«La vérité sort de la bouche des enfants», dit-on. On fait ainsi référence à l’innocence qui permet à ceux-ci de percevoir et de formuler des faits qui échappent aux adultes. Cette même innocence qui leur fait aussi dire des choses que les adultes auraient préféré taire ou ne pas entendre. Cette «innocence», les enfants la partagent sans doute avec les ivrognes et aussi les fous qui sont connus pour dire plus haut ce que les autres pensent tout bas, des vérités toutes crues à qui veut l’entendre.
Cette innocence, qui s’assimile aisément à la sagesse et à la clairvoyance, permet à «Xam Xam, le fou dans la foule» (El Hadj Boubacar Diallo) de briller dans «Idoles», la série (drame) sénégalaise dont la saison 6 passe présentement sur «A+». A notre avis, c’est l’une des personnalités les plus captivantes de cette série. Ce fou a visiblement tout perdu sauf la raison. Comme le décrit un critique, «il est pétri de talents. Son rôle a été décisif durant les deux premières saisons. A travers ce personnage, les scénaristes d’Idoles ont pu transmettre beaucoup de messages à la société sénégalaise. Des messages qui s’adressent aux citoyens, aux autorités, aux journalistes, aux forces de l’ordre…» !
C’est justement l’une de ses sagesses martelées dans un récent épisode qui nous inspire notre chronique du jour. Il y parlait de patriotisme ! Un mot très en vogue ces deux dernières années dans notre pays ; malheureusement en tant qu’expression et non comme valeur. Pour «Xam Xam» (lire Ham Ham), aimer son pays, c’est de l’avoir permanemment à l’esprit, penser à son image et à ses intérêts dans tout ce que nous faisons, dans tous les actes que nous posons au quotidien. Et selon lui, le meilleur exemple de patriotisme doit venir des élites et de ceux à qui le peuple offre fréquemment la destinée du pays.
Montrer la voie, ce n’est pas lui tenir des discours démagogiques ou populistes, mais ne pas condamner la majorité de la population à la misère en se réservant (et aussi à tout son clan) une luxueuse vie. Pour «Xam Xam», par patriotisme, les dirigeants doivent se soigner dans le pays, ne pas envoyer les enfants étudier ailleurs… faute d’investissements conséquents dans les domaines clés comme l’Éducation, la Santé… «Xam Xam» voudrait-il dépeindre la réalité malienne qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Un pays où l’école publique a été sacrifiée en faveur des établissements privés sans aucune garantie de la qualité de l’enseignement. Un État où le système sanitaire est fragilisé par l’affairisme à tous les niveaux de la pyramide sanitaire avec des spécialistes qui continuent à émarger à la Fonction publique tout en s’enrichissant dans leurs cliniques privées où il est facile de se faire ausculter par eux que dans les CSCOM, les CsRef et dans les hôpitaux qui sont devenus des mouroirs par la force des choses.
Les réformes, aussi hasardeuses et qu’inopportunes, ont vidé notre système éducatif de toute sa valeur, de son équilibre social qui était garanti par exemple par l’accès aux grandes écoles (ENA, ENI, ENSUP… EMP) après le Bac. Aujourd’hui, il faut au moins 6 ans pour boucler un cursus de 4 ans. Et cela pour faire des étudiants de carrière des chômeurs potentiels. «Autrefois, quand son enfant avait le Bac, c’était presque la fin du calvaire pour un parent. Mais, aujourd’hui, c’est le début. Si tu n’as pas les moyens d’inscrire ton école dans une école supérieure privée, mieux vaut l’envoyer apprendre un métier parce qu’il va passer de longues années dans les facultés pour venir chômer. Il faudra continuer à prendre ton enfant en charge au moment où cela devrait être le contraire», nous confiait un responsable d’association de parents d’élèves dans les coulisses des états généraux de l’Education (16-19 janvier 2024).
«C’est à cette impasse que sont condamnés les bacheliers dont les parents n’ont pas les moyens. Sinon ceux dont les parents sont haut placés ou riches vont étudier à l’extérieur avec ou sans bourse de l’Etat. Et ils reviennent travailler alors que les nôtres continuent à user leurs pantalons sur les bancs des facultés fantoches», ajoute-t-il avec beaucoup d’amertume. Le Mali a «un système éducatif qui a des problèmes endémiques…», a diagnostiqué Adama Ouane, ancien ministre de l’Education nationale et président de la séance plénière des états généraux de l’Education.
Refonder l’enseignement sur les valeurs et mémoires maliennes en commençant par la connaissance de soi ; procéder à une profonde restructuration des matières et concevoir une didactique des disciplines réfléchies liées à la langue de l’élève ; enseigner progressivement toutes les matières dans les langues nationales à tous les niveaux d’enseignement de façon progressive ; assurer l’adéquation de la formation aux besoins des ressources humaines du marché de l’emploi et des ambitions pour l’essor de la nation dans une vision prospective, créer de nouvelles Facultés de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie dans les régions ; l’intégration de la langue des signes dans le curriculum de l’enseignement et assurer la promotion dans les services publics et le développement des filières agropastorales dans les écoles fondamentales et secondaires ; créer un ordre de promoteurs d’écoles privées pour moraliser la création et la gestion de ces établissements, élaborer une convention collective pour le secteur privé ; accélérer le processus d’intégration des écoles coraniques dans le système éducatif en les dotant d’un curriculum officiel et en leur octroyant une subvention ; rendre attrayante et incitative la fonction enseignante…
Combien parmi la centaine de recommandations de ce forum vont être réellement mises en œuvre dans un secteur où la corruption a eu raison de l’excellence et de l’égalité des chances ? Pour ce faire, il faudrait que le renouveau éducatif soit dans l’intérêt de tout le monde au Mali. Nous savons tous quel sort est généralement réservé aux recommandations de ce genre de fora budgétivores auxquels beaucoup participent par intérêt pour les perdiems et non parce qu’ils sont animés d’une réelle volonté de contribuer à l’atteinte des objectifs énumérés dans des discours démagogiques. A la différence peut-être des Assises nationales de la refondation (ANR) qui inspirent presque toutes réformes entreprises pour la rectification de la Transition.
Cela n’aurait pas été une exception si le patriotisme, qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres, était une réalité concrète, perceptible dans le comportement de tout un chacun. C’est le vrai patriotisme qui est le bouclier le plus efficace pour préserver la souveraineté. Il ne consiste pas à mobiliser les foules à n’importe quelle occasion pour leur tenir un discours aussi démagogique que populiste. Mais, plutôt d’exhorter les citoyens, notamment la jeunesse, à travailler pour mieux asseoir cette souveraineté. Et pour ce faire, il faut qu’ils soient aussi assurés que travailler honnêtement, en mettant en avant l’intégrité morale et la conscience professionnelle, va leur permettre de mieux s’épanouir à partir de la sueur de leur front tout en profitant à l’émergence socio-économique de la patrie. C’est aussi le défi à relever pour que le Mali Kura ne soit pas un rêve ou une désillusion de plus !
Moussa Bolly