Coup de chance pour ceux qui ont encore quelques dollars zimbabwéens cachés sous leur matelas : jusqu’à 30 septembre, les espèces de cette monnaie, qui n’est plus en usage depuis 2009, peuvent de nouveau être échangées contre des dollars américains. Et ce, sous l’égide d’un « programme de démonétisation » que la banque centrale du Zimbabwe a lancé en juin. Le taux de change est de 250 millions de milliards de « zimdollars » contre un dollar américain. Pour les comptes bancaires encore libellés en « zimdollars », la banque centrale offre un taux plus généreux, à savoir 5 dollars américains contre 175 millions de milliards de la monnaie locale.
Suite à la crise d’inflation galopante qui a frappé ce pays voisin de l’Afrique du Sud et du Botswana au début des années 2000 – le prix d’une miche de pain a dépassé les 35 millions de zimdollars – la banque centrale du Zimbabwe a choisi d’abandonner « son » dollar pour un système où de multiples devises étrangères sont utilisées en parallèle. Elle espérait ainsi stabiliser les prix. Ce qui a fonctionné.
Depuis, les Zimbabwéens ont officiellement le droit d’utiliser neuf monnaies différentes, dont le rand sud africain ou l’euro. Maintenant que ce pays d’Afrique centrale se débarrasse pour de bon de sa vieille devise – dont les billets de 100 000 milliards sont vendus aux touristes comme souvenir – il cherche à intégrer une nouvelle monnaie : le yuan chinois.
Des projets financés par Pékin
Le Zimbabwe a déjà des relations économiques importantes avec la Chine. Et le gouvernement de Robert Mugabe, dirigeant autoritaire du pays depuis 1980, s’est fixé pour objectif de les renforcer, avec une politique économique de plus en plus tournée vers l’Asie. Selon les statistiques de la CIA, l’agence américaine de renseignements, presque un quart des 3,2 milliards d’euros d’exportations zimbabwéennes étaient à destination de l’empire du Milieu en 2014, soit 675 millions d’euros.
L’ambassadeur de Chine à Harare, a annoncé, le 6 mai, que le montant d’investissements chinois au Zimbabwe s’élevait désormais à 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros). Un chiffre qui pourrait bientôt doubler. En août 2014, Pékin s’est en effet engagé à financer des « mégaprojets » d’infrastructure dans le pays, dont le montant est évalué à 2 milliards de dollars.
Mais malgré l’importance des échanges avec l’empire du Milieu et des investissements chinois, le yuan peine à irriguer l’économie zimbabwéenne. En 2014, la banque centrale du Zimbabwe a pourtant ajouté cette monnaie au panier de neuf devises constituant désormais ses réserves, espérant que cela favoriserait son usage. Mais c’est bien le le billet vert qui reste malgré tout la devise reine, surtout pour les échanges commerciaux. Renée Connolly, une responsable du cabinet de conseils financiers DeVere Group à Harare, confie ainsi qu’elle n’a elle-même jamais entendu parler d’une transaction en yuan. « Certaines personnes utilisent le rand sud-africain pour quelques achats quotidiens, mais là aussi, le dollar reste le premier choix », précise-t-elle.
Le billet vert, devise reine
Une domination du billet vert que les autorités zimbabwéennes aimeraient remettre en cause. Lors d’une visite à Pékin en juillet, le vice-président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, aurait sollicité auprès du gouvernement chinois l’autorisation d’utiliser plus largement le yuan dans son pays, ont rapporté plusieurs médias chinois.
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« Le yuan fait déjà partie de notre système de réserve, et notre objectif de l’utiliser plus largement se fonde sur des faits : la Chine est le pays numéro un du commerce international et sa monnaie monte en puissance de manière inévitable », a de son côté expliqué Paul Chikawa, l’ambassadeur du Zimbabwe à Pékin, lors d’un entretien avec le Herald, le principal quotidien du Zimbabwe, le 1er août.
De son côté, Pékin ne cache pas ses ambitions de faire entrer le yuan dans les réserves des banques centrales mondiales et d’en faire une véritable monnaie d’échange, concurrençant le dollar, qui domine le commerce mondial depuis les années 1970.
Cette stratégie d’internationalisation de sa devise a été entamée en 2005, avec l’assouplissement progressif des règles d’utilisation du yuan à l’étranger. Avec succès, même si la route sera longue : selon Swift, l’entreprise spécialiste des transferts de données bancaires, la devise chinoise a ainsi grimpé au cinquième rang des monnaies les plus utilisées pour les paiements internationaux en janvier. Il y a deux ans, elle n’occupait que la treizième position.
Discipline budgétaire
Peut-on imaginer qu’un jour, le Zimbabwe utilise le yuan sous forme de pièces et de billets, pour la vie quotidienne de ses citoyens, comme l’Equateur utilise le dollar américain ? Cela semble délicat, car contrairement au billet vert, le yuan reste une devise partiellement convertible, qui ne circule quasiment pas sous forme de pièces et de billets hors de Chine. Son utilisation au Zimbabwe concernerait donc essentiellement les transactions financières.
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De fait, l’ancien ambassadeur en Chine et membre actuel du cabinet de M. Mugabe, Chris Mutsvanga, a indiqué au Herald du 7 août que les entreprises de l’empire du Milieu intéressées par les « mégaprojets » d’infrastructures de Pékin dans le pays désirent que leurs investissements soient libellés en yuan, afin d’éviter les frais d’échange.
« Les investisseurs chinois pensent que Harare peut être la prochaine capitale enregistrant une forte croissance en Afrique, mais ils veulent faire des affaires via les banques de leur pays et dans leur propre monnaie », a-t-il expliqué, suite à une rencontre avec des financiers chinois.
La suspension du « zimdollar » a contraint l’Etat à une certaine discipline budgétaire : le fait de ne plus être maître de sa monnaie lui interdit les déficits budgétaires excessifs. Mais la crise d’hyperinflation a cédé la place à des problèmes de liquidité que la banque centrale peine à traiter.
La situation financière du pays est tendue à cause du ralentissement de la croissance – elle ne devrait pas dépasser les + 2 % cette année, contre + 8,7 % en moyenne sur la période 2009-2012. Le lancement des « mégaprojets » financés par la Chine aurait assurément un effet stimulant fort salutaire. En somme, ce n’est pas tant d’une injection de yuans dont le Zimbabwe a besoin, mais d’investissements et de cash, quelle que soit la devise…
Robert Williams-Urquhart
Source: lemonde