouvier.
RFI : 100 observateurs européens pour près de 7 millions d’électeurs, est-ce que c’est suffisant ?
Louis Michel : Non ce n’est évidemment pas suffisant, mais il n’y a pas que des missions d’observation européenne, il y aussi une mission parlementaire européenne, la mission de l’Union africaine, la mission de la Cédéao. Nous travaillons quand même en étroite coordination avec toutes ces missions. Nous allons quand même voir 5 régions sur 8 et couvrir un maximum de ce que nous pourrons faire. On peut quand même se faire une idée assez exacte, de la manière dont ça se passe.
Vous êtes déployés dans 5 des 8 régions du pays mais pas dans les 3 régions du Nord ou la guerre à fait rage, est-ce que ce n’est pas dommage ?
C’est certainement dommage et j’essaye d’ailleurs de me rendre à Kidal, pour aller observer, parce que je sais que ça a un poids symbolique important aussi. Il y a quand même des chances sérieuses pour que j’y aille.
Plusieurs candidats soulèvent le problème de quelque 1 200 000 cartes d’électeurs vierges qui pourraient être injectées dans le circuit et fausser complètement les données du scrutin.
Oui, j’ai évidemment vérifié ces soupçons, et je dois vous dire que je suis assez rassuré. Je m’explique : à un moment donné, les autorités maliennes ont du passer une commande de matériel brut pour faire des cartes et il fallait donc faire une estimation. L’ancienne estimation portait sur 8 millions de cartes. On estimait donc que, probablement, ce serait autour de ce chiffre qu’on aurait celui des électeurs. Ils ont donc fait cette commande auprès d’un fabricant français. Ce fabricant français fabrique les cartes au fur et à mesure que le recensement se fait et on arrive aujourd’hui à plus ou moins 6 900 000 électeurs inscrits sur 8 millions. Il y a donc une différence de 1 100 000 cartes vierges, sur lesquelles il n’y a rien et qui ne sont donc pas, aujourd’hui, du tout opérationnelle. Où sont-elles ? Certains ont prétendu qu’elles étaient ici, à Bamako, au Mali. C’est absolument faux, ces cartes sont chez le prestataire de service français, c’est là qu’elles sont stockées, en France. Et c’est un bon à valoir sur le recensement d’état civil puisque cette carte a le grand mérite d’être à la fois une carte d’identité, d’être une carte d’identification sociale pour la gestion et la gouvernance quotidienne – par exemple, pour les statistiques, pour toutes ces choses là – et en même temps, une carte d’électeur.
C’est à dire ?
C’est en fait une carte qui est extrêmement moderne, qui est très sécurisée, avec des éléments biométriques, avec des empreintes, avec un numéro d’identification, donc c’est une carte qui, techniquement est pour ainsi dire, infalsifiable. On ne peut donc pas, sur cette carte, injecter des données qui seraient fausses ou qui ne correspondraient pas au fichier électoral.
J’ai eu un entretien extrêmement précis, poussé, avec le ministre de l’Administration territoriale, qui nous a vraiment rassuré sur ce point. Nous avons vérifié si ces cartes étaient bien en France : elles sont bien en France et elles ne vont pas revenir, ici, au Mali.
Y’a-t-il, comme le disent certains candidats – les mêmes –, des pressions de militaires et de religieux sur les citoyens pour qu’ils votent en faveur d’un candidat et pas des autres ?
Ça je pense que, d’abord, pour un certain nombre en tout cas de gens représentatifs de la société civile au sens large, il ne nous appartient pas de dicter la conduite des religieux, voire des militaires, sincèrement c’est extrêmement difficile pour nous d’en faire un élément d’irrégularité ou de fraude. On peut regretter ça au niveau de l’ambiance générale d’une élection le cas échéant. Mais je crois qu’il ne faut pas grossir cet élément là outre-mesure.
Il y a eu un putsch dans ce pays il y a plus d’un an. Est-ce que la junte du 22 mars 2012 ne peut pas influer sur le cours des choses ?
Vous savez, toute force négative peut toujours jouer sur le cours des choses. Le sentiment qui est le mien c’est que, dans le fond, les autorités transitionnelles ont montré une capacité d’organiser le processus électoral de manière assez opérationnelle et assez efficace, ce qui, en tout cas, ne permettra pas le moindre doute sur la légitimité de celui ou de celle qui émergera, in fine, de cette élection.
Dire que ce sera une élection à 100% parfaite : non, bien entendu, il y la question du peu d’engouement des réfugiés pour s’inscrire, il y a la question des déplacés. Mais il faut quand même dire que tout ça est assez marginal.
Au vu de la polémique sur les cartes d’électeurs, est-ce que vous ne craignez pas, après le premier tour, de graves contestations, voir des manifestations de rue ?
Je connais la qualité des candidats qui s’affrontent, je n’imagine pas que l’un de ces candidats puissent être tenté par la politique du pire et donc je ne suis pas dans le mode pessimiste. Sans doute aussi parce que je connais la plupart des candidats et que ce sont des personnalités de qualité.
Par Christophe Boisbouvier/ RFI