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Le sport, planche de survie pour des migrants africains en Espagne

Karim et Yves, partis du Cameroun, ont risqué leur vie à travers l’Afrique pour atteindre l’Espagne et réaliser leur rêve: l’un joue au football et l’autre au rugby. Mais leur vie quotidienne reste un parcours d’obstacles.

Yves Kepse Tchonang, 1,73 m et 112 kilos de muscles, est première ligne au Rugby Club de Valence, un club de deuxième division espagnole dans l’est du pays.

Karim Issa Abdou, 27 ans comme lui, joue à 700 km de là, à Jerez de la Frontera, dans le petit club de football Alma de Africa (« Ame d’Afrique »), majoritairement composée d’émigrés africains: Camerounais, Marocains, Nigérians, Sénégalais ou Guinéens.

Ils ne sont pas les seuls à atteindre les côtes espagnoles avec l’espoir de réussir dans le sport. D’après les ONG et les migrants eux-mêmes, un quart des nouveaux arrivants déclarent vouloir devenir joueurs professionnels.

Mais la plupart ne font que traverser l’Espagne, où le taux de chômage est un des plus élevés d’Europe, pour chercher fortune plus au nord.

Karim et Yves sont sportifs amateurs, non rémunérés pour jouer. Leur vie est faite de petits boulots mais ils bénéficient de la solidarité de leur entourage et sont intégrés grâce au sport.

– Odyssée africaine –

Karim, un jeune homme mince au rire contagieux né dans une famille de nomades, a quitté Ngaoundéré, dans le nord du Cameroun, à l’âge de 10 ans avec un ami.

Il n’est arrivé que sept ans plus tard, en 2008, à Melilla, une des deux enclaves espagnoles au nord du Maroc qui forment les seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique.

Le franchissement de la triple clôture lui a laissé une longue cicatrice à la cuisse gauche, malgré les cinq pantalons passés l’un sur l’autre pour se protéger des barbelés tranchants.

Avant de l’escalader, il a survécu trois ans dans la montagne du Gourougou au Maroc, qui surplombe Melilla, après un voyage éreintant à travers le Nigeria, le Niger et l’Algérie.

« Quand tu es un gamin, parfois des gens te prennent ton téléphone, ce que tu as, tes sacs, tes habits, ton argent… tu recommences à zéro », raconte-t-il, des écouteurs autour du cou. « Si j’avais su ce que je vivrais jusqu’à maintenant, je ne serais pas venu. »

D’autres joueurs d’Alma d’Africa ont surmonté des épreuves similaires. Malick Doumbouya, un Guinéen de 18 ans, raconte avoir été séquestré par des islamistes dans le nord du Mali. « Ils nous ont retenus jusqu’à ce qu’on leur donne tout notre argent. »

Son coéquipier Christian Tchikagoua, un Camerounais de 22 ans, a perdu son meilleur ami, qui s’est noyé en tentant de gagner l’enclave de Ceuta à la nage.

– Cicatrices et petits boulots –

En 2017, plus de 28.000 migrants sont arrivés en Espagne et plus de 220 ont perdu la vie en Méditerranée.

Yves Kepse porte également des cicatrices du franchissement des barbelés de la frontière. Il raconte avoir quitté en 2012 sa ville natale de Bafoussam dans l’ouest du Cameroun, en « priant pour ne pas mourir » en cours de route. « Je n’aurais jamais quitté ma maison si j’avais su ce qui m’attendait », dit-il lui aussi.

Il a financé son voyage en travaillant comme électricien, maçon ou déménageur pour 1,50 euro par jour. L’étape la plus dure a été le Niger, dit-il. « Là-bas, au moment de te payer, on appelle la police. »

Mais « si je retournais (chez moi), c’est comme si je me retrouvais au point de départ. Comme si cette souffrance n’avait servi à rien », dit Yves pour expliquer sa ténacité.

Une fois en Espagne, les migrants ne sont pas au bout de leurs peines: il leur faut trouver du travail, un logement et obtenir un titre de séjour.

Le Rugby Club emploie Yves comme réceptionniste et électricien pour 850 euros par mois et l’a aidé à être régularisé en août dernier.

Karim, lui, n’a toujours pas obtenu ses papiers. Il vit de petits boulots non déclarés, comme jardinier ou laveur de voitures.

– Vivre comme des fantômes –

« Ce sont des fantômes », témoigne Alejandro Benitez, président d’Alma de Africa. « On ne se rend pas compte de la peur qu’ils ont. »

Karim vante la « stabilité » que lui apportent son club et sa compagne espagnole, avec qui il est marié depuis peu, assurant que cela l’a sorti de problèmes de drogue et lui permet de mieux supporter la peur d’une éventuelle expulsion.

« Si je n’avais pas l’équipe, et si je n’avais pas ma femme, je ne serais pas ici », dit-il.

Ils rêvent de devenir sportifs professionnels, un but difficile à atteindre pour l’instant.

Alma de Africa grimpe depuis 2015 les échelons des championnats régionaux, mais dépend des dons et des sponsors et a du mal à s’en sortir financièrement, explique Alejandro Benitez, qui encourage ses joueurs à se former et à chercher du travail.

Fran Baixauli, président du club où évolue Yves Kepse depuis quatre ans, lui donne le même conseil. « Je lui ai toujours dit: ne perds pas le nord, suis la formation que tu peux. Si c’est comme électricien, et bien deviens électricien », dit-il. « Le sport ne dure pas toute une vie. »

Les sportifs ne perdent toutefois pas espoir de percer un jour.

« Si tu travailles dur, tu sais que si une équipe te remarque, tu peux changer de catégorie. Le rêve, c’est de vivre de ça, même si on ne gagne que 1.000 euros par mois », dit Karim. « On ne sait jamais. Un jour ou l’autre, une porte peut s’ouvrir. »

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