Le putsch malien du 18 août a résonné comme un coup de semonce en Afrique de l’Ouest. Les oppositions acclament les militaires, les Présidents en exercice s’inquiètent, la Cedeao se fissure. La sous-région est en effervescence à l’approche d’élections à haut risque. Analyse pour Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris*.
Décidément, ce mois d’août ne laisse aucun répit aux Africains de l’Ouest comme aux observateurs de cette région. À la journée de contestation mouvementée du 13 août en Côte d’Ivoire, où six personnes ont été tuées, s’est ajouté le coup d’État du 18 août au Mali. Celui-ci est vécu par les opinions publiques ouest-africaines comme une victoire de l’opposition au Président Keïta, alors même que cela n’est, bien entendu, pas aussi simple et limpide.
Ismaël Wagué, porte-parole de la junte, a d’ailleurs déclaré que le Comité national de salut du peuple (CNSP), désormais au pouvoir à Bamako, «n’a aucun lien avec la coalition du M5-RFP» le mouvement de contestation né le 5 juin 2020. En outre, tous les Maliens ne sont pas aussi euphoriques, certains restent dans l’expectative.
«Nous avons l’expérience des sauveurs qui deviennent des bourreaux», résume un intellectuel bamakois.
Il n’empêche, ils sont nombreux à estimer que la destitution d’Ibrahim Boubakar Keïta est le fruit de la victoire du peuple malien. Les premiers à s’en réjouir sont les oppositions ivoiriennes et guinéennes qui se retrouvent, elles aussi, prisonnières d’une crise politique sans issue. «L’exemple» malien pourrait-il être une solution à leur problème?
Le journaliste guinéen Marouane Camara exprime ainsi une opinion assez largement partagée: «Toute armée qui portera les aspirations nationales contre des mal élus et qui prendra les choses en main sans effusion de sang pour rétablir la démocratie, c’est-à-dire la voix véritable du peuple, et ensuite retournera dans les casernes, cette armée-là aura l’onction populaire. Trop c’est trop! Le Mali a donné le ton du dégagisme.»
La Cedeao, une institution démonétisée
Dans ces conditions, les communiqués de la Cedeao et les sanctions que cette organisation sous-régionale a prises, le 19 août, à l’encontre du Mali ont été très mal perçus: fermeture des frontières, arrêt des transactions financières et de tous les flux économiques avec le Mali, rétablissement d’Ibrahim Boubacar Keïta dans ses fonctions, menace d’intervention militaire.
Au passage, la France –qui dans un premier temps s’était alignée sur la position de la Cedeao– a brusquement changé de pied et pris acte de la démission d’IBK. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a même apporté son soutien au peuple malien. Que s’est-il donc passé? Paris aurait-il soudainement pris conscience de l’ampleur du mécontentement populaire? Même attitude prudente du côté de Washington, après avoir suspendu toutes les formations et tous les soutiens aux forces armées maliennes, Peter Pham, l’envoyé spécial des États-Unis pour le Sahel, a déclaré:
«Nous sommes en train d’analyser les normes juridiques pour déterminer si oui ou non on peut qualifier cela de coup d’État.»
Si l’administration américaine qualifiait la destitution d’IBK de «coup d’État », elle serait légalement contrainte de mettre fin à son aide et à toutes ses coopérations avec le Mali.
Lors de leur réunion en visioconférence du 21 août, des failles sont aussi apparues au sein de la Cedeao. Le Président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré a plaidé pour un assouplissement des sanctions et s’est montré sceptique quant à une intervention armée de l’Ecomog (la brigade de la Cedeao). Le Sénégalais Macky Sall s’est positionné sur la même ligne. Sissoko Embalo a, lui révolutionné l’assemblée. Devant ses pairs, le tout nouveau et jeune Président de Guinée-Bissau a d’abord déclaré qu’il était favorable à la condamnation du putsch malien, mais il n’a pas hésité à préciser que dans ce cas, la Cedeao devrait adopter la même attitude concernant les troisièmes mandats qui sont considérés, eux aussi, comme des coups d’État. Effet garanti sur Alassane Ouattara et Alpha Condé qui s’apprêtent à se représenter après dix années au pouvoir.
Il est effectivement très difficile pour la Cedeao de condamner tout «changement politique anticonstitutionnel» puisqu’elle héberge en son sein des Présidents qui ne respectent ni les textes de leur organisation ni leur propre Constitution.
Dès lors, cette institution est discréditée. Après trois jours de pourparlers avec le Comité national de salut du peuple (CNSP), les deux parties se sont séparées lundi soir sans s’être accordées sur la levée des mesures économiques et sur les conditions d’un transfert de pouvoir aux civils. La Cedeao ne paraît pas pouvoir jouer un rôle de médiation positif dans la crise institutionnelle malienne qui s’est ouverte le 18 août.
Des Présidents sur la corde raide
Le coup d’État malien a affaibli les Présidents Ouattara et Condé sur tous les fronts. Ils sont fragilisés au sein même de leur organisation sous-régionale.
Les divergences de vues apparues sur la question malienne augurent quelques difficultés à venir si jamais la Cedeao avait à se pencher sur des contentieux électoraux. Ils sont également affaiblis dans leurs pays respectifs: les opposants, galvanisés par la «victoire» malienne, ne comptent pas en rester là et continuent de se dresser contre un troisième mandat.
Ces deux chefs d’État sont confrontés à une autre difficulté: l’Afrique de l’Ouest, qui était déjà à la veille de consultations électorales surveillées de près par les instances internationales et les chancelleries, se retrouve au centre de l’attention. Tous craignent la théorie des dominos et la propagation de l’incendie. Fait rarissime, il n’aura fallu qu’une seule manifestation réprimée –celle du 13 août en Côte d’Ivoire– pour que les Nations unies réagissent et qu’Antonio Guterrez fasse part de sa préoccupation concernant les «événements violents signalés les derniers jours dans le pays».
Les ONG sont, elles aussi, sur le qui-vive, Amnesty International a dénoncé l’utilisation de milices, les «Microbes», pour réprimer les manifestations.
De plus, avec les nouvelles technologies, les incidents sont filmés et mis en temps réel sur la Toile, il va donc devenir très difficile de continuer à empêcher les protestataires de défiler en usant de tels procédés. En attendant, les drames se poursuivent. Les derniers événements du week-end, notamment dans les communes de Divo et Bonoua, ont été particulièrement violents: officiellement, il y aurait eu deux morts mais les chiffres qui circulent font état d’un nombre beaucoup plus inquiétant.
Pour juguler toute tentative de révolte, Alassane Ouattara essaye aussi l’arme juridique. Il a interdit toute manifestation jusqu’au 15 septembre et interpelle à tout-va activistes et militants. Il poursuit devant les tribunaux des chefs de parti comme Anaky Kobenan pour avoir «appelé à l’insurrection». Du côté de la Guinée-Conakry, les manifestations n’ont pas encore repris, mais les protestataires se préparent. Les deux mois qui séparent les Présidents et leurs concitoyens de l’élection risquent d’être très longs.
*Iveris: Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques.
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