La démocratisation a débuté au Mali sans que les partis politiques aient un programme bien élaboré et sans que l’on ait expliqué à la population ce qu’est la démocratie et l’Etat de droit. Les dirigeants eux-mêmes étaient ignorants du fait que la démocratie reposait sur la VERTU. Cette période originelle fut matérialisée par le lancement d’un slogan aux contours vagues: « le CHANGEMENT », un emploi abusif du mot « démocratie » auquel aucun contenu n’a été donné. Ce que le citoyen lambda comprit de la démocratie était ce qu’il a vu : une accumulation effrénée de richesses entre les mains des nouveaux dirigeants dont la plupart, connue dans les milieux populaires, vivaient dans la pauvreté ambiante.
Un premier acte de la première législature fut, sans explication, de porter le budget de la Présidence de 250 millions de francs CFA par an à 10 milliards de francs CFA par an. Pour faire voter un tel budget, les députés exigent et obtiennent que leurs indemnités soient revues à la hausse. Ils obtiendront même, plus tard, en plus du cumul des indemnités avec leurs salaires, d’autres avantages pécuniaires qui sont, entre autres : des primes de représentation et de logements; des frais de mission confortables; une retraite parlementaire en plus de la retraite-Inps pour ceux qui avaient l’avantage d’avoir été fonctionnaires ou autres agents relevant de statuts les affiliant à l’Institut national de la prévoyance sociale.
La vague se propagea à tous les corps organisés via le syndicalisme, entre autres. Le syndicalisme, aux yeux de la population, se vida de sa substance pour devenir un banal corporatisme, où l’on s’associe pour contraindre l’Etat à octroyer des avantages et des privilèges qui ne sont justifiés ni par la situation économique ni par des exigences liées à l’amélioration du sort de la population générale. Les notions d’équité sociale, de travail bien fait et de rendement ont disparu progressivement de la réalité nationale du fait que rien n’était entrepris pour les conforter. Les créateurs réels de la richesse du pays, les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs sont demeurés totalement en dehors des préoccupations dans la mesure même où la nouvelle caste au pouvoir dans cette nouvelle ère démocratique n’a rien entrepris en vue de les inclure dans un système quelconque de prévoyance ou de sécurité sociale.
Le bal de la distribution des privilèges de l’ère démocratique s’est poursuivi par l’entrée en scène des magistrats. Ceux-ci se font octroyer un statut particulier et la possibilité d’un accès à un logement pour beaucoup d’entre eux. Puis, vinrent les professeurs de l’enseignement supérieur. Ceux-ci obtiennent « la hiérarchisation des emplois dans l’enseignement supérieur » qui est un système en contradiction avec tous les principes académiques. Le fondement du monde académique est la recherche de l’excellence et la promotion de la créativité. Contrairement à cela, on peut devenir professeur de l’enseignement supérieur au Mali sur simple décision administrative, sans référence à aucun critère académique évoquant la qualité pédagogique du promu ou évoquant la qualité de ses travaux de recherche. De ce modèle de hiérarchisation des fonctions dans l’enseignement supérieur, on tira un pour l’enseignement secondaire général et l’enseignement fondamental.
Puis, vinrent les médecins. L’arme de lutte des médecins, contre tous les principes de base de cette noble corporation, c’est la grève sans service minimum. Ce, dans un pays comme le Mali, où disposer d’un centre de santé à 10 km de chez soi est un privilège que tant de Maliens n’ont pas ! Ensuite, tous les autres corps de métiers, organisés sous une bannière syndicale, viendront arracher les privilèges qui leur conviennent: exonérations pour les commerçants et les ONG, les avantages multiples pour les travailleurs du privé, l’absence de contrôle pour la gestion des associations de parents d’élèves, etc. La décrépitude est allée jusqu’au point où les élèves décident de la date et de la longueur des congés scolaires. Les élèves essaient même de fixer le contenu des examens et les notes minima à attribuer en classe.
Ainsi, de 1991 à nos jours, c’est un bras de fer permanent qui a opposé l’Etat à ses différents démembrements, chaque corporation voulant obtenir, chaque année, plus de privilèges. Des modèles de comportements sociaux sont introduits en parallèle de la distribution tout azimut de privilèges. La norme est devenue, tout en laissant mourir l’école malienne, d’envoyer ses enfants étudier au Maghreb, en Europe ou aux Etats-Unis. La norme est de se montrer en public en voiture de luxe avec en mains un téléphone portable valant son salaire annuel. Ces dérives comportementales ont déteint sur toutes les couches de la société et a même atteint les populations rurales. Il n’est pas rare de voir des villageois avec des téléphones cellulaires de la plus récente génération dont ils ne comprennent même pas le fonctionnement ! Ils suivent simplement la norme qui est désormais : « Il faut posséder et il faut que cela se sache ». Les familles s’y sont mises en distribuant le label de « douaou-den » (enfant prodige) à ceux des membres de la cellule familiale qui se montreraient avec plus de privilèges et de biens. Les biens les plus courus étant, bien entendu, la villa, la V8, le verger. Les autres membres de la cellule familiale, en particulier ceux qui résistent à entrer dans le cercle vicieux de la corruption, reçoivent le label social de « danga-den » (enfants maudits). Depuis, pour se débarrasser de ce label, les enseignants exigent du gouvernement un logement, au risque d’enfoncer encore plus l’école malienne dans une situation qui lui ôte tout sens.
Pour ainsi dire que les hommes politiques qui ont géré le Mali de mars 1991 à maintenant devraient avoir l’humilité et le courage de présenter des excuses publiques au peuple malien.
Sambou Sissoko
Le Démocrate