« Dans le centre du Mali : les populations prises au piège du terrorisme et du contre-terrorisme » a fait effet sur le gouvernement malien. Dès le lancement de ce rapport par lAMDH et la FIDH le 21 novembre dernier, le gouvernement, à travers son porte-parole, Amadou Koïta, a produit un démenti à travers un communiqué de presse. Ce vendredi 23 novembre 2018, les deux organisations ont produit un droit de réponse aux accusations du gouvernement.
Victimisation, bras de fer ou encore de l’incompréhension ? En tout cas, le climat ne semble pas assez favorable entre le gouvernement malien, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH). Pour cause, la publication du rapport accablant de ces deux organisations de défense des droits de l’homme au Mali au début de la semaine sur la situation désastreuse au centre du Mali. Une conférence de presse a été organisée par la FIDH et l’AMDH sur ce document de 100 pages intitulé « Dans le centre du Mali : les populations prises au piège du terrorisme et du contre-terrorisme ».
Un document assez édifiant sur la situation et notamment les bavures commises par les terroristes, les milices communautaires, voire les Forces Armées Maliennes au centre du Mali et précisément dans les régions de Mopti et de Ségou. Ce rapport a révélé des situations graves que le gouvernement malien voudrait tenir au secret. Cela pourrait traduire la réaction du porte-parole du gouvernement, Amadou Koïta, suite à la publication de ce rapport le 21 novembre dernier : « Le gouvernement de la République du Mali considère ce rapport comme des allégations qui ne sont corroborées par aucun fait mis à sa disposition. La déontologie voudrait que quand le gouvernement est saisi, d’attendre sa réaction. Mais sans attendre cette réponse du gouvernement, nous avons vu par voie de presse ce rapport de la FIDH et de l’AMDH. Ce qui n’est pas conforme à la réglementation et à la déontologie.»
Cette affirmation du gouvernement n’a pas tardé à créer des confusions dans la tête de ces deux organisations qui comprendraient ces propos comme une fuite de responsabilités de la part du gouvernement. Un démenti de la FIDH et de l’AMDH a vite vu le jour ce 23 novembre 2018, à travers lequel les deux organisations regrettent cette position des autorités maliennes : « Il est regrettable que le porte-parole du gouvernement n’ait pas pris le temps de lire le rapport et qu’il ait préféré rejeter en bloc son contenu, plutôt que de répondre aux questions importantes que nous posons dans ce document très documenté. La gravité de la situation et les exactions commises par toutes les parties au conflit dans le centre exigent une réponse politique du gouvernement malien et non un simple démenti infondé », a déclaré Me Moctar Mariko, président de l’AMDH.
Cette affirmation du porte-parole du gouvernement laisse comprendre qu’il n’aurait pas lu au préalable le rapport, indiquent les deux organisations dans leur droit de réponse, en rappelant succinctement le contenu du document. « Le porte-parole du gouvernement a également accusé la FIDH et l’AMDH de ne pas avoir attendu la réaction du gouvernement. Nos organisations, qui ont toujours prôné une approche constructive et fondée sur le dialogue avec les autorités, démentent formellement cette accusation », mentionne le droit de réponse à travers lequel la FIDH et l’AMDH précisent toutes les dates avec des liens vers les lettres échangées sans issue avec des ministères maliens, notamment le ministre de la Défense et des Anciens Combattants.
Cette lettre datant du 17 septembre 2018 sollicitait le concours de M. Tiémoko Sangaré après l’avoir félicité pour sa nomination dans le nouveau gouvernement : « Nous voudrions saisir cette opportunité pour vous informer que la FIDH et l’AMDH avaient saisi votre prédécesseur, Monsieur Tiena Coulibaly, […] aux fins, d’une part, de l’informer de la sortie prochaine dun rapport sur la situation des droits de l’homme et les enjeux sécuritaires, d’autre part, de recueillir les réponses du département de la Défense au sujet de quelques cas de violations de droits humains qui auraient été commises par les Forces armées maliennes au centre du pays. À cette date, nos organisations n’ont pas reçu la réaction de votre département. Nous vous exhortons à bien vouloir nous apporter des éléments de réponse. »
En effet, les deux organisations ont adressé une lettre en date du 13 août 2018 à M. Tiéna Coulibaly, comme le dénote la copie-jointe au droit de réponse, afin de demander des informations sur certaines exactions commises au centre du pays, notamment dans les régions de Ségou et de Mopti. Les points-clés de leurs recommandations auprès du Ministre étaient : le dispositif sécuritaire général dans les régions du centre, les faits survenus à Sokolo en février 2018, les faits survenus à Finadjè en février 2018, les faits survenus à Nelbal en avril 2018, puis à Dogo en avril 2018 et également, les faits survenus à Boulkessi en 2018, à Nantaka et Kobaka en juin 2018.
Nous retrouvons le lien menant vers cette lettre dans le démenti fourni par les deux organisations qui n’ont pas oublié de faire-part également de la réponse fournie par le ministre Tiemoko Sangaré, suite à leur lettre de relance : « Je saisis cette occasion pour vous exprimer mes sincères regrets pour les rendez-vous manqués pour des motifs justifiés avec mon prédécesseur, comme indiqué dans votre lettre, et engage mes services à vous fournir dans les meilleurs délais toutes les informations vous permettant d’intégrer la vision du Gouvernement du Mali dans ledit rapport. » Chose qui ne s’est pas concrétisée, regrette les deux organisations.
Notons quà la date du 6 juin 2018, la FIDH et l’AMDH mentionnent également avoir produit auprès de Tiéna Coulibaly, ministre de la Défense et des Anciens Combattants, une demande d’audience restée sans suite. «Il est regrettable que le gouvernement ait fait le choix du silence alors que nous avons cherché à aborder avec lui les différents points de ce rapport, comme nous le faisons à chaque fois. Nous ne pouvions tout de même pas surseoir à la publication d’un rapport au motif qu’un acteur n’a pas jugé nécessaire d’apporter sa version des faits », a déclaré Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.
Rappelons qu’aux pages 14 et 15 dudit rapport, les deux organisations ont eu à signaler cette indisponibilité du gouvernement à contribuer : « Il est à noter quà l’occasion des missions, des demandes de rendez-vous ont été adressées aux membres du gouvernement en charge des questions de sécurité, notamment au ministre de la Défense de l’époque, M. Tiena Coulibaly, notamment le 6 juin 2018. En l’absence de réponse, l’AMDH et la FIDH ont adressé, le 17 septembre 2018, un nouveau courrier au nouveau ministre de la Défense, avec copie aux autres ministères concernés, afin de recueillir l’avis et les mesures prises par les autorités maliennes concernant une série de violations des droits humains constatées au cours de l’enquête… » L’AMDH et la FIDH précisent qu’ils n’ont pas évoqué dans leur rapport de lutte interethnique comme fait croire le gouvernement.
Tout en montrant leur disponibilité à œuvrer dans le sens du dialogue pour une sortie de crise heureuse, la FIDH et l’AMDH regrettent les « censures répétées » de l’Office de la Radiodiffusion Télévision du Mali (ORTM) qui ne respecte pas le principe d’égal accès aux médias d’État. Jeudi 22 novembre 2018, Rémy Carayol, journaliste et contributeur à l’élaboration de ce rapport était l’invité sur TV5 Monde pour parler de ce document, ainsi que les recommandations faites pour une sortie de crise.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays