«Le Mali Kura que nous sommes en train de bâtir doit donner un autre sens à la justice pour que les populations ne perdent pas confiance» ! Telle est la conviction récemment assénée par un leader
/Sous nos cieux, il est très risqué voire audacieux de parler de la justice, surtout de ses travers car l’épée de l’outrage à magistrat peut être très tranchante. Mais, comment résister à la tentative de s’engouffrer par une brèche ouverte par des acteurs qui, depuis des semaines, s’affrontent sans concession ? Et cela d’autant plus que nous sommes tous convaincus que le déclin de la justice a contribué à conduire ce pays dans l’impasse. Ce qui fait de sa réhabilitation une pierre angulaire devant en partie contribuer à renforcer la cohésion entre les différentes composantes de notre société. Un rôle essentiel ! Malheureuse ment, les réponses apportées dans ce sens par
positions de l’article 84 du Code pénal.
Mais, il faut plus pour intimider les intéressés qui semblent prendre du plaisir dans cette partie de ping-pong avec l’autorité de tutelle. Le président de l’AMPP et la Refsyma a tenu à rappeler au ministre que «la procédure disciplinaire du magistrat n’est pas sujette à l’humeur ou au bon vouloir d’un gouvernement, qu’elle est minu
Mahamoudou Kassogué, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des sceaux
politique malien. La refonda tion de l’Etat nécessite aussi le renforcement de l’État de droit. Une conviction forte ment partagée aujourd’hui dans toutes les sphères socioprofessionnelles et qui rend aussi inéluctable une re fondation des justices nationales dans de nombreux États.
Revoir l’ancrage institutionnel du Conseil supérieur de la ma
notre justice ne sont pas encourageantes.
tieusement réglementée pour
s’étaient déjà soldées par la
de la loi portant statut de la
gistrature pour soustraire la
«La CNDH, tout en sa luant les efforts du gou vernement, déplore qu’à la date d’aujourd’hui, la Maison centrale d’arrêt (MCA) de Bamako compte 3 590 pensionnaires, dont 2 910 en détention provisoire, soit plus de 81 % des pen sionnaires en détention provi soire» ! C’est ce qu’a rappelé le président de la Commis sion nationale des droits de l’Homme (CNDH), M. Agui bou Bouaré, dans une décla ration publiée à l’occasion de la 6e Journée africaine de la détention provisoire célébrée le 25 avril 2023.
Et à la CNDH de rappeler que les instruments de pro tection des droits de l’Homme consacrent le droit d’être jugé dans un délai raisonnable conformément aux disposi tions des articles 9 du «Pacte international» relatif aux droits civils et politiques et 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. «Ces instruments prescrivent le caractère ex ceptionnel de la détention avant jugement, étant en tendu que la liberté est le principe», a souligné le prési dent Bouaré dans sa déclara tion.
Dans le contexte malien, l’ex ception s’est malheureuse ment muée en règle absolue. Et au même moment, d’émi
nents magistrats sont déter minés à se crêper le chignon reléguant ainsi au second plan les vrais problèmes de la justice malienne. En effet, ces dernières semaines, on assiste à un spectacle peu réjouissant entre le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux et certaines organisations de magistrats, notamment la Ré férence syndicale des magis trats et de l’Association des poursuivants (AMPP). Et il n’a pas caché sa détermina tion à combattre les fron deurs pour les ramener sur le droit chemin.
En effet, outré par les «com portements déviants de cer tains magistrats et avocats» (de plus en plus engagés dans l’arène politique par op position aux autorités de la Transition), le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme aurait saisi le Conseil supérieur de la ma gistrature pour l’ouverture d’une enquête disciplinaire et ordonné au Procureur géné ral près la Cour d’appel de Bamako d’ouvrir une enquête judiciaire pour opposition à l’autorité légitime et toutes autres infractions révélées. Les faits reprochés aux ma gistrats «rebelles» sont sus ceptibles de constituer le délit d’opposition à l’autorité légi time prévu et puni par les dis
qu’un ministre, dans le souci de redorer son blason, puisse prétendre l’initier à la légère sur un coup de coeur, pour satisfaire les caprices de quelques princes du jour».
Quant à Dramane Diarra, il a rappelé qu’il avait déjà averti le ministre de l’illégalité de sa saisine et de l’incompétence de l’Inspection des services judiciaires. «Si vous avez vu ou reçu ce rapport de l’Ins pection des services judi ciaires dont vous vous accaparez, sans discerne ment les conclusions, vous devriez avoir constaté que ni le rapport, ni les procès-ver baux le constituant ne portent ma signature. Pour cause, j’ai relevé l’incompétence de l’Inspection des services judi ciaires à vouloir m’entendre, intuitu personae, en dehors de mon service qu’est la Di rection nationale des affaires judiciaires et du sceau et l’il légalité de sa saisine par Monsieur le ministre de la Justice… à Monsieur l’ins pecteur en chef des services judiciaires à la date du 16 fé vrier 2022», avait-il men tionné dans sa réaction en date du 3 novembre 2022 !
Les vrais problèmes de la justice et les attentes des justiciables occultés
Ce débat met à nue les pro fondes divisions au sein de la magistrature malienne et qui
création d’un 3e syndicat. Elles avaient déjà pris une nouvelle ampleur avec l’ar restation de feu Soumeylou Boubèye Maïga placé sous mandat de dépôt le 26 août 2021. Un fait qui avait profon dément divisé les magistrats et outré ceux pour qui la Coup suprême n’avait pas la compétence de juger un an cien ministre alors qu’elle a ouvert une procédure contre plusieurs personnalités du ré gime de feu Ibrahim Bouba car Kéita. Et du coup, elle s’est exposée à la critique de certains magistrats et avo cats qui ne se sont pas gênés pour dénoncer une juridiction «caporalisée».
C’est dans ce contexte que le texte portant modification de la loi organique fixant l’orga nisation, les règles de fonc tionnement de la Cour suprême et la procédure sui vie devant elle est venu jeter l’huile sur le feu. Cette légis lation a été adoptée au CNT et promulguée malgré l’oppo sition manifeste des syndi cats de la magistrature qui ont dénoncé une violation de la loi portant statut de la ma gistrature et évoqué une at teinte à l’indépendance de la magistrature, une violation du caractère impersonnel de la loi… La colère des magistrats est aussi liée au fait qu’ils ré clament en vain la relecture
magistrature et réclament sans succès le classement des juridictions depuis des années.
La loi portant modification de la loi organique fixant l’orga nisation de la Cour suprême apparaît alors comme une volonté politique de maintenir dans «l’illégalité absolue» une dizaine de personnes en espérant ainsi régler la pro blématique du déficit des res sources humaines au niveau de notre justice. Le hic, c’est que le débat actuel de très haut niveau ne nous avance en rien par rapport aux at tentes des Maliens pour une justice saine et transparente. A la rigueur, on pouvait les applaudir si nous avions même un mince espoir que ce bras de fer va permettre de soustraire notre justice du joug de l’exécutif. Mais, nous n’avons aucune garantie dans ce sens au stade actuel des débats plus focalisés sur des individus (magistrats supposés en rupture de bancs) que la réhabilitation d’un corps (magistrature) et d’une institution (la justice) très malades.
Et pourtant l’enjeu, à ce ni veau, est énorme car déter minant pour la réussite et la pérennité des réformes en treprises dans le cadre de la refondation de l’Etat si chère aux autorités de la Transition.
justice de l’influence de l’exé cutif
Les attentes des Maliens en la matière sont nombreuses. Ainsi, au niveau local par exemple, les citoyens souhai tent que le juge soit par exemple au plus près du jus ticiable qui attend une justice plus proche de ses valeurs, de ses préoccupations et de ses rythmes. A nos yeux, au lieu de se crêper les chi gnons, le ministre et ses ad versaires au sein de la magistrature rendraient un énorme service à la nation en réfléchissant et en produisant sur l’indispensable réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par exemple. Une grande partie des problèmes de la magis trature voire de la justice de notre pays est liée à l’an crage institutionnel du CSM. En effet, on ne peut pas par ler d’indépendance de la jus tice et du principe de la séparation des pouvoirs alors que l’exécutif coiffe la hiérar chie de la magistrature. Il ne faut pas se voiler la face, cela est aujourd’hui un handicap majeur pour la réhabilitation de notre justice.
En tout cas, si le «Mali Kura» est réellement un projet im portant à leurs yeux, les au torités de la transition doivent sortir du folklore, de l’intimi dation et de la terreur pour réellement prendre à bras le
MAGISTRATS CONTRE MAGISTRATS
Cheick Mohamed Chérif Koné convoqué aujourd’hui au tribunal
corps la réorganisation de notre Justice dans toutes ses composantes. Notre convic tion est que de la réussite de
Accusé à tort ou raison «d’op position à l’autorité légitime», le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné doit répondre ce matin (3 mai 2023) aux juges du tribunal de la commune V de Bamako. Annonçant du coup une confrontation entre magis trats. Son confrère Dramane Diarra, lui aussi, dans le colli mateur du ministre de la Jus tice, est également concerné par cette convocation.
La convocation de l’ancien Avo cat général du parquet, Cheick
Mohamed Chérif Koné, fait baver certains de ses confrères du parquet. Cette bataille de titans fait craindre des éclaboussures à la tête de la justice, une institution honnie et pointée du doigt pour être à l’origine des maux du Mali.
Dans un communiqué rendu public en avril dernier, le ministre de la Jus tice, Garde des sceaux, Mamoudou Kassogué, a dénoncé le comporte ment «déviants» des magistrats
Cheick Mohamed Chérif Koné et Dra mane Diarra. «Ces derniers temps, certains acteurs de la justice, magis trats et avocats, s’adonnent à des sorties médiatiques intempestives contraires à leur statut et jurant d’avec les règles de déontologie no tamment l’obligation de réserve et le devoir de retenue», dénonce le com muniqué.
«Malgré ses mises en garde», cer tains magistrats continuent à militer activement dans l’espace politique s’abritant derrière un syndicat de ma gistrat, en l’occurrence la «Référence syndicale des magistrats» et une or ganisation dénommée «Association malienne des Procureurs et poursui vants» participent aux activités d’un groupement fondamentalement poli tique et porteur de revendications de nature absolument politique appelé «Appel du 20 février 2023», déplore le communiqué.
Le ministre de la Justice accuse éga lement Cheick Mohamed Chérif Koné d’oser prendre même la tête de ce mouvement politique. Le ministre
Kassogué juge cela inacceptable et décide manifestement d’agir contre les deux magistrats en saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour l’ouverture «d’une enquête dis ciplinaire». Tout comme il a aussi or donné au Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako l’ouverture «d’une enquête judiciaire» contre eux pour «opposition à l’autorité légitime et toutes autres infractions que les enquêtes feront découvrir».
Une bataille judiciaire s’ouvre donc entre magistrats faiseurs de loi. Dans un poste sur les réseaux sociaux, Cheick Mohamed Chérif Koné a confirmé sa convocation par la justice ce mercredi matin.
Connu pour ses positions tran chantes et acerbes sur certaines questions d’intérêt national, le magis trat Koné ne connaît apparemment pas la langue de bois. Il n’hésite pas à dénoncer des «dérives» ou à don ner son point de vue sur certaines af faires qui défraient la chronique. Au sein de l’opinion publique, ils sont nombreux à le voir comme une voix
Cheick Mohamed Chérif Koné, un brillant magistrat déterminé à en dé coudre avec le ministre de la Justice
discordante au service de la vérité. En tout cas, ses prises de position font grincer des dents au sein de sa propre corporation et dans le cercle du pouvoir actuel. Frappé d’ostra cisme et vilipendé pour ce faire, il fait l’objet d’incompréhension de nombre de ses confrères magistrats au point d’être poursuivi par la justice qu’il est censé lui-même rendre. «Dura lex sed lex», dit-on. La loi est dure, mais c’est la loi.
Après tout, un magistrat n’est-il pas justiciable ?
Hachi Cissé
Source: Le Matin