Quelques heures seulement après l’enlèvement de Paul Boro à son domicile sis à Koulouba non loin du commissariat de police, notre équipe s’est rendue sur place pour y rencontrer son épouse. Madame Boro Fatoumata Kane nous fait ici le récit de l’événement.
Madame BORO Fatoumata KANE
«C’était aux environs de 19 heures 30. Je m’apprêtais à préparer le dîner et notre gardien s’était rendu dans la boutique d’à côté… J’étais assise devant la cuisine et je les ai vus faire irruption dans la maison. Ils étaient environ une cinquantaine et il y avait trois parmi eux habillés en civil. Ils ne portaient pas de tenues et ils portaient des cagoules. Ces trois personnes en question portaient des habits civils qui recouvraient leurs uniformes de policiers. C’était bien des policiers ! Ils ont pointé leurs armes sur moi et sur notre fillette de 10 ans[sur la photo].
Paul était à l’étage. Ils sont montés en courant. Ils l’ont arrêté et mis une cagoule sur sa tête et l’ont amené dans le salon. Ils ont commencé à fouiller la maison et tout mettre sens dessus-dessous. Un d’entre-deux appelait et j’ai entendu «COMPOL »[Commissaire de police]… Ils avaient aussi un Talkie-Walkie.
Ils ont accédé à nos chambres et ont cassé la serrure. Ils pouvaient tout simplement demander la clef ! Ils ont fouillé partout : armoires, tiroirs, valises, sous le lit… Ils n’ont rien trouvé ! Rien que des documents de l’Association Mali-Kanu à laquelle appartenait Paul. Et aussi, son autorisation de port-d’arme ainsi que la seule arme qu’il gardait dans son véhicule.
Ils nous ont dit avoir appris que nous avions des armes à domicile. Mais ils venaient de constater qu’il n’en était rien ! Je les ai même aidés en ouvrant toutes les portes ainsi que les malles. Rien ! Ils ont emporté son sac à main, nos téléphones, l’ordinateur portable, les tablettes appartenant aux enfants et autres affaires personnelles dont les miennes soit au total 4 téléphones et 2 tablettes… Ils ont décidé de nous amener tous avec eux.
Mais en sortant et arrivés au niveau de la porte, ils ont appelé le nommé «COMPOL» et lui ont dit qu’ils nous amènent tous. Mais la voix dans le talkie-walkie a dit : «non, il faut épargner sa femme» ! Alors ils m’ont violement poussée à l’intérieur et ont amené mon mari. Avant de partir, je leur ai demandé de me remettre mon téléphone ? Ce qu’ils ont fait après vérification du numéro.
Il y avait plus de 20 véhicules et ils ont bloqué toutes les issues. Les fidèles qui revenaient de la mosquée nous ont dit qu’ils ont été interdits d’accès à leurs maisons respectives. Tout le quartier est sorti pour voir. Leurs véhicules n’avaient pas de plaques d’immatriculation… Je suis à mesure d’identifier au moins trois d’entre-deux.
On raconte des mensonges sur les réseaux sociaux. Ils n’ont retrouvé chez nous qu’une seule arme dont le port était au demeurant autorisé. Rien d’autre !
Je demande aux autorités de respecter les libertés d’opinion, d’expression et d’association. Paul était RPM et il a, par la suite décidé, de soutenir SoumaïlaCissé. Où est le mal ? On prétend qu’il s’est rendu à la marche avec des armes. Faux ! On ‘était parti faire la fête au village à Markala. On a coïncidé avec la marche à notre retour. Ils racontent du mensonge.
Je demande à tous les Maliens de bonne volonté de nous aider. Qu’ils libèrent mon époux. Il est innocent. Il n’est pas le seul à quitter le RPM pour Soumaïla. Mais pourquoi lui ? C’est dire qu’il y a autre chose en-dessous ! Je prends le monde entier à témoin : nous ne possédions pas d’armes ! Et tous les voisins du quartier sont témoins : ils n’ont rien trouvé ! Ils n’ont montré aucun mandat de perquisition ou de la justice. Ils ont fait irruption chez nous ; nous ont menacés avec leurs armes ; nous ont fait monter et descendre de l’étage et ont amené mon époux ! Point !
Ils ont aujourd’hui le pouvoir, mais qu’ils agissent en toute justice et dans la légalité. Ils n’ont pas le droit de se conduire de cette manière. Même un bandit ne doit être arrêté de cette façon ! Ils ont certes le pouvoir aujourd’hui, mais celui de Dieu est leur est supérieur. Nous nous confions à Lui ! »
B.S. Diarra &Bamanandén
Décryptage
Drôles de zèbres !
Une chose est certaine et Madame BORO ne se trompe pas : les kidnappeurs de son époux sont de vrais policiers. Pour autant, elle se trompe lourdement sur un autre point…
Lorsqu’une simple mère de famille parvient à identifier des policiers habillés en civil à travers leurs uniformes cachés en dessous, à voir et entendre distinctement les propos échangés à travers un Talkie-Walkie, à dénombrer le nombre d’assaillants ainsi que la particularité des véhicules d’intervention (pas de plaques minéralogiques sur aucun), c’est dire alors que les assaillants en question avaient bien l’intention de laisser des indices pouvant mener à eux ? Mais à quelle fin ? Là est toute la question !
Le récit de la victime est limpide et ne laisse le moindre doute quant à l’identité des kidnappeurs. Il s’agit bien d’un kidnapping dans la mesure où une arrestation légale aurait respecté une démarche : un mandat de justice. L’on ne saurait évoquer la grève des Magistrats dans la mesure où les Procureurs assurent en ce moment le service minimum. Ce n’est donc pas l’impossibilité de trouver une autorité compétente susceptible de délivrer un mandat légal !
Aussi, aux dernières nouvelles, nous apprenons que l’otage Paul Boro a été transféré à la Gendarmerie du camp I. La preuve manifeste que c’est bien l’œuvre du régime politique en place lequel semble visiblement soucieux de corriger la maladresse.
En laissant autant d’indices derrière eux, disions-nous, l’on comprend aisément que les kidnappeurs avaient souci de laisser un message à tous les détracteurs et adversaires politiques du régime en place : une menace doublée d’une tentative d’intimidation visant à faire admettre que tout contradicteur s’expose à des représailles de cette nature de la part des forces armées et de sécurité.
Une mise au point est ici, indispensable : la démarche est l’œuvre de quelques éléments égarés au service du prince et du plus offrant et ne représentent, par conséquent, nos forces armées et de sécurité lesquelles, dans une écrasante majorité, restent républicaines ! Nous le savons pour avoir été la victime des membres de cette milice.
Leur méthode consiste à humilier, à discréditer et à détruire les foyers. Ils sont payés pour les besoins de la cause. Et ils se cachent derrière des masques (cagoules), des individus (souvent des délinquants et même des repris de justice) et derrière l’Etat (de hauts gradés de l’administration policière relavant d’un commandement hors de contrôle de la traditionnelle hiérarchie). De pauvres agents sont hélas entrainés ! Mais tout le monde sait qu’il n’y a qu’un seul maraudeur à Markala : il s’appelle Binadjan !
Pour autant, Madame Boro se trompe lourdement lorsqu’elle soupçonne le RPM d’être à l’origine des malheurs de son foyer. Le parti présidentiel n’en a ni les moyens ni le dessein. Une telle démarche lui serait d’ailleurs fatale. Son président (BocaryTréta) ne s’est-il pas officiellement désolidarisé de la prétendue «Brigade d’IBK», cet escadron de la mort en gestation ? Ce parti (le RPM), disons-le, est autant victime que la famille BORO.
Par ailleurs, l’avenir du parti présidentiel d’aujourd’hui est loin d’être compromis même au-delà d’IBK. En somme tout comme l’ADEMA a survécu à Alpha, le PDES à ATT, le RPM est susceptible de survivre à IBK seulement s’il ne commet pas d’impairs de même nature que ceux ayant empêché l’UDPM de survire à Moussa Traoré. Ses responsables le savent. Ils ne commettront donc la même erreur que ceux de l’ex-parti unique !
En tout état de cause, les auteurs de ce coup qui n’est pas une première du genre sous IBK, ne lui rendent pas service. Au contraire ! Ils le rendent responsable d’éventuels troubles et souillent du coup sa mémoire de son vivant ! Parce qu’il semble cautionné et a d’ores et déjà donné le ton en proférant publiquement des menaces… Tout comme Moussa Traoré en 1991 ! Les Maliens n’ont pas la mémoire courte contrairement aux apparences !
C’est, en tout cas, le lieu de rappeler ce serment du président de la République du Mali : «je jure devant dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la constitution et la loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité africaine».
Quelqu’un a visiblement oublié de respecter ses engagements !
B.S. Diarra
La Sentinelle