Notre chroniqueuse s’étonne que des noms français soient toujours mal prononcés, y compris par certains commentateurs sportifs.
Chronique. Quel est le point commun entre Siri, l’assistant personnel vocal d’Apple, et les commentateurs sportifs ? Ils prononcent mal certains prénoms et patronymes. S’agissant de Siri, le problème a été médiatisé par Barbra Streisand dans une interview à la radio publique américaine NPR, en 2016. Agacée par son téléphone qui s’obstinait à prononcer comme un « z » le deuxième « s » de son nom, la chanteuse a raconté avoir « personnellement appelé le patron d’Apple » pour faire corriger l’erreur. Les différentes mises à jour du logiciel vocal ont depuis résolu le dysfonctionnement.
Etonnamment, s’agissant des noms des joueurs de l’équipe de France et des commentateurs français le « bug », pour reprendre la terminologie informatique, reste insoluble. La Coupe du monde, au Brésil, avait pourtant soulevé beaucoup d’espoirs. Après avoir longtemps dit « Antoine Grisemanne » ou « Grèzemanne », les langues fourchées du foot mettaient enfin l’accent là où il fallait : « Grièzemanne ». Comme Barbra, Antoine tenait à son nom et l’avait fait savoir par l’entremise du chef de presse de l’équipe de France, Philippe Tournon.
Bonnet d’âne
Les mises à jour successives effectuées par le petit guide de prononciation de l’UEFA, pensa-t-on, accéléreraient la progression. En effet, depuis 2016, à chaque grande compétition commentateurs et fans apprennent à se familiariser avec les consonances étrangères de noms, tels que Gonzalo Higuaín, Luka Modric ou Ivan Rakitic. Malgré la rectification de 2014 et les leçons de phonétique de l’UEFA, les commentateurs sportifs français continuent lors de cette édition en Russie à écorcher des patronymes et des prénoms de joueurs de la sélection française. « Kylian Ème-bappé », « Ène-golo Kanté », « Ène-zonzi », entend-t-on ânonner à la télévision comme à la radio. Diantre ! Des Français ne peuvent-ils pas dire correctement des noms français ? Allez encore après cela faire la leçon aux anglophones ou aux hispaniques ! Plus d’un mérite le bonnet d’âne.
Cependant, à l’issue du match France-Danemark, N’Golo Kanté a enfin apporté le fin mot de l’histoire. Comment doit-on prononcer son prénom, en prononçant le N (« ène ») ou non ? La question a de quoi faire tressaillir maîtres et maîtresses d’école de France et de Navarre. Le son de la lettre N n’est pas « ène » mais « nnn ». Niveau maternelle, moyenne et grande section. « J’ai grandi en France, on m’a souvent appelé N’Golo, avec “ène”, plutôt que N’Golo, mais ça ne me pose pas de problème particulier, non ce n’est pas un problème », assure le milieu défensif de l’équipe de France.
Le français, une langue de mémoire
Minute papillon. En France, petits et grands ne maîtrisent pas le B. A.-BA de la lecture ? Voilà une révélation qui suffirait à la dégringolade du système d’enseignement français dans le classement PISA. Et dire que la Coupe du monde a lieu quatre mois après « les assises des maternelles » de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale. Rien n’est joué, tout espoir de solutionner ce problème désormais politique est encore permis. Du moins, sur les lettres « M » et « N ». D’abord, un point de culture générale. Entendez que dans Kylian Mbappé, N’Golo Kanté, Steven Nzonzi, toutes choses sonnant africain à l’oreille ne l’est pas. Le français est une langue de mémoire dont la particularité consiste à rester toujours au plus près de la langue d’origine. Ceci étant dit, ces noms que nous lisons représentent les transcriptions de langues africaines en une orthographe phonétique française.
Parlons maintenant de la phonétique et de la maîtrise des sons des lettres de l’alphabet. Ce sont les phonèmes ou sons des lettres qui se prononcent et non les noms des lettres. Mise en situation. Pour Mbappé : prononcer le phonème /m/ puis la suite des syllabes, soit bap et pé. L’on entend Mbappé avec un/m/long comme un « mmm » de méditation. N’Golo Kanté ne se dit donc pas « ène-golo Kanté » pas plus que Steven Nzonzi, « ène-zonzi ». Ce N désolidarisé ou non à l’écrit correspond au son du phonème /n/. Dès lors, le son « nnn » précédera toujours les syllabes go et lo pour N’Golo, les syllabes zon et zi pour Nzonzi. Plus d’excuses en prononçant mal ces noms-là, d’autant que Siri semble y parvenir. La ministre des sports, Laura Flessel, devra-t-elle à son tour lancer un guide de prononciation des noms des sportifs français ? Espérons que l’éducation nationale lui vienne en aide, en intensifiant le cours de rattrapage sur les autres lettres de l’alphabet. A plus d’un titre, la Coupe du monde 2018 peut être au service de la France.
Sarah-Jane Fouda est consultante en communication, spécialiste du discours et de l’argumentation. Elle enseigne la logique informelle à l’Université Paris-III Sorbonne-Nouvelle.