Lors de l’avant-dernière journée de la 77e Assemblée générale des Nations unies, le colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre (Pm) par intérim du Mali est venu en force avec une délégation et une trentaine de manifestants hostiles à la France. Dans un discours très offensif, il a multiplié les critiques virulentes, notamment à l’égard de la France, la Côte d’Ivoire, le Niger et la Guinée Bissau.
Solennel, froid, en grand bazin blanc, Abdoulaye Maïga n’a épargné personne lorsqu’est venu le moment pour lui de prendre la parole à la tribune de l’ONU. Ni Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations unies, à qui il a aimablement rappelé qu’il n’était pas un « chef d’État ». Ni le président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embaló, qui préside la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Ni le président nigérien, Mohamed Bazoum, qualifié « d’étranger qui se réclame du Niger ».
Le successeur de Choguel Maïga a invité le numéro 1 de la Guinée-Bissau et par ailleurs président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), Umaro Sissoco Embalo, à ne pas confondre « le principe de subsidiarité » qui existe entre la CEDEAO et les Nations unies et le principe de mimétisme. Il est fait référence ici au fait que le président Embalo s’est aligné sur la lecture du patron de l’ONU, selon laquelle les 49 soldats ivoiriens détenus au Mali, ne sont pas des mercenaires. Le colonel Maïga a également signifié à Embalo, la nécessité de ne pas briser « la dynamique ayant fait la grandeur de la CEDEAO ». Au président nigérien, le colonel Maïga a adressé des mots qui font froid dans le dos. Parlant en effet de lui, il a utilisé le vocable « d’étranger qui se réclame du Niger ».
Mais ses attaques les plus létales ont visé la France, avec une formule répétée trois fois sous les applaudissements de sa délégation : « Les autorités françaises, profondément anti-françaises pour avoir renié les valeurs morales universelles, ont trahi le lourd héritage humaniste des philosophes des Lumières et se sont transformées en une junte au service de l’obscurantisme. »
Seul Sekou Touré a employé le même champ lexical
À Jupiter, c’est-à-dire le président Macron, le colonel Abdoulaye Maïga a fait observer que c’est la France qui « soutient et arme les terroristes » et qu’i dispose de preuves pour le Conseil de sécurité. . Une « junte française » qui « instrumentalise » des droits de l’Homme pourtant « respectés » au Mali.
En somme, pour le Premier ministre malien, le comportement de l’ancienne puissance coloniale à l’endroit de son pays, est une trahison « du lourd héritage humaniste des philosophes des lumières… » Les mots choisis sont durs et l’on peut se risquer à dire que seul Sékou Touré a employé le même champ lexical pour décrire l’attitude de la France vis-à-vis de son pays. Et cela s’est passé dans un contexte où la France était en rupture totale avec la Guinée à cause du « Non » de Sékou Touré lors du référendum instituant la communauté franco-africaine proposée par De Gaulle en 1958 à ses anciennes colonies. Touré, à l’époque, avait associé à ses diatribes anti-françaises, Senghor et Houphouët Boigny, considérés alors comme des valets locaux de l’impérialisme de l’ancienne puissance coloniale.
Aujourd’hui, Assimi Goïta et ses camarades sont dans la même posture. Et c’est l’Ivoirien Alassane Ouattara qui fait office, à leurs yeux, de suppôt de l’impérialisme français. En tout cas, les autorités maliennes voient derrière tout ce qui se trame contre leur pays ou ce qui se dit de mal contre le Mali, la main de l’enfant de Kong. Selon elles, Embalo et autre Bazoum ne sont que les garçons de courses ou les « bons petits » de ce dernier. Les récriminations des autorités du Mali sont d’autant plus virulentes à l’endroit de Ouattara que pour elles, le président ivoirien n’est pas moins putschiste qu’elles, lui qui s’est rendu coupable d’un coup d’état constitutionnel dans son pays pour s’octroyer un troisième mandat.
Sur l’affaire des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali, rien de nouveau. Les autorités de Bamako « ne s’ingèrent pas dans les affaires judiciaires », a juré Abdoulaye Maïga : « Les récentes synchronisations des actions et l’organisation des éléments de langage, consistant à faire passer le Mali, mon pays, du statut de victime à celui de coupable dans cette affaire des mercenaires, sont évidemment sans effet. »
Le discours du PM malien peut amener les uns et les autres à se poser des questions
C’est cette réalité que le Premier ministre malien a décrite à la 77e Assemblée générale de l’ONU, quand il rappelle l’histoire « du chameau qui se moque du dromadaire ». En réalité, Abdoulaye Maïga a produit du Choguel Maïga bonifié. En effet, son prédécesseur, il y a un an à la même tribune, à propos du retrait de Barkhane décidé par Macron, a pu parler de « lâchage du Mali en plein vol par la France ». Aujourd’hui, Abdoulaye Maïga enfonce le clou en parlant d’une France qui « soutient et arme » les terroristes. Il reste à se demander si ce discours martial suffira à faire bouger les lignes. Ce long et virulent narratif du Premier ministre a certainement des aspects où on peut trouver à redire. Mais, par endroits, le Premier ministre a dit tout haut ce que beaucoup de citoyens africains pensent tout bas. Sa référence au troisième mandat de Ouattara, qu’il juge aussi condamnable que les coups d’état militaires, tient par exemple la route. D’ailleurs, en comparant le nombre de victimes occasionnées par les deux cas, on peut dire que le 3e mandat de Ouattara a fait plus de dégâts en termes de morts que ne l’a fait le coup d’État de Goïta au Mali. Certaines récriminations faites à la France peuvent paraître aux yeux de certains Africains, exagérées. Mais, elles peuvent amener Paris à revoir son approche de la question terroriste au Sahel. La France doit d’autant plus la revoir que les opinions publiques africaines, de plus en plus, sont critiques vis-à-vis de nos ancêtres Les Gaulois. Même au sein de l’hexagone, des voix s’élèvent pour inviter les autorités à revoir leur copie en matière de lutte contre le terrorisme au Sahel. Le Conseil de sécurité de l’ONU, auprès duquel le Mali a sollicité une réunion pour, dit-il, présenter des preuves que la France soutient des groupes terroristes au Sahel, en a aussi pris pour son grade. Bamako dénonce la lenteur observée par l’institution que dirige Antonio Gueterres pour répondre à sa sollicitation.
Pour le colonel Abdoulaye Maïga, cette attitude de l’ONU n’est pas innocente, ce d’autant plus que le Mali détient des preuves qu’il est prêt à lui présenter. Si la volonté de Bamako était de mettre cette organisation onusienne face à ses responsabilités, le Mali aura réussi. De ce point de vue, on peut dire que le discours du Premier ministre peut amener les uns et les autres à se poser des questions, les vraies. Car, ce qui est en jeu ici, c’est la survie même des pays du Sahel.
En attendant, un engagement a été pris : des élections libres en 2024, pour un Mali « libéré des forces obscurantistes et destructrices du monde ».
Jean Pierre James
Source: Le Nouveau Réveil