Les pays contributeurs de troupes de la Mission de l’Onu au Mali (Minusma) se sont réunis le mercredi 5 novembre à Niamey, au Niger, pour tirer la sonnette d’alarme. Deux de ces pays, le Tchad et le Niger ont payé le plus lourd tribut dans la traque des mouvements islamistes qui continuent d’être actifs dans les massifs du Tegharghar.
Selon eux, il n’est pas question de continuer la partie sans le renforcement du dispositif sécuritaire actuel dans le nord du Mali. Notamment, de compléter, comme prévu, l’effectif de la Minusma à douze mille soldats, de mettre en place une force de réaction et d’intervention rapides, de doter les troupes en engins blindés, hélicoptères et drones, seul gage de réussite dans cette guerre asymétrique. Si les Africains haussent aujourd’hui le ton, c’est parce qu’ils ont l’impression, cantonnés dans leurs camps, d’être le gibier au lieu d’être les chasseurs. Ceux qui sont censés les épauler, les Français, à travers Serval puis Barkhane, perdent également de nombreuses plumes, ne parvenant pas à atteindre leur objectif général : mettre hors d’état de nuire les groupes terroristes.
En réalité, il s’agit là d’un objectif mal défini dès le début. Les Français s’évertuent coûte que coûte à faire la différence entre les différents groupes qui ont pris les armes contre le pouvoir central et les populations locales, en les classant en bons et en méchants. Les bons étant les Touareg séparatistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), éléments déclencheurs de la rébellion, en janvier 2012, qui a conduit à la mutinerie de l’armée, au coup d’Etat militaire puis à l’effondrement de l’Etat et à l’occupation de plus de deux tiers du territoire national. Quant aux méchants, ils seraient ceux qui combattent au nom du saint Coran tout en étant pas en odeur de sainteté avec l’Occident, autrement dit Al Qaeda pour le Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Eddine, trois groupes étiquetés intégristes, islamistes.
Les bons ne seraient que de simples rebelles revendiquant l’indépendance d’une partie du territoire dans laquelle ils sont largement minoritaires, et pour laquelle l’Etat n’aurait rien fait en termes de développement socioéconomique. Tandis que les méchants seraient des terroristes sans foi ni loi qui ne se contenteraient pas d’une partition du pays mais comptent étendre leur emprise sur toute l’étendue du territoire national.
Cette distinction s’est renforcée lorsque les bons ont été chassés du nord malien par les méchants après une brouille particulièrement sanglante et meurtrière survenue lorsque les méchants ont voulu appliquer la loi islamique sur leurs alliés, les bons. A ce moment, en Occident il y a eu beaucoup de boucan à chaque fois que des mains et des pieds ont été coupés au nom d’Allah, parce que les victimes étaient pour la plupart des ressortissants de communauté touareg, confondus de vols de bétail ou autres crimes d’agression physique. Une justice primitive et expéditive que les populations locales ne condamnaient pas outre mesure parce qu’elles étaient les victimes au quotidien des exactions des rebelles touareg, maitres de certaines localités du nord. Mais la victimisation, c’est surtout du côté du Mnla qu’on l’entendait le plus. D’où l’émoi des Occidentaux.
Rebelle terroriste
C’est avec cette courte vue d’esprit que le maitre blanc, après avoir fragilisé ou détruit les positions des islamistes au cours de l’opération Serval, a obligé les autorités de la transition à ne négocier qu’avec les bons. Négociations qui ont abouti à l’Accord de Ouagadougou que les nouvelles autorités rechignaient à mettre en application, flairant la mauvaise lecture faite par le maitre blanc de la réalité du terrain.
A l’instar de la grande majorité des Maliens, les nouvelles institutions ne voyaient pas vraiment la nécessité de négocier avec des groupes armés qui refusaient de désarmer et de se cantonner. Mais surtout, les Maliens refusent d’oublier ce qui s’est passé à Aguel Hok, Tessalit et dans d’autres localités du nord où les rebelles touareg se sont rendus coupables des pires atrocités contre des militaires mais aussi des civils innocents. Les Maliens se rappellent aussi que le Mouvement islamique de l’Azawad puis le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad sont composés essentiellement de Touareg qui avaient quitté stratégiquement les rangs d’Ansar Eddine, du Mujao et d’Aqmi pour être fréquentables. De même qu’ils savent que les rangs du Mouvement arabe de l’Azawad sont également infestés d’islamistes. Les Maliens savent également que malgré cette nouvelle respectabilité, ces pseudo-repentis sont restés des terroristes. Logiquement, les Maliens se demandent alors pourquoi ne pas leur donner leur véritable statut, celui de terroriste. Car, sur le terrain, il ne fait aucun doute pour personne que Mnla, Hcua ou MAA sont autant terroristes qu’Aqmi, Mujao ou Ansar Eddine. Pire, ces groupes sont confondus et leurs composants manipulent aussi bien les médias occidentaux que les mines anti-personnel. Comme l’atteste la découverte de composants d’explosifs et de détonateurs portant la même signature que l’engin qui a servi à l’attaque d’un camp de la Minusma, attentat qui a causé la mort d’un casque bleu sénégalais.
La Minusma, qui est sur le terrain et reste cantonnée dans ses camps, sait depuis longtemps à quoi s’en tenir, et a commencé à se méfier de ces Touareg trop serviables voire serviles. La France aussi. Iront-elles jusqu’à donner aux groupes touareg le nom qu’ils méritent, celui de groupes armés terroristes ? Les Touareg le croient et ont déjà commencé à se chercher de nouveaux alliés en dénonçant et en fustigeant les anciens protecteurs. Et sauf mauvaise foi, c’est toute la communauté internationale qui doit désormais se convaincre que rebelle et terroriste ne font qu’une seule et même entité dans le septentrion malien.
Cheick TANDINA