Les présidentielles prochaines au Mali ont comme un air de la petite danse indansable du « doni dongoma ». Aller en avant est comme faire un cautère de vote sur la jambe de bois de l’insécurité généralisée dans le pays. Aller en arrière est faire le vote “comme d’habitude” avec ses petits arrangements, en particulier la procession habituelle d’aspirants de même plumage y compris le rempilage du président sortant, qui reconduiront une situation sans issue.
Rester sur place est d’évidence une impasse car toute ruse pour perdurer sera punie par la rue comme lors de la tentative avortée de révision constitutionnelle ou les tentatives apparentes pour remettre un génie Ras Bath dans sa bouteille. Mais comme on le sait le diable ne nous demande rarement plus que de le laisser faire. Et le génie s’est remis lui-même dans sa bouteille. Dans cette contredanse malienne avec ses satrapes, djinns et autres lutins, le Mali se met autour du cou l’albatros que les marins lâchent sitôt capturé car considéré comme l’âme des marins perdus qui porterait malheur. Comme porterait malheur la danse du Duga, oiseau d’égale augure que l’albatros, pour celui qui n’est pas préparé, comme le Mali pour ses élections.
S’imposer benoitement des élections malgré les périls montre l’incurie de l’élite et que les maliens ne décident pas mais exécutent un script dont le moindre mal est la traque du pouvoir. Comme dans l’analogie périlleuse, seul le ciel garde l’œil du chameau de l’épine où il broute ! Aussi, le devoir de sauver un pays qui nous a tout donné peut-il faire des foules le peuple pour conjurer et crise de scrutin et aléa de gouvernance prévisibles. Ainsi, le coup de force, de grâce ou de palabres dépendra si la transition qui sortira des élections est moins partisane que celle qui aurait pu être sans elles et plus dissemblable que les foules dont les élections sont issues. Sortir ainsi du piège électoral peut être libérateur quand on sait l’apprivoiser et séparer choisir de subir. La discussion suivante essaie de motiver cette habileté par devoir de responsabilité et doter si possible nos concitoyens et candidats présidentiels à nous disposer des cieux plus favorables.
Triste état des lieux électoraux : État défaillant, corruption généralisée et instabilité chronique
Quand la corruption règne et l’urne manie, la foule et non le peuple fait les élections. Le peuple des Ante Abana d’hier perd son âme aujourd’hui dans les foules des campagnes présidentielles, des « remplissages » de Stade du 26 mars ou des « lissages » de Ras Bath/Cdr. Qu’elles soient à 2.000 francs ou à rhétorique fumeuse, elles sont toutes autant d’illusions et d’autocrates car tenant pour profond tout ce dont elles ne peuvent voir le fond. Un fond qui manque le moins au Mali avec son théâtre d’ombres autour de dirigeants marqués par défaut et déficit et autour d’opposants soumis aux mêmes tares et se faisant même payer pour s’opposer. Le tréfonds en est des jeunes qui compromettent leur avenir et l’espoir de leur génération pour un sou ou un lustre à l’irrésistible parchemin de chef de gouvernement ou de chef de la rue, d’ailleurs sans autre mérite qu’abêtir davantage une foule juvénile déscolarisée et oisive.
Doit-on aussi implorer le ciel de nous garder des quiproquos de tribun n’ayant pas tiré les leçons des leaders estudiantins du 26 mars 1991 ou des “patriotes” qui bavardent mais ne se retrouvent pas ! Courir après des postes conduit à la même infamie que courir pour des députés. Certaines plateformes politiques arrivent seulement maintenant à la saison de l’Adema triomphante de 1992 de la formule des Pspr (partis signataires du pacte républicain) ou offrir postes ministériels contre émasculation des leurs. Ici, il s’agit d’offrir des possibilités de députés contre ralliement. Et s’arrimer à ceux réputés de ne pas convaincre par les idées mais par payer leur influence laisse deviner la nature des ralliements. C’est la politique du ventre, la recherche de la pitance quotidienne ou faire bouillir la marmite. Courir après la machine électorale des autres peut vous faire écraser en cas d’arrêt comme Blé Goudé. À l’inverse, armer sa propre cause peut vous mener à une course caravanière comme Guillaume Soro. Les plus entreprenants font foule par parti ou rassemblement en attendant de vendre leur bétail puis abandonnent leurs partis pour leurs familles, leurs amis pour leurs courtisans et surfer sur la vague du moment.
Arrêter le démantèlement des valeurs intellectuelles, morales et patriotiques de l’homme malien
D’évidence, les foules sont devenues une somme d’erreurs et d’illusions qu’il faut corriger. C’est l’illusion du bambara pour informer le commun quand en fait la faillite scolaire l’impose et fait de problèmes les autres langues. C’est la démesure des contrevaleurs telle quand la parole prime la langue à l’instar de l’adage peul que c’est du vent dont la source ne tarit pas et le contenant ne s’emplit pas. C’est l’illusion populiste de dénonciations qui dépouille qui écoute et habille qui parle. C’est encore l’illusion prédicatrice quand le naufrage spirituel a dépouillé l’âme d’un grand peuple de ses atours soninké, sonrhaï, dogon, bobo, peul, tamasheq, bozo, etc., pour une vaine nouveauté et lui a donné des meneurs comme réponse à sa misère psychique. C’est enfin pain béni au pouvoir en place qui, acculé rien que pour son pareil, se sent donc incité à rester. Les tortues avaient jadis pu craindre le vautour mais désormais peuvent ignorer le chien qui aboie et se jauger car elles savent où se mordre comme disent les bambaras.
Que dire du spectacle de campagnes présidentielles sans contenu ni teneur et dont la kermesse et les festivités sont le langage codé que le bal des brigands sera la récompense d’écarter les vrais propriétaires comme le président Modibo Kéita le disait de la jeunesse spoliée ? Mais ces jeunes ont vu les fameux « démocrates convaincus et patriotes sincères » – Dcps pour court – dire être mieux que Moussa Traoré mais faire pire ; ils ont aussi vu Att faire regretter Aok et Ibk faire regretter Att, ainsi de suite, dans une détérioration continue… Ils savent que la version malienne du dilemme cornélien entre « zon naloma et zon kegouma » ou entre « bama falen et bama kongoto » est un choix entre fonctionnaires milliardaires ! Si l’unité de mesure de la popularité n’est plus la vertu mais le remplissage de stade, alors les maliens n’ont pas encore réalisé que l’argent ne doit pas faire les élections d’un pays, encore moins un pays par terre ! Un politicien les achèterait et règnera pour se faire rembourser son investissement ! Il faut guérir notre démocratie en ne vendant plus mais en donnant nos votes par dignité et honneur !
Néanmoins quand la folie des foules se généralise dans une troisième, quatrième ou énième plateforme électorale, l’espoir de la guérir peut renaître de n’être plus réduit dans des dilemmes lénitifs. Aussi convient-il, comme dans les cas aviaires précédents où le malheur est évité par la grâce de l’albatros ou par les exploits du guerrier fameux devenu un héros légendaire du Duga, de recourir au peuple souverain pour dompter le sort. Liquider l’impunité et contrer l’arrogance des malfaiteurs économiques et politiques qui repose sur l’opacité du système. La lutte contre la corruption est une urgence à ne pas réduire à une affaire de morale. Liquider l’analphabétisme en créant des alphabets nouveaux pour les langues nationales. Aussi réarmer le débat politique car il perd son sens quand il se réduit aux affaires personnelles.
Quand le pays est par terre, il faut commencer par une lutte farouche contre les leaders vides mais omniprésents et sans lien avec le peuple avec leurs scripts allogènes et convenus et thèmes néolibéraux aussi nocifs que le protectorat actuel sur un État malien absent. L’émancipation est ardue car le Mali subit aussi les concurrences économiques et les rivalités politiques des puissances étrangères. Tout ce que nous ne réglons pas sera une dette pour nos enfants. Il s’agit plutôt de l’essor de tous, si seulement en propageant les idées qui libèrent l’esprit des autres des despotismes malheureux de ceux qui se contentent d’écraser leurs parents abrutis de malheurs.
Démolir le système par sang neuf des maliens tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être
Tout choix implique une décision puis un changement puis un défi. Le défi de s’affranchir d’un système qui voue le Mali à l’insécurité et au complot intercommunautaire pour mieux l’assujettir et le morceler. Je disais en septembre dernier que changer le système changera ce que les gens font mais changer ce que les gens font ne changera pas le système. La doctrine Hollande d’être « intraitable » sur la courte tenue des élections est la pâture efficace pour maintenir l’élite politique dans son panier à crabes. Elle ferme la porte aux nouveaux sans machine électorale et réserve la danse aux anciens avec pâturages et bétails électoraux, sans autre idéal que la sortie des sortants pour faire régner leurs égos et leurs entourages.
Les élections n’étaient pas d’abord prévues à cause du projet de réforme constitutionnelle qui faisait outre l’illégitimité et l’illégalité d’un aveuglement regrettable. Mais la reddition qui a marqué son échec le 3 août 2017 avait permis la reprise du pouvoir au nez d’une opposition politique exsangue qui n’osait le saisir et à la barbe d’une foule redoutable mais vaine. Changer de président n’a de sens qu’en s’assurant que le pays n’échoit à ceux qui l’ont pillé. « Tout Sauf Ibk » est une politique du pire qui s’accommode de tout, Adema et mutants Rpm, Urd et Miria et Dcps qui suivent leurs objectifs mais voient les objectifs du Mali couler. Les oiseaux de la même espèce voleront et mangeront ensemble. Les politiciens actuels à la place de Ibk plutôt que le remplacement de tous, nous conforteront comme la grenouille dans la marmite d’eau sur le feu.
La proximité des politiciens et forces de l’espoir tue l’espoir
La sagesse populaire nous prévient de ne pas laisser ce qui peut nous avaler nous humer. Les jeunes militaires ayant ramassé le pouvoir par terre en 2012 méditent aujourd’hui en prison d’avoir fricoté avec la classe politique actuelle. Depuis 1997, elle injecte pions et jetons de présence pour mieux confisquer les élections et alterne soupe et diète pour mieux confisquer le pouvoir. Cette danse infernale a maintenu les mêmes gens au pouvoir de « l’ère démocratique » malgré la banqueroute de leur État ou l’occupation de leur pays suite à la démilitarisation de l’armée et son retrait du nord pour acheter le répit des rebelles et trafiquants et se protéger du risque de putsch. La proximité des partis et des associations, juste pour mettre un oiseau à la place de l’autre met le changement en otage comme les malinkés le disent de la mouche qui veut finir dans le miel. Juste un autre président à la place de l’ancien sans innovation de système n’est pas un combat mais une forfaiture. Le vrai combat est de guérir le Mali de la mauvaise gouvernance par l’avènement d’animateurs capables d’aider les maliens à concilier leurs aspirations à la modernité et leur attachement aux valeurs traditionnelles. Les Touareg disent bien que cent souris conduites par un lion valent mieux que cent lions conduits par une souris. Mais il faut craindre que les souris de cette ère trompeuse ne soient autres que des servals.
Les jeunes ayant misé imprudemment leurs espoirs s’en tirent avec une élection et un marché de dupes. La montagne d’une candidature du peuple a accouché de la souris d’un manifeste mauvais usage de la popularité ! Les jeunes n’auront que leurs jambes pour traverser le Sahara, leurs bras pour nager la Méditerranée et leurs yeux pour pleurer. Les moins jeunes se rappellent Abdoul Sy à Radio-Mali déclamer les slogans tels : « Trois sortes de voleurs sont recherchés par la police : les bandits qui attaquent la nuit ; les commerçants qui font le trafic ; le client des trafiquants. Toi, quelle sorte de voleur, es-tu ? ». Mais il en oubliait la quatrième : le fonctionnaire milliardaire !
Plus de construction politique dans l’équivoque
En attendant de retrouver les chemins de sa destinée le Mali doit assumer son destin. Il s’est longtemps fourvoyé dans une crise dite du nord, plus du centre, à trouver une issue militaire à une impasse politique. Privé de l’aide de son élite, mais avec le triste palmarès de la mission onusienne la plus meurtrière, ce peuple se réveille lentement de sa confusion par la maladresse de l’inoculation terroriste-djihadiste ou sa variante de violence intercommunautaire qui trame un recours sur mesure. Cette dernière occurrence active le ras le bol des maliens qui affleure.
Les fameux Dcps continuent leur œuvre de jeter de l’huile sur le feu des dogons et peuls arguant que ces derniers sont le ciment de la nation malienne voire africaine selon une apparente doctrine qu’un mensonge qui fait l’affaire vaut mieux qu’une vérité qui l’embrouille. Car dire seulement une partie de la vérité est le début du mensonge. Ils taisent que dogons et autres groupes humains sont tout autant et chacun le ciment et le béton de toutes les nations africaines. Gageons que ce ciment peul ne soit pas Radio Mille Collines et soit déjoué le plan de déstabilisation régionale d’attiser l’esprit de violence au Mali. Le mensonge est un symptôme. Il faut se doter de moyens idéologiques conséquents quand les maîtres ne doutent pas de l’aveuglement de ceux qu’ils se préparent à piéger par un récit qui alimente de grotesques divisions et des clans dérisoires.
L’actualité aussi ne manque pas de faire penser à l’éducation traditionnelle de « sans-papiers » comme Mamoudou Gassama ou Lassana Bathily qui sauvent des vies humaines sans faire attention à la leur. Comme elle ne manque pas de nous rappeler Serval/Barkhane ayant fait foule pour sauver le Mali mais finissent par exacerber ses vies humaines en s’y éternisant avec les décorums de Minusma et G5 Sahel. Peut-on dire que l’éducation traditionnelle malienne aura permis la générosité en France que l’école française n’a pu chez nous ? Si nos dirigeants avaient été éduqués à mener une politique digne sans corruption et népotisme, ces « sans-papiers » ne se seraient pas exilés et seraient dans l’armée ou les sapeurs-pompiers maliens voire devenus à leur tour sauveteurs. La réalité reste que toute la jeunesse candidate à l’émigration et survivante du Sahara et de la Méditerranée, est pistée et traquée par coopérations étatiques et reconduites.
Un programme qui aurait pu être : une nouvelle dynamique de développement
L’indépendance nationale s’est abimée dans un délitement systématisé par le putsch de 1968, la capture du bien public par des intérêts privés, la pénurie des moyens et déséquilibre des budgets. L’accord de paix d’Alger a vécu, cela est évident, et son attirail militaire de rescousse montre de plus en plus sa vanité sinon sa nocuité. Le président Moussa Traoré a rappelé en février dernier les propos d’un ex-ministre français de la défense que « les Touaregs sont nos amis » et demandé si les maliens étaient les ennemis de la France ? Soit des lévriers pisteurs éponymes du Sahara, mais à composer avec la minorité aventureuse de la minorité targuie, quel est ce sauvetage du Mali ? On dit que la plus belle ruse du diable est de nous persuader qu’il n’existe pas.
Le réveil de l’esprit collectif axé sur un sentiment de solidarité est le seul porteur d’une nouvelle dynamique de développement. Il doit relever les défis dont l’urgence de remettre l’État debout. Il s’agit de l’imprescriptibilité des crimes économiques et crimes politiques telle la haute trahison. Il s’agit de la criminalisation de l’incitation à la violence intercommunautaire que d’aucuns dénonceraient comme ethnocentrisme et régionalisme dans l’espace public. Il s’agit de la non éligibilité des binationaux aux fonctions suprêmes et échelons stratégiques de l’État. Il s’agit de mieux faire la décentralisation et la territorialisation du développement – pas la régionalisation. Il s’agit de l’encadrement strict de la grève dans les secteurs vitaux comme l’éducation et la santé. Il aussi s’agit de la réforme politique pour une meilleure expression de l’opinion.
Un proverbe corse dit que si tu veux grand mal à ton ennemi, souhaite-lui une élection dans sa famille. Le Mali prépare des élections dans sa famille et ses politiciens n’en ont cure et son élite n’en a clé. Les élections sont le désir d’un moment mais l’éducation est le premier besoin du peuple après le tô et la sûreté. Le Mali a des ressources dont il ne doit pas se laisser distraire par des faire-valoir “islamistes” sécessionnistes, autonomistes ou djihadistes s’appelant Iyad ag Ghali ou Amadou Koufa ou plus subtil encore. Il doit déjouer ce piège par l’essor social et économique en otage d’incompétente gouvernance entre junte et Dcps et la prolifération d’associations de toutes sortes pour cultiver le particularisme, le régionalisme et l’individualisme. Face à cette confusion, prudence a plus de part au succès que force ou ruse. Aussi me vient-il à l’esprit cette pensée d’un musulman peu connu mais citoyen du monde et par ailleurs célèbre lauréat Nobel de littérature 2016 : « Si tu n’as pas tout ce que tu veux, réjouis-toi de ne pas avoir ce que tu ne veux pas ». En écho, le proverbe africain dit que si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. Celui qui veut le pouvoir par la négation des autres mais pas par sa propre valeur, marche seul ou pas du tout. Marchons ensemble et montrer que ce peuple est toujours capable de générer des hommes et des femmes pour le sauver de l’effondrement. Un peuple qui peut boucher par ses mains unies le canari commun percé. Un peuple qui peut bâtir un mur sans faille par laquelle puisse se loger un margouillat. Quand est ce que le silence du peuple sera la leçon des rois ?
Amadou Cisse, abscisse1@gmail.com
Washington, DC, USA
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Source: Koulouba.com