L’organisation patronale a analysé la situation industrielle de notre pays en cernant les obstacles et proposant des solutions
Dès les premières années de l’indépendance, notre pays a donné la priorité à l’implantation d’une base industrielle publique diversifiée, dont la production était exclusivement destinée au marché intérieur. La libération de l’économie nationale, amorcée au début des années 1992, a mis l’entreprise publique face à des situations concurrentielles auxquelles elle n’était pas préparée. Dans le même temps, le secteur industriel privé a commencé à se développer, à la faveur de la nouvelle politique de développement industriel.
Aujourd’hui, la contribution du secteur industriel privé à la production industrielle nationale dépasse 70%. Ainsi, même si elle a perdu d’importantes parts sur le marché intérieur du fait d’importations massives, l’industrie nationale dispose d’une infrastructure solide mais qui nécessite un redéploiement des efforts politiques dans la perspective de la relance économique de notre pays.
L’Organisation patronale des industries est fortement mobilisée dans la recherche de solutions adéquates au développement industriel du pays. Son assemblée générale tenue ce week-end dans les locaux du Conseil national du patronat Mali (CNPM) lui a permis de faire une analyse de la situation des industries maliennes. Les travaux présidés par le ministre de la Promotion des investissements et du Secteur privé, Mamadou Gaoussou Diarra, assurant l’intérim de son homologue du Commerce et de l’Industrie, se sont déroulés en présence de l’ancien Premier ministre Moussa Mara et de l’ancien ministre de la Promotion du secteur privé aujourd’hui secrétaire général adjoint de la Présidence, Moustapha Ben Barka. La rencontre a enregistré la présence massive de représentants des institutions de notre pays, de responsables d’associations et groupements professionnels du monde des affaires.
500 UNITES INDUSTRIELLES. Dans son intervention, le patron de l’OPI, Cyril Achkar, a relevé le contraste entre l’immensité des richesses naturelles de notre pays et la faible capacité de transformation de ces ressources. Il a déploré le fait que le Mali, l’un des plus grands producteurs de coton d’Afrique, continue d’importer des pagnes, des T-shirts, du bazin ainsi que d’autres produits dérivés du coton, sans compter les centaines de milliards de Fcfa versés à l’économie d’autres pays à travers les importations de friperie vestimentaire. Il a rappelé à ce propos que seulement 2% du coton malien est transformé sur place et qu’il en est de même pour le secteur de l’élevage. « Que dire du déficit de la balance commerciale de notre pays avec plus de 400 milliards de Fcfa en moyenne ces trois dernières années soit l’équivalent de l’aide publique au développement (prêt concessionnel +subvention) », s’est-il interrogé en relevant le recul de l’industrialisation de notre pays de l’indépendance à nos jours et de la part de la manufacture dans le PIB qui passe de 10 à 5%.
Cyril Achkar relèvera que notre pays ne compte que 500 unités de transformation dont seulement une centaine dans le secteur formel contre 6000 en Côte d’Ivoire et 3000 au Sénégal. De surcroit « seuls 76% des industries au Mali sont en activité. Les 24% qui restent sont liquidés ou à l’arrêt. Notre industrie a été fragilisée depuis que la crise économique sévit après les événements de mars 2012. Avec une telle faiblesse de production, le secteur industriel est incapable d’exploiter les opportunités offertes par les marchés des pays industrialisés (notamment les APE, l’AGOA, l’UEMOA, la Cedeao et ses 300 millions de consommateurs) », a t-il constaté.
Selon le patron de l’OPI, les problèmes du secteur industriel sont structurels et conjoncturels. « La première difficulté des unités industrielles maliennes est l’insuffisance d’infrastructures de base. Le coût élevé de certains facteurs de production, la vétusté des équipements et des matériels de production, la gouvernance d’entreprise, le coût de l’énergie, la faible articulation entre l’industrie, la recherche et les autres secteurs de l’économie, l’inadéquation formation-emploi, l’enclavement constituent les véritables causes du sous-développement de ce secteur clé de l’économie. L’accès au financement est difficile. Le taux de l’impôt est élevé sur les sociétés, le gouvernement vient de passer la taxe sur les activités financières à 17% allant dans le sens contraire de nos revendications. Le coût de l’emploi est excessif. Il en est de même du taux de la TVA sur les produits fabriqué au Mali, la contrebande, la concurrence déloyale, la mauvaise application des textes réglementaires, le poids de l’informel », a énuméré Cyril Achkar.
Pour relancer l’industrie, l’organisation patronale propose la mise en œuvre de mesures fortes et concrètes. « Malgré ces problèmes, le Mali n’a pas d’autre choix que de poursuivre son industrialisation parce qu’elle demeure la seule voie du développement et de la croissance. Nous pouvons faire de l’industrie malienne, un secteur créateur de richesses, de croissance économique et prenant une part importante dans le PIB du pays. Mais pour cela, il faut obligatoirement réformer le secteur. La stratégie consistera à une mobilisation judicieuse des ressources financières et non financières (ressources humaines, technologiques) et leur affectation à la transformation industrielle des ressources du pays », a plaidé l’industriel.
LA MISE EN PLACE D’UN FONDS D’INVESTISSEMENT. Cette démarche consistera à construire les bases d’une gouvernance industrielle au Mali, à développer des infrastructures de base propice au développement économique du pays, à promouvoir les ressources humaines, à accroitre la valeur ajoutée de la production et à stimuler les investissements, notamment dans les secteurs énergétiques, dans l’agro-industrie et dans l’industrie manufacturière plus généralement.
Cyril Achkar a préconisé des solutions conjoncturelles propres à relancer l’industrie. « Nous proposons une TVA réduite à 5% uniquement pour les produits manufacturés et non importés. La suppression de la taxe sur les activités financières (TAF) serait stimulante. Il est urgent de redynamiser les structures techniques chargées de la lutte contre la fraude et la concurrence déloyale », a t-il recommandé en saluant le plan de reconquête industrielle confié au département de l’Industrie par le président de République, Ibrahim Boubacar Keita qui prévoit de rompre avec le cycle de désindustrialisation et de repositionner le pays au meilleur niveau sous-régional.
Il a également salué les actions entreprises par le département de l’industrie pour la relance industrielle du pays avec l’instauration d’un contrat de performance entre les unités industrielles et le département. « Notre pays retrouve la voie de la normalité avec la signature de l’accord de paix d’Alger, la reprise de l’aide des partenaires. Cependant, le développement auquel nous aspirons ne réside que dans la transformation de nos potentialités. A ce jour, nous dénombrons une trentaine d’unités à l’arrêt alors que les équipements sont là, les expertises aussi, il nous manque juste un accompagnement financier adéquat de l’Etat, car ces unités n’ont plus de fonds propres et les banques ne les refinanceront pas par la faute de créances douteuses. Il appartient à l’Etat d’influencer leur redémarrage. Le fonds de garantie est une demi solution. Il faut un fonds d’investissement », a-t-il préconisé.
Pour sa part, le ministre de la Promotion des Investissements et du Secteur privé, Mamadou Gaoussou Diarra, a loué la pertinence des analyses de l’OPI et assuré de l’accompagnement de l’Etat pour une relance industrielle effective. « Au niveau du département, plusieurs actions ont été entreprises pour doter notre pays d’un secteur industriel performant. Ainsi sur le plan structurel, l’adoption par le gouvernement du plan d’actions 2015-2017 de la Politique de développement industriel ainsi que de la Politique nationale de la qualité et de son plan d’actions 2015-2017 démontre à suffisance notre engagement pour la redynamisation de ce secteur stratégique. Dans le domaine de l’appui aux entreprises industrielles, il faut noter la signature de contrats de performance entre le gouvernement et trois sociétés – la SONATAM, la COMATEX et TCB – ainsi que la poursuite de la mise en œuvre des contrats déjà signés avec MASEDA et BATEX-CI. Dans les prochains jours, le département signera des contrats de performance avec la SOMAPIL et EMBAL-MALI », a détaillé le ministre Diarra.
Il indiquera qu’en matière de densification du tissu industriel, le département a enregistré avec beaucoup de satisfaction les projets de réalisation d’une huilerie moderne à Koulikoro par les Grands moulins du Mali et d’un complexe agro-industriel réalisé à Ségou par les Moulins modernes du Mali. « Dans le même cadre, des protocoles d’accord ont été signés avec la société chinoise CLETC pour réaliser une usine de production de concentré de tomates, une usine de production d’huile d’arachide et une usine de transformation de manioc. En termes d’amélioration des infrastructures et de l’environnement industriel, le département a signé un protocole avec la société chinoise CLETC pour l’aménagement des zones industrielles de Kayes, Bamako et Ségou. Nous partageons parfaitement cette vision de l’OPI qui prône de promouvoir la production industrielle nationale pour avoir et les biens et l’argent chez nous même. Cette voie, nous la savons difficile mais nous sommes engagés à réussir ce pari, conformément aux engagements du président de la République Ibrahim Boubacar Keita, dont le programme politique consiste à construire une économie nationale basée sur la transformation de nos produits agricoles », a-t-il développé. Le ministre a informé le monde des affaires de l’installation d’un Comité de suivi et d’évaluation des contrats de performance et d’un Comité d’évaluation de la mise en œuvre du plan d’actions de la Politique industrielle du Mali. Outre les représentants de l’administration, le secteur privé et la société civile sont membres de ces deux instances.
Dans cette perspective, le ministre Diarra a confirmé que le développement de l’industrie textile constituait une préoccupation permanente pour le département dont l’objectif est de transformer 20% de notre production cotonnière à l’horizon 2020, contre 2% aujourd’hui. En attendant l’adoption de ces mesures, le département a pris les dispositions pour renforcer la lutte contre la fraude en redynamisant la Commission nationale de lutte contre la fraude. « L’objectif recherché par ces reformes est de promouvoir les industries qui permettront à notre pays de mieux exploiter ses atouts naturels et de passer du stade de simple importateur de produits vers celui de producteur et d’exportateur de biens transformés, à technologie plus élaborée et à plus forte valeur ajoutée. Il s’agit donc d’encourager les industries qui contribuent à l’intégration d’activités actuellement situées aux dernières étapes de la chaîne de production. Les industries susceptibles de favoriser cette remontée des filières sont celles généralement liées à l’assemblage et au conditionnement : industries agroalimentaires, industries des biens de consommation et des biens d’équipement », a-t-il précisé.
D. DJIRE
source : L’ Essor