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L’accord de Ouagadougou : Un accord au prix d’une injustice extrême

L’Accord de Ouagadougou a brisé l’espoir des victimes. Comment comprendre que cet accord en son article 18 prévoit la libération des personnes détenues du fait du conflit, c’est-à-dire les présumés auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité qui ont fait de nombreuses victimes civiles et militaires ?

Me Bréhima Koné

Me Bréhima Koné

Doit-on sacrifier le droit à la justice et à la réparation de ces victimes et leurs familles qui cherchent à connaitre toute la vérité, qui espèrent voir les auteurs des crimes punis, et  qui attendent une réparation, tant morale que financière ?

Non. Il ne faut pas faire l’amalgame entre la libération ou l’échange de prisonniers de guerre entre les parties belligérantes et la libération de présumés criminels de guerre ou présumés auteurs de crimes contre l’Humanité.

Les signataires de l’accord le savent bien. Ils sont aussi conscients de l’ampleur des crimes commis au Mali notamment par les groupes armés et savent que les victimes attendent que justice leur soit rendue.
Il est par ailleurs incompréhensible qu’au moment où l’Etat du Mali s’engage dans un processus de justice transitionnelle qui vise essentiellement à établir la vérité des faits, à poursuivre les auteurs des crimes, à réparer les préjudices subis par les victimes et à garantir la non répétition des crimes commis, seules conditions nécessaires à la réconciliation nationale et à une paix durable, qu’il signe un accord de cette nature, quelles que soient les circonstances.

Quelle crédibilité accorder alors au recours du Mali devant la CPI ?
Il est difficile de comprendre l’attitude des autorités maliennes à travers cet accord : Demander au Bureau du Procureur de poursuivre des criminels et demander en même temps à la justice malienne de libérer les mêmes personnes alors qu’il appartient à la justice malienne de les juger en premier lieu.
Il est vrai que le Mali a besoin d’aller vers la paix, mais pas au prix d’une injustice extrême.
Ceux qui suivent l’évolution de la lutte contre l’impunité en Afrique seront d’accord avec moi qu’après la remise en cause de l’amnistie prévue par l’accord de Lomé, qui a abouti à l’arrestation de Charles Taylor et de ses alliés du RUF dont Fodeh Sankho et Sam Boukhari, et  l’organisation d’un procès contre Hissène Habré, l’ancien chef de l’Etat du Tchad, il est illusoire de croire encore de nos jours à l’impunité face à la gravité de certains crimes considérés  au regard du Droit Pénal international comme étant des crimes imprescriptibles quelles que soient la qualité des auteurs et la teneur des négociations politiques.
Cet accord  compromet dans une large mesure la bonne marche des procédures judiciaires au plan national.

C’est face à de telles situations que Mme Carla Del Ponte, ancienne Procureur du TPIY et du TPIR a déclaré  que « Le processus judiciaire doit être protégé contre la tyrannie de la manipulation politique ou ethnique ».

Il est tout de même indéniable, comme le montre bien le cas du Chili ou de l’Argentine, que  même après des décennies de silence, les criminels seront confrontés au verdict de la société et devront rendre des comptes à la justice.

Il reste entendu que la Cour Pénale Internationale n’est pas liée par cet accord et continuerait certainement à mener ses investigations.

De même, sur la base de la compétence universelle, d’autres juridictions nationales pourront engager des poursuites contre les présumés auteurs des crimes dont certains sont signataires de l’accord.
Il faut surtout que la justice malienne fasse preuve d’indépendance pour ne pas tomber sous le coup de la manipulation politique qui risque de ternir son image.

Il lui appartient au premier chef de faire en sorte que jamais ces crimes ne restent impunis.
Maître Brahima Koné
Avocat accrédité à la Cour Pénale Internationale (CPI)
Président de l’Union Interafricaine des Droits de l’Homme (UIDH)

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