Dix jours après le reversement de régime, le groupe de militaires, qui en est à l’origine, tarde à faire sa photo de famille. Celle-ci est «à la fois le témoin objectif d’un collectif qu’elle représente, en même temps qu’elle est un interprétant, un tiers médiateur grâce auquel ce collectif apprend à se déchiffrer, à se comprendre comme un «nous» singulier…».
Il va falloir en sortir, de notre état émotionnel, consécutif au renversement du régime d’IBK par un groupe de militaires aux motivations peut-être nobles mais non encore très clairement exprimées.
Si une majorité de Maliens a souhaité un changement de régime, elle a été jusque-là incapable de présenter des alternatives crédibles. Tout au moins, l’on a surfé sur les frustrations (dans tout le corps social) des Maliens, les dysfonctionnements de l’appareil d’Etat. Et un problème de gouvernance (encore qu’il n’y ait pas de gouvernance parfaite, nulle part au monde) sur fond de détournement, de gabegie…
C’est un fait : le Mali s’écroulait sous le poids de ses problèmes internes. C’est un fait : il faut un changement en profondeur. C’est aussi un fait : il faut beaucoup de temps pour les Maliens pour refonder leur Etat.
Alors, vouloir conditionner la durée de la transition à l’ampleur de la tâche et à la profondeur des réformes à entreprendre, n’est autre qu’une tentative de confiscation du pouvoir par des gens censés seulement organiser les conditions d’un retour à l’ordre constitutionnel, pour le retour au pouvoir de ceux qui ont vocation à l’exercer.
Sans vouloir présumer des capacités de ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir en main, ils ne sont pas des surhommes pour nous sortir, à eux seuls, de cette situation chaotique. Ils peuvent, avec l’expertise de beaucoup d’autres Maliens, amorcer ce processus de refondation, et en laisser la poursuite à ceux qui seront élus par les Maliens dans leur majorité.
En gros, il va donc falloir en sortir, de notre état émotionnel, consécutif au renversement du régime d’IBK par un groupe de militaires aux motivations peut-être nobles mais non encore très clairement exprimées.
Oui, il va falloir en sortir, d’autant que notre état émotionnel est susceptible de modifier notre perception de la réalité. Alors, donnons-nous la lucidité nécessaire pour panser les plaies du Mali. C’est ce Mali seul qui doit compter !
La junte traîne les pieds
À moins qu’elle ne soit en train d’attendre l’approbation de la communauté internationale, en l’occurrence celle de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), la junte ne semble pas se hâter le pas pour mettre en place la transition. On en est à se demander qui va la diriger : un militaire ou un civil.
Dans un désordre qui le dispute avec une structuration balbutiante, celui qui est annoncé être le président du Comité national pour le salut public, Assimi Goïta, fait moins d’apparitions publiques que le porte-parole dudit comité, Ismaël Wagué. Donnant ainsi l’impression d’une famille qui n’arrive pas à se réunir pour faire sa photo de famille.
Or, celle-ci est très importante d’autant qu’elle est «à la fois le témoin objectif d’un collectif qu’elle représente, en même temps qu’elle est un interprétant, un tiers médiateur grâce auquel ce collectif apprend à se déchiffrer, à se comprendre comme un «nous» singulier. La photo de famille interroge donc l’identité familiale, questionne le collectif qu’elle constitue, pour traquer ce qui en fait l’être profond.
En effet, la famille est un «nous» avec lequel le «je» est solidarisé, bon gré mal gré. On ne fait pas famille tout seul. Cela rompt d’entrée de jeu avec l’idéologie individualiste du moi-je qui feint l’auto-engendrement, sans plébisciter pour autant le «nous» de la famille qui fait corps, au point d’être prise de corps (M. Foucault, 1982), aliénante, étouffante.»
Dioncounda Sissoko
Source : Nouvelle Libération