Cher grand-père, la fête s’est bien passée et nous voilà de nouveau. On reprend les choses. On reprend tout. Comme la lune et le soleil dans un mouvement linéaire et cyclique, on reprend tout et rien ne change. Tout se reprend entre l’hivernage, la saison froide, la saison sèche, l’harmattan. Le vent chaud qui souffle et le vent froid qui glace. Tout passe et le temps passe sans grands impact autre que l’âge et la peau qui vieillissent. L’eternel recommencement sans jamais aller nulle part.
Oui cher grand-père, je me demande si cet éternel recommencement à la case de départ ne nous a pas ramenés dans les années 1958. Où, Abas la France ! Vive la Russie ! Abas l’impérialisme vive l’Afrique ! Résonnaient partout dans les enclos. Des cris qui cachaient peut-être à cette époque aussi, Abas les élections, vive le despotisme ! Abas la Démocratie, vive la dictature ! C’était le même slogan ! La même chanson ! Les mêmes applaudissements ! Les mêmes paroles ! Et les idées contraires étaient prises à l’extrême et jugées apatrides. Elles méritaient la mort jamais les débats contradictoires.
Oui cher grand-père ! C’était le même élan, la même passion et les mêmes émotions. Dignité-honneur et fierté ! On criait les indépendances ! On décriait le néocolonialisme pardon le colonialisme. On ne prêchait que le ressenti et la haine par un nationalisme démesuré. On criait ! Meeting par-ci et meeting par-là. Ceux qui avaient compris que c’était la mauvaise piste ont été pendus et la plupart des princes se sont faits des fauteuils à l’image du Blanc. Mais hélas ! Cher grand-père, 60 ans après, les mêmes revendications, les mêmes discours résonnent encore dans les mêmes enclos. Les mêmes cris de cœur, les mêmes préoccupations, surtout les mêmes chants. Et ceux qui chantent bien l’impérialisme deviennent des icones et des leaders. L’intellectuel et l’ignorant s’accommodent dans les mêmes discours et les mêmes débats. Encore, un peuple patriote exonéré de toute citoyenneté, de républicanisme et de Démocratie est appelé à bâtir une nation. Au XXIème siècle !
Et alors cher grand-père, pendant ces 60 d’indépendance, qu’avons nous fait ? Cultiver pendant l’hivernage avec notre daba, pécher à l’harmattan avec nos hameçons et aller au pâturage avec nos petits troupeaux pendant le froid. C’est dans ça que 60 saisons se sont passées chez nous. Et nous voilà encore à la case départ. Revendiquant : « Indépendance, souveraineté, fierté ». Même si aux revers, c’est aussi « Abas les élections, Abas la Démocratie et vive le despotisme » ! Et aussi l’eternel recommencement. L’eternel retour à la case de départ. Pour d’autres 60 ans encore ?
Sur ce, je te laisse et à mardi prochain pour ma 28ème lettre. Amine !
Lettre de Koureichy