Les chantiers de son département, la communication gouvernementale, l’aide publique à la presse, les présomptions de malversations dans la passation de marchés publics, la bonne gouvernance, Ebola, le ministre en charge de la communication n’a occulté aucune des questions de votre journal. Journaliste de profession et nommé à un département dont il a la maitrise, Mahamadou Camara a bien voulu nous accorder cette interview. Lisez plutôt !
Le Prétoire : Reconnu pour être un journaliste et un communicateur talentueux, vous avez été appelé dans le gouvernement Mara pour donner un nouveau souffle au département de la Communication. Peut-on savoir vos grands chantiers ?
Mahamadou Camara : Les chantiers sont nombreux, ils se répartissent principalement entre les 2 pôles de notre département : l’économie numérique et le secteur de la communication.
Pour le premier pôle, nous avons ouvert le chantier en juin, il s’agissait de doter l’Etat d’une stratégie pour le développement de l’économie numérique, qui permettra au Mali d’entrer de plain pied dans l’ère numérique, pour que les TIC deviennent un accélérateur de développement économique et social. La stratégie Mali Numérique 2020, qui comprend les infrastructures (fibre optique, satellite, bornes Wi-Fi), l’équipement des populations, la formation, le e-gouvernement, etc. est finalisée. Elle doit être validée dans le cadre d’un atelier national, les 27 et 28 novembre 2014, pour ensuite être portée en Conseil des ministres pour approbation.
Concernant l’univers des medias, nous avons commencé par ouvrir le chantier des medias publics. La réforme de l’ORTM est en cours, nous aurons bientôt un nouveau JT, une nouvelle grille des programmes au début 2015, qui correspondra mieux aux attentes des Maliens, et une restructuration qui va accompagner le passage à la TNT, l’année prochaine. L’arrivée des TV privées est l’un des bouleversements entraîné par le passage au numérique, et elle nous donne la redoutable opportunité de mettre à niveau l’ORTM, pour qu’elle puisse faire face à cette nouvelle concurrence. Quant à l’AMAP, la nouvelle formule de l’Essor sera présentée dans les prochaines semaines : plus de pages, de nouvelles rubriques, un ton différent, une nouvelle maquette, un nouveau format, et un nouveau prix.
Nous voulons aussi professionnaliser les medias privés et leur permettre de se développer, de créer de la richesse et de mieux former et rémunérer leurs personnels. La Haute Autorité de la Communication (HAC), qui doit bientôt se mettre en place permettra de réguler le secteur. Avec des pouvoirs de contrôle et de sanction, elle va contribuer à faire respecter la déontologie. En parallèle, nous sommes en train de relire la loi sur la presse, pour permettre l’émergence de groupes privés structurés, et mieux contrôler l’accession à la profession de journaliste.
Qu’en est-il de la communication gouvernementale ?
Pour ce qui est de la communication gouvernementale, nous considérons que c’est le 3ème pôle de notre département. Et sur ce point, nous sommes partis de zéro, car il n’existait aucun outil de pilotage. C’est pourquoi, après de nombreuses consultations, nous avons entrepris de créer le Centre d’information gouvernemental du Mali (CIGMA), qui doit être présenté en conseil des ministres dans quelques semaines, et opérationnel au début 2015. Il s’agira d’un instrument d’exécution de la communication du Gouvernement, avec des personnels qualifiés qui vont gérer les relations avec les medias classiques et Internet (veille) ; élaborer, rédiger et produire les contenus (communiqués de presse, éléments de langage, bulletins d’information, revues de presse, éléments audiovisuels) ; organiser les conférences et points de presse ; piloter le centre d’appels avec les numéros verts et le système de SMS « InfoGouv », que nous créerons pour mieux informer nos concitoyens.
Au final, le CIGMA permettra de rendre plus cohérente et mieux coordonnée la communication gouvernementale, dans le sens où il viendra en appui à chaque département ministériel.
Depuis 1996, la presse malienne bénéficie d’une aide publique annuelle de l’ordre de 200 millions FCFA, prélevée sur le budget de la Présidence de la République. Avec votre arrivée à la tête du ministère de l’Economie numérique, de l’information et de la communication, vous avez affiché votre ambition de réformer cette aide. Qu’en est-il exactement ?
Oui, la nécessité est partagée par les principaux concernés eux-mêmes, avec qui je discute beaucoup, principalement les responsables d’associations faitières, d’organes ou des journalistes tout court. Depuis 1996 où le gouvernement l’a instituée, c’est le même mode d’attribution, presque les mêmes critères. La plupart me disent qu’il y a à la fois une nécessité d’augmenter mais aussi de mieux gérer cette aide, pour qu’elle profite en qualité au plus grand nombre. Nous conviendrons des nouveaux critères avec tout le monde pour qu’elle profite aux organes mais aussi aux hommes, améliorant la formation, le rendement, l’outil technique.
L’aide à la presse, faut-il le préciser, est prélevée sur les ressources publiques, qui sont maigres, mais l’Etat fera un effort.
Qu’est-ce qui va changer avec la nouvelle loi sur le régime de la presse et le délit de presse ?
Le Premier objectif c’est la dépénalisation. C’est une demande forte. Il s’agit de supprimer les peines privatives de libertés pour les journalistes. On ne peut pas accepter, dans un pays démocratique, qu’un journaliste soit envoyé en prison uniquement pour ses idées. Mais la nouvelle loi insistera sur le respect des codes d’éthique et de déontologie. L’un ne va pas sans l’autre. C’est pourquoi elle insistera sur des peines pécuniaires assez conséquentes, pour dissuader toutes dérives des acteurs médiatiques. Chacun doit comprendre qu’on ne peut porter impunément atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes, quelles qu’elles soient, en échange de quelques billets.
Le deuxième objectif, c’est que la loi prenne en compte les nouveaux médias, notamment la presse en ligne et autres sites d’information, dont l’essor a été fulgurant dans notre pays, ces dernières années.
Autre objectif visé, la révision des conditions de création de titres de presse, qui vont être précisées. Les équipes de direction devront avoir les qualifications requises, et être d’une moralité exemplaire, avec un casier judiciaire vierge.
Pour la mise en place de la Haute Autorité de la Communication (HAC), la presse a déjà désigné ses trois (3) représentants, à quand la désignation des autres membres pour l’opérationnalisation de cette institution ?
En effet, les professionnels que vous êtes ont désigné leurs trois représentants, le 24 septembre dernier. Il reste au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale de désigner chacun trois représentants pour atteindre le nombre des 9 membres indiqué dans l’ordonnance de création. Sur ce plan, le processus est en cours, les 9 sages seront bientôt connus, et nous sommes décidés à conforter cette création sur le plan législatif à travers la ratification de l’ordonnance à l’Assemblée nationale, prévue à la fin novembre. La HAC est un instrument nécessaire pour accompagner le développement du secteur. Je rappelle que c’est elle qui pourra délivrer, sur la base de critères rigoureux, les fréquences radios, de même que les autorisations pour les futurs acteurs de la télévision privée, après le processus de transition numérique qui est en cours. La HAC devra aussi faire en sorte que les lois et règlements en vigueur au Mali, de même que les mœurs communément admises soient respectées. Elle sera dotée de moyens conséquents pour cela, avec pour objectif d’assainir, de réguler et d’organiser un secteur médiatique qui peut encore davantage contribuer à l’ancrage démocratique du Mali.
Justement où en est-on avec le projet de la transition de l’analogique au numérique ?
Le processus est en marche. Je vous rappelle que la transition de la diffusion analogique vers le numérique est une recommandation de l’Union internationale des télécommunications (UIT) depuis 2006, avec une date limite pour l’Afrique fixée au 17 juin 2015. Cela signifie qu’à cette date, chaque pays doit avoir changé de mode de diffusion du signal télévisuel, et entrer dans le numérique. A terme, toutes les normes analogiques à la fois de diffusion, de transmission et de réception seront supprimées. Cela est un bouleversement des habitudes pour les diffuseurs comme pour les consommateurs. Notre pays a relancé le processus en 2014, et au plus haut niveau, à travers le Premier ministre, qui préside le comité national. La stratégie du Mali pour le passage à la TNT a été approuvée par le Conseil des ministres en octobre. Cela veut dire que nous avons notre feuille de route, le chemin est balisé et les besoins financiers connus. Reste la mise en œuvre. Nous avons commencé par sensibiliser les commerçants sur l’interdiction d’importation des téléviseurs analogiques depuis le 1er juillet, et l’interdiction de la vente depuis le 1er octobre. Désormais, il nous faut accentuer la sensibilisation des ménages maliens. Chacun doit comprendre qu’il n’est pas nécessaire de changer de téléviseur si on en a pas les moyens. On pourra toujours recevoir les images avec son ancien téléviseur, en s’équipant simplement d’un décodeur et d’une antenne. Le Gouvernement fera le nécessaire pour faciliter l’acquisition de ces équipements.
Par ailleurs, nous insistons sur le fait que la TNT est avant tout une opportunité. Non seulement, elle va permettre un son et des images meilleurs, mais elle va aussi favoriser l’arrivée de plusieurs chaines gratuites dans les foyers.
Le Ministère de l’économie et des finances travaille activement avec les partenaires financierspour mobiliser les fonds nécessaires aux investissements qui doivent être réalisés. Ils seront rentabilisés grâce aux redevances payées par les futurs acteurs de la télévision et les opérateurs Télécoms.
L’ouverture d’une Ecole de journalisme avait été annoncée pour la rentrée 2014. Nous sommes en novembre, cette ouverture se fait toujours attendre. Quelles explications avez-vous à donner ?
L’école supérieure de journalisme et des sciences de la communication va ouvrir ses portes avant la fin de cette année, dès que le projet de loi sera voté par l’Assemblée Nationale, au cours de l’actuelle session. Nous démarrerons avec une promotion de 25 personnes recrutées sur concours après le bac, et nous allons y introduire la formation continue dans les prochaines années. Le projet est piloté, sous la tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, par Monsieur Diomansy Bomboté, qui est un expert reconnu en la matière, un très grand professionnel, et l’un des doyens de la profession.
A quand l’application effective de la convention collective de la presse au Mali ?
La convention collective est avant tout une affaire de corporation. Il s’agit d’une entente entre des agents employés, leurs patrons, et l’Etat dans une certaine mesure. La balle est beaucoup plus dans le camp des patrons de presse et des journalistes. Nous attendons que tout le monde soit prêt, et alors l’Etat jouera son rôle de facilitateur. Pour nous, c’est une voie pour améliorer les conditions des journalistes, valoriser leur emploi et les protéger.
Avez-vous quelques choses à dire concernant les rapports d’audit sur les acquisitions d’équipements militaires et de l’avion présidentiel ?
Je pense que chacun doit rester à sa place. N’est pas procureur qui veut. Il faut tout simplement laisser la justice travailler afin que les délits qui auraient été commis soient sanctionnés, conformément à la loi.
Ce qui est regrettable c’est que l’on cherche à déstabiliser l’Etat, à salir l’image de ses dirigeants, et à faire croire que le Mali est isolé, et que ces audits ont entrainé la rupture avec les bailleurs. C’est totalement faux. La France a annoncé il y a quelques jours 72 milliards d’aide budgétaire directe, et la Banque mondiale 36 millions de dollars de crédit et 27 millions de dollars de subvention, le 18 novembre. Ceci est un signal fort qui témoigne de la confiance à nouveau placée en la gouvernance malienne. J’espère que ces informations, qui sont publiques, seront bien relayées par tous les medias…
Avez-vous un appel à lancer à vos confrères, j’allais dire aux journalistes du Mali ?
Oui ! Je leur demande de s’investir pleinement dans la lutte contre Ebola. Il s’agit désormais d’une grande cause nationale qui nous implique tous. Les medias, radios, TV, journaux, et sites Internet disposent d’un formidable levier pour informer nos populations sur les réalités de cette maladie, et surtout sur les moyens de la prévenir. C’est un devoir citoyen que chacun doit observer. A cet égard, je me réjouis de la signature d’un accord entre le Gouvernement et les associations faîtières, qui se sont engagées à ne pas diffuser les rumeurs, et à s’en tenir à l’information officielle. Quant au Gouvernement, il a pris l’engagement de la transparence, de la régularité et de la précision dans l’information. Ebola n’est pas une fatalité ! Nous pourrons combattre ce mal à travers une mobilisation de tous nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire.
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