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Interview exclusive du ministre de l’Economie et des Finances : Il n’y a pas de rupture avec le FMI

De retour de Maputo où elle a participé à la Conférence internationale sur le développement de l’Afrique subsaharienne, le ministre de l’Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, a accordé une interview exclusive à L’Essor. Dans cet entretien, elle revient sur cette importante rencontre, évoque la situation globale de l’économie nationale, les relations avec le Fonds monétaire international, particulièrement les raisons du report de la revue conjointe. La patronne de l’hôtel des Finances a également accepté d’aborder des sujets qui font débat comme l’achat de l’avion présidentiel, le contrat d’achat d’équipements pour l’Armée, une éventuelle augmentation des tarifs d’électricité ou encore la suppression de la subvention par l’Etat du prix du gaz butane

 Mme Bouare Fily Sissoko ministre economie finances biographie cv

L’Essor : Vous revenez de Maputo ou vous avez participé à la conférence de haut niveau sur  le développement de l’Afrique  subsaharienne. Quelle a été la contribution du Mali à cette rencontre ?

Mme Bouaré Fily Sissoko :   Je voudrais  tout d’abord, attirer l’attention sur le fait que ce genre de forum offre l’occasion  aux uns et aux autres d’échanger. La rencontre était d’autant plus importante que nous étions avec les décideurs de la finance mondiale et particulièrement le Fonds monétaire international dont 80% des pays membres étaient représentés. C’était aussi une rencontre mixte secteur public/secteur privé. Le forum était très enrichissant et a  permis d’échanger sur les expériences et des études analytiques en cours. Les thématiques comme  le marché des capitaux  sur lequel nous, pays en développement, avons beaucoup à apprendre (un marché dont  on a de plus en plus besoin compte tenu de la rareté des ressources),  la création d’emplois notamment l’emploi des jeunes,  les questions de vulnérabilité relatives aux pays en crise ou post crise, étaient au centre des préoccupations.

Q : Notre pays a exposé sur la fragilité. De quoi s’agit t-il ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Effectivement, le Mali a exposé sur ce thème et les voies de sortie de la fragilité. En fait, nous sommes  un pays exposé à la fragilité depuis des décennies notamment à travers le changement climatique. La variabilité climatique influence beaucoup nos économies qui sont fondamentalement tributaires de l’économie primaire et des aléas climatiques. A cela, il faut ajouter la crise au Nord. Il s’agissait de partager notre expérience surtout que le Mali est réputé être l’un des pays qui a affiché la plus grande résilience au phénomène de fragilité. Situation qui s’explique quelque part par la solidité de ses institution – malgré tout ce qu’on peut penser – parce qu’en 2012, l’année de la crise, l’Etat a continué à fonctionner. Les fonctionnaires ont été payés aussi bien que les pensions et les bourses. Toutes les dépenses prioritaires de l’Etat ont pu être couvertes uniquement sur financement des ressources nationales du pays.

Q : A Maputo, on a beaucoup parlé de transformation structurelle et de croissance inclusive. Concrètement, comment ces notions vont-elles se traduire dans le fonctionnement de nos économies ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Je crois que le concept de croissance porte beaucoup de connotations négatives. Ce qui fait que depuis quelques 5 ou 10 ans, on s’efforce de plus en plus à lui donner un visage plus humain en se disant que la croissance pour la croissance ne sert pas à grand chose et qu’il faut mettre l’être humain au cœur du développement. C’est ainsi que l’on a commencé à parler de croissance inclusive ou croissance « pro-pauvre ». Comment traduire cela dans la réalité ? Il faut que les économies soient transformées et on pense qu’il est bon que la base de la croissance soit élargie c’est-à-dire faire en sorte que les activités génératrices de revenus soient activées à tous les niveaux : entreprises multinationales, PME, etc. Il s’agit aussi de développer quelques outils de financement parce que les toutes petites entreprises n’ont pas toujours accès au financement et c’est là où intervient l’importance du système financier décentralisé. Les PME ont souvent accès au financement mais les taux d’intérêt sont parfois élevés. Il faut réfléchir à la solution.

Q : Au forum,  il a aussi été question d’infrastructures.

Mme Bouaré Fily Sissoko : Effectivement, mais à ce sujet, diverses tendances se sont dégagées. Parce que, de plus en plus, certains économistes africains estiment que l’Afrique doit plutôt développer l’agriculture en donnant les moyens aux agriculteurs et non mettre les infrastructures au cœur du développement. J’ai compris à ce forum que ce schéma est contesté et je pense également que la question mérite qu’on y réfléchisse.

Q : Venons-en à l’économie malienne. Comment se porte-t-elle dans un contexte de sortie de crise ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Notre économie, malgré tous les chocs qu’elle a subis, a affiché une bonne résilience. Mais le taux de croissance  2013 a été révisé à la baisse et s’est chiffré à 1,4 au lieu de 5% de prévision. Cela est particulièrement lié aux contre performances enregistrées dans le secteur de l’agriculture en raison de la faible pluviométrie.

En 2014, les prévisions sont optimistes. Le taux de  croissance attendu est estimé à 5,5%.  Par ailleurs, en 2013, au titre de la dette intérieure, les arriérés ont été apurés à hauteur de 20 milliards de Fcfa. Ce qui, selon les opérateurs économiques et les banques, a permis de relancer l’activité économique. Cette année 26 milliards de Fcfa sont inscrits pour le paiement de la dette intérieure et l’exécution va commencer au deuxième semestre. Ces 26 milliards seront payés à base des audits des arriérés. L’objectif du gouvernement, à terme, est d’apurer complètement la dette intérieure. En résumé, nous pensons aujourd’hui que les tendances économiques sont bonnes. C’est la raison pour laquelle, je trouve dommage qu’on ait des démêlés avec le Fonds monétaire international.

Q : Justement, la revue  conjointe Mali-FMI a été reportée à une date ultérieure. Quelles en sont les raisons ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Je voudrais tout d’abord souligner qu’il n’y a pas de rupture avec le FMI comme les représentants du Fonds eux-mêmes l’ont dit à plusieurs reprises. Le fond du problème est que le FMI nous  reproche d’avoir mené deux transactions sans l’en informer. Il s’agit de l’achat d’un avion à 20 milliards de Fcfa et de la transaction concernant l’équipement de l’Armée à hauteur de 69 milliards de Fcfa. Le Fonds  reproche à l’Etat d’avoir donné une garantie de 100 milliards de Fcfa pour ce marché en cours  de 69 milliards. A propos de ces transactions, chacun mène actuellement  la réflexion de son côté. En réalité, on peut dire que le débat se situe plutôt à un niveau intellectuel et chacun essaie d’affûter ses arguments.

De notre point de vue, les deux transactions ont été menées en tenant compte de la stabilité du cadre macroéconomique. Nous nous sommes assuré qu’elles ne vont pas augmenter l’écart de financement au  niveau du budget, écart qui est très souvent comblé par les bailleurs à travers les appuis budgétaires. D’où l’importance pour le Mali  de s’accorder avec le FMI.

La transaction concernant l’équipement de l’Armée ne concerne pas des munitions en tant que tel et c’est autour de cette question que nous menons présentement des discussions. Pour le Fonds,  le contrat ayant été signé sous le couvert de l’article  8 du code des marchés publics, c’est une interprétation abusive de cet article  qui a permis de passer le contrat. Pour nous ce n’est pas le cas. Il s’agit de l’achat d’équipements, chaussures rangers, fournitures, véhicules de transport avec leurs pièces détachées, bref de tout l’équipement qu’il faut pour aller au front.

Le gouvernement a assuré la garantie de 100 milliards de Fcfa en se disant que nous sommes un pays en guerre qui a absolument besoin de ces équipements. Le raisonnement a été le suivant : on prend la portion qui est  inscrite  dans le budget  et tout ce qu’on ne peut pas prendre sur le budget cette année, on l’étale sur 5 ans et on donne la garantie de l’Etat en contrepartie pour que les banques préfinancent la transaction. Il faut noter que c’est un groupement de banques qui a assuré le financement de l’opération. Le Fonds estime  que l’opération peut mettre la banque en péril. Ce n’est pas l’avis de la banque. Pour terminer, le FMI propose une relecture de l’article 8 du code de passation des marchés pour mieux encadrer cette disposition et faire en sorte qu’on puisse mieux s’accorder et mieux gérer les questions similaires à l’avenir. Ils veulent qu’on clarifie et qu’on revoie  l’article 8 du code des marchés.

Q : Allez vous donc procéder à la relecture de cet article ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : En fait, nous avons pensé que pour nous, et même pour le ministère de la Défense, il est préférable d’encadrer la disposition en question.  Mais  il ne faut pas oublier que nous sommes un pays en guerre et qu’on ne peut pas tout ouvrir. Même dans les pays développés, il y a le secret défense et on n’ouvre pas tous les dossiers. Dans ces pays, souvent quand vous allez auditer, il y a des marchés que vous ne verrez pas. Donc c’est là qu’avec le FMI,  nos lectures différent. Le partenaire  vient d’ailleurs de nous envoyer une dernière lettre avec des commentaires dans lesquels il expose notre point et le sien et suggère que le Mali lui propose des mesures pour éviter qu’une telle situation se reproduise à l’avenir. Donc, nous travaillons actuellement à cela. Il est vrai que les autres bailleurs observent le Fonds mais personne ne nous a saisi officiellement  pour dire qu’il va arrêter son appui budgétaire.

Q : Il y a-t-il un blocage  quelque part ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Dieu merci non, pour le moment. Généralement, le budget d’Etat tient tout seul les 7 à 8 premiers mois de l’année à base des ressources internes. C’est à partir du 9è mois que les appuis budgétaires commencent à tomber. Nous sommes en train de travailler pour qu’avant fin juillet, les deux parties puissent s’accorder sur quelque chose. Cela nous permettra aussi d’être en phase avec les autres pourvoyeurs d’appui budgétaire.

Q : Où en est le gouvernement avec  la réforme du secteur du  gaz ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : L’Etat subventionne le gaz depuis de longues années. L’année dernière, juste avant le mois de Ramadan, il y a eu une augmentation des prix du gaz, mais finalement ça na pas beaucoup joué sur la consommation. Toutes nos analyses économiques ont démontré, en terme d’élasticité, que subvention ou pas, la tendance de la consommation sera la même. Donc l’Etat a décidé – parce qu’il n’est pas sûr que c’est que le bénéficiaire  final qui en profite – d’arrêter la subvention et d’appliquer le prix réel du gaz pour réfléchir à la possibilité de subventionner les intrants, aliments bétail et autres qui ne le sont pas encore.

Q : Une nouvelle augmentation du prix du gaz est-elle en vue ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Non, pour le moment il n’y a pas d’augmentation du  prix du gaz en vue. Une étude avait commencé au temps du ministre Tièna Coulibaly sous la Transition. Nous sommes en train de l’actualiser.

Q : D’aucuns parlent d’une augmentation très prochaine du prix de l’électricité à hauteur  de 3% ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Sur l’électricité, les  discussions avec le FMI se sont passées à base d’un rapport conjoint élaboré par une équipe technique composée du gouvernement, du FMI, de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement. Le rapport comporte différents scénarii afin que l’Etat puisse réduire au maximum la subvention à 20 milliards à Energie du Mali. L’année dernière, le gouvernement a déboursé 55 milliards de Fcfa de subvention. Cette année, on ne descendra certainement pas en dessous de ce montant. Au niveau du groupe de travail, nous avons décidé de ne pas augmenter le prix de l’électricité cette année. En réalité, le prix  ne va pas augmenter en terme nominal c’est à dire que le prix de l’électricité en tant que tel ne va pas changer. Il changera en fonction des tranches de consommation c’est-à-dire que le consommateur va payer le juste prix en fonction de sa consommation.

La tranche sociale  est destinée à ceux qui consomment  de  zéro à 100 KW. Elle est la moins taxée. Quand vous consommez plus, le prix unitaire du KW augmente. Or, aujourd’hui, tout le monde bénéficie de cette tranche sociale. Avec les nouvelles mesures, ce sont les entreprises, unités industrielles ou  hôtels qui utilisent beaucoup d’énergie qui seront surtout concernés cette année. Mais à partir de 2015, l’étude conjointe prévoit provisoirement une augmentation générale de 3% sur 3 ans.

Donc cette année, c’est le problème de la tranche sociale qui est en examen.  Le rapport  provisoire sera actualisé en début d’année prochaine avant une prise de décision. A titre d’exemple, certaines personnes ont deux compteurs et bénéficient deux fois de la tranche sociale.

Par ailleurs, en dehors de la facturation, il a été demandé à EDM de passer des contrats avec les sociétés qui ont des capacités de stockage importantes pour l’achat de carburant sur lequel il y a beaucoup de discussions à propos de malversations. Donc, EDM n’aura plus à payer lui-même le carburant. Tout cela constitue un effort de bonne gestion.

L’Etat va  engranger  près de 1,7 milliard de Fcfa avec la mesure relative à la tranche sociale. Par ailleurs,  70% des centrales  thermiques vont passer au fuel lourd qui est pratiquement 50% moins cher que le gas-oil qu’ils utilisent actuellement. A ce niveau aussi, l’Etat va économiser des ressources  de l’ordre de 5 milliards Fcfa.

Q : Le compte unique du Trésor a-t-il été créé comme prévu ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : À ce niveau, on est vraiment en avance. C’est pourquoi c’est dommage qu’on butte sur les deux transactions citées plus haut. A l’heure actuelle, 80% des comptes qui devaient être transférés l’ont été. Sur les 20% restants, 5% seulement de ressources ont trait au budget d’Etat. Les 15% concernent les EPA qui, de part leur nature, ont le droit de domicilier leurs comptes dans les banques privées. C’est la loi qui les autorise à le faire. Le problème qui s’était posé était celui de la faible représentation de la BCEAO sur le territoire national. On avait peur que la création du compte unique du trésor n’affecte le fonctionnement des banques. Mais, du point de vue de l’équilibre financier, les études ont montré que les risques étaient limités pour la plupart des banques. Au tout début, les banques qui pouvaient être affectées étaient au nombre de  trois. Finalement, il n’en reste qu’une.

Par ailleurs, il faut noter que dans les zones où la BCEAO est absente, il faudra bien accepter que l’Etat continue à domicilier ses avoirs dans les banques commerciales quitte à ce que ces dernières et la BCEAO signent une convention afin que la Banque centrale puisse consolider l’ensemble de ses ressources au niveau de ses comptes. L’objectif final étant de pouvoir voir la position nette du gouvernement d’une façon globale au niveau du Trésor.

Q : Quelles sont les performances en termes de mobilisation des ressources internes ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Globalement les Impôts maintiennent le cap. Les Douanes, elles, avaient eu quelques problèmes sur l’axe de Dakar avec les grèves. Mais elles sont en train de remonter la pente. Globalement, nous pensons que les objectifs de recettes seront atteints. A cela, il faut ajouter que les vérifications croisées entre le service des Douanes et celui des Impôts a porté fruit. C’est ainsi que l’an passé, ce rapprochement a permis d’apporter des recettes additionnelles de 8 milliards de Fcfa. L’opération a si bien réussi qu’on pense maintenant y associer la DGMP (Ndlr : la Direction générale des marchés publics) pour faire mieux encore.

Q : Le Mali est-il en train de respecter ses engagements  pris dans le cadre du programme triennal conclu avec le Fonds monétaire ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Globalement, nous respectons nos engagements. Le premier achoppement a eu lieu autour du tarif de l’électricité. A ce sujet, le gouvernement a expliqué que, cette année, il ne pouvait pas assumer une augmentation nominale du KW. Sur la base de l’étude provisoire réalisée, peut-être que l’année prochaine, une augmentation de  3% sera possible, mais l’étude doit être actualisée avant que le gouvernement ne décide. A cette question sont venus se greffer les deux dossiers de transaction. Aussi, j’insiste : il est dommage qu’on s’enlise pour des questions  de procédures et d’interprétation de textes.

Sur les deux dossiers en question, nous avons même échangé de manière informelle avec la Section des comptes de la Cour suprême. Et manifestement, du point de vue de la législation et de la réglementation malienne, il n’y a pas de problème. L’essentiel est que dans le collectif budgétaire prévu, tout cela apparaisse et soit discuté et validé par les députés à l’Assemblée nationale. Actuellement, toutes ces dépenses ont été intégrées dans le projet de collectif budgétaire.

Pour l’achat de l’avion du Mali dont le coût est de 20 milliards,  les 5,5 milliards de Fcfa payés cette année, étaient déjà inscrits dans le budget sur les rubriques « autres dépenses » qui sont destinées justement à ce genre de situation. On a été obligé d’intégrer les 14,5 milliards restants dans le Budget en faisant des prélèvements sur le BSI des départements ministériels. En plus, il fallait chercher 10 milliards de Fcfa pour la sécurité alimentaire. Ces deux éléments  ont été intégrés  dans le budget sans  aggraver l’écart de financement.

Q : A quand la prochaine revue ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Une mission du FMI doit arriver au Mali  en septembre prochain. Le plus important est que des deux cotés, on a décidé de ne pas aller à la rupture. Le FMI pense qu’à l’arrivée de la  mission, nous allons nous mettre d’accord. Notre souhait est de voir clair en attendant. Dès que nous recevrons sa lettre, nous répondrons et travaillerons à ce qu’on puisse se rencontrer ou organiser une vidéoconférence afin de trouver un terrain d’entente avant la fin du mois de juin.

Q : Avez-vous un message personnel pour nos compatriotes ?

Mme Bouaré Fily Sissoko : Je voudrais simplement dire que l’heure n’est pas à la division. Nous devons nous concentrer sur l’essentiel pour pouvoir sortir des problèmes dans lesquels le pays se trouve aujourd’hui. Si  chacun joue son rôle, je pense que tout ira pour le mieux.

Propos recueillis par

F. MAÏGA

SOURCE: L’Essor
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