Malgré la concurrence entre Paris et Pékin sur le continent, M. Macron compte obtenir l’appui chinois à la force militaire du G5 Sahel, analyse notre chroniqueur.
Il est une question qui taraude les militaires chinois en ce moment : comment sécuriser les nouvelles routes de la soie ? Leur ambitieux programme de financement et de construction d’infrastructures traverse en effet les zones les plus dangereuses de la planète, notamment en Afrique. Le gouvernement chinois multiplie donc les colloques, conférences et autres consultations plus ou moins discrètes afin d’avoir une vision plus claire des embûches que ses entreprises et expatriés pourraient rencontrer.
Du 5 au 8 janvier, à Shanghaï, a ainsi été organisée par le ministère chinois de la défense la première conférence sur la coopération militaire entre la Chine, l’Afrique et les pays arabes. Des représentants de Djibouti et de Mauritanie étaient notamment présents. Le ministre de la défense, Chang Wanquan, a annoncé que les exercices militaires conjoints allaient se multiplier sur le continent, ainsi que la coopération militaire dans le domaine des équipements, des formations et dans la mise en place d’unités spécialisées.
Chiens de faïence
Hasard du calendrier, le président français débutait au même moment sa première visite d’Etat en Chine, et l’un des sujets abordés concerne également la coopération militaire en Afrique. Le président français cherche en effet à obtenir l’appui de Pékin à la force militaire du G5 Sahel. Une initiative à laquelle Pékin n’a encore apporté aucune contribution financière, contrairement aux Etats-Unis, sans pour autant se désintéresser du sujet.
En septembre 2016, le secrétaire permanent du G5 a demandé que l’ambassadeur de Chine en Mauritanie puisse être le représentant officiel de la Chine auprès de ce groupement. Depuis deux ans, la représentation chinoise aux Nations unies appuie également la coopération antiterroriste dans la région du Sahel, mais elle préférerait que cette initiative se fasse sous le parapluie de l’ONU.
La Chine est en effet déjà engagée dans plusieurs opérations de maintien de la paix en Afrique, au sein de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma) notamment. Pékin pourrait donc être réticente à participer au financement d’une opération dans laquelle la Franceest en première ligne.
Les deux pays se regardent en effet en chiens de faïence sur le continent. « Il y a évidemment une concurrence, voire une compétition entre la Chine et la France en Afrique, explique le professeur Wang Yiwei, du département d’études européennes à l’université Renmin. La présence de plus en plus importante de la Chine en Afrique est une menace pour l’influence française, notamment dans ses anciennes colonies. L’un des objectifs du président Xi Jinping est d’obtenir l’appui de la France à son ambitieux projet de route de la soie qui concerne en grande partie le continent africain. »
On voit bien comment, ces deux dernières années, ont avorté les projets de coopération tripartite avec un sommet Chine-France-Afrique qui devait avoir lieu à Dakar juste avant l’élection d’Emmanuel Macron, et qui est finalement resté lettre morte. Les grands projets de fonds communs d’investissements sont également toujours dans les tiroirs et aucun projet concret n’a vu le jour en Afrique. Le sujet reviendra discrètement dans les discussions entre Emmanuel Macron et son homologue chinois cette semaine.
Prise de conscience des risques sécuritaires
En revanche, il y a certainement un point de convergence : la sécurité et la lutte contre le terrorisme. L’expérience militaire chinoise en zones de conflits est très limitée. Ces dernières années, la Chine a perdu neuf casques bleus en Afrique. Elle a été à plusieurs reprises frappée par des attentats (à Bamako en 2015) et des kidnappings (au Nigeria et au Cameroun).
Les soldats chinois sont déjà présents en RDC, au Liberia, au Soudan du Sud et au Mali sous la bannière de l’ONU, mais c’est loin d’être suffisant pour garantirla sécurité. Monter à bord du G5 Sahel pourrait être l’occasion pour la Chine de suivre de plus près la situation dans une zone stratégique qui lui échappe complètement. Après avoir promis le versement de 100 millions de dollars (83 millions d’euros) d’aides militaires à l’Union africaine, une participation à la force du G5 Sahel pourrait donc sembler logique. A moins que la Chine n’ait autre chose en tête ?
2017 aura en effet marqué l’ouverture de la première base militaire chinoise à l’étranger, à Djibouti. A une encablure des troupes françaises, le sujet inquiète forcément le gouvernement français, tout comme les Américains qui se sont eux officiellement alarmés auprès des autorités djiboutiennes.
L’arrivée de plusieurs milliers de militaires chinois dans la corne de l’Afrique n’est que le début d’une prise de conscience des risques sécuritaires sur les routes de la soie, et sur un tracé aussi stratégique et ambitieux, Pékin préfère être à la manœuvre.
Problème : « Il n’y a pas encore une véritable évaluation des risques, nous explique le général Jean-Bernard Pinatel, ancien parachutiste des forces spéciales françaises et de retour d’une mission comme consultant auprès des autorités chinoises. C’est la première fois que les Chinois interrogeaient ouvertement des spécialistes de la sécurité, explique-t-il. On sent bien qu’ils ont pris en compte ces risques, mais ils m’ont souvent répondu en termes bancaires et en termes de gestion des risques financiers plutôt qu’en termes de menaces physiques. »
Usage massif de sécurité privée
Selon plusieurs sources, la Chine emploierait déjà trois mille gardes privés au Soudan du Sud pour sécuriser ses raffineries et ses pipelines. Depuis 2012, la société de sécurité privée Shandong Warwich Security protège les installations chinoises en Mauritanie, au Sénégal, au Burkina Faso, au Mali, en Guinée et au Niger. Depuis 2015, c’est Frontier Services Group (FSG), un groupe de Hongkong, qui a récupéré une grosse partie des contrats. FSG est dirigé par Erik Prince, l’ancien et sulfureux patron de Blackwater, lui-même ancien des forces spéciales américaines. Le fonds d’investissements chinois Citic a pris 15 % de FSG. Mais c’est toujours loin d’être suffisant.
« Ce n’est pas toujours une question de sécurité physique, précise le général Pinatel. Dans nos métiers, il faut aussi savoir prendre contact avec les populations locales, faire un travail relationnel autour des installations qu’il faut mettre en place, en prenant en compte des spécificités locales, rappelle celui qui a travaillé pour le groupe Total en Afrique. La Chine passe des accords stratégiques avec des gouvernements, mais elle les laisse ensuite gérer la sécurité, ce qui me paraît assez aléatoire. »
Sur ces questions, l’expertise française est une bonne façon de faire ressusciter le projet de coopération tripartite Chine-France-Afrique mort-né.
Sébastien Le Belzic
Source: Le Monde