C’est avec une boule à la gorge que Prisca Édouard se réveille lundi matin. Elle apporte la dernière touche aux préparatifs, aidée de ses proches. « Cela fait du bien de pouvoir compter sur sa famille », dit-elle, en pensant surtout à sa sœur qui l’a aidée pour la robe, le maquillage… « Des trucs de filles quoi… » C’est à 11 h 45 que Prisca, accompagnée de son frère et de sa sœur, ses témoins, se pointe à la prison de Melrose. C’était un moment que nous attendions depuis longtemps. Cela fait plus de 10 ans que nous nous aimons… Nevil est encore sous l’effet de l’émotion. Nous arrivons difficilement à croire que notre rêve soit enfin devenu réalité. Nu finn gayn enn viktwar apre enn long komba », dit la jeune femme. Dans l’après-midi, une réception a été organisée où les proches de Prisca et de Nevil étaient conviés. « Comme beaucoup de nos proches n’ont pu assister à la cérémonie à la prison, nous avons organisé un dîner mardi. Nous avons coupé un gâteau en l’honneur de Nevil », poursuit-elle.
Pour Prisca édouard, c’est une première victoire de gagnée. La deuxième, dit-elle, reste à venir. Une « surprise » qu’elle annonce comme « la cerise sur le gâteau ». En fait, Nevil Rome, condamné à 30 ans de prison pour trafic de drogue, a fait appel du jugement. « Les choses semblent aller dans la direction voulue. Il faut attendre. Notre ultime souhait, c’est que Nevil obtienne la liberté et qu’on puisse être ensemble, comme un couple normal », lâche Prisca, sans vouloir toutefois en dire davantage. En épousant civilement Nevil Rome, Prisca pourra avoir un contact direct avec Nevil. « Dans le passé, ce n’était pas possible, mais cela va changer. Ma fille et moi, nous allons désormais porter le nom de famille de Nevil et grâce à cela, nous allons nous aussi pouvoir bénéficier de ce privilège », indique-t-elle.
« L’amour sans le sexe, c’est possible »
Prisca indique que les visites conjugales ne sont pas permises à Maurice. Le couple n’a pas eu droit à leur lune de miel. « Notre priorité était le mariage civil. La lune de miel aurait été un luxe, un bonus, mais dans nos prisons, les visites conjugales ne sont pas autorisées, du moins pas pour le moment », déclare Prisca. Et l’amour sans le sexe ?
À cette question, la jeune mariée explique que toutes les femmes ont des besoins émotionnels et physiques qui doivent être assouvis. « Mais en ce qui me concerne, mon amour pour Nevil est plus fort que tout. Il fait que j’accepte cette relation même sans le sexe. La base même de notre union, c’est notre amour et il comble en quelque sorte la distance qui nous sépare. Le fait que Nevil soit incarcéré depuis quatre ans n’a fait que renforcer le sentiment qui nous unit. Ce qui m’amène à dire que l’amour sans le sexe, c’est possible. J’en suis l’exemple vivant », souligne-t-elle.
L’incarcération de Nevil Rome en 2011 a été une période douloureuse pour cet ancien membre de la force policière. « C’était très dur au début. D’ailleurs, ça l’est encore. Mais étant donné qu’on se voit, qu’on s’écrit et qu’on se parle régulièrement, cela atténue quelque peu la souffrance. ça reste quand même très difficile. Ce n’est pas évident de voir, du jour au lendemain, un homme avec lequel vous avez partagé votre vie aller en prison. 30 ans, c’est très long. C’est pratiquement tout le restant de sa vie qu’il va passer en prison. Sans compter que nous avons une fille de 12 ans », avance cette femme de 32 ans. « L’amour est plein de bonté et de patience, et on attend », lâche Prisca.
Réclamation de Rs 5 M à la police
Prisca Édouard, qui comptait une dizaine d’années de service au sein de la police, avait été poussée à la retraite en avril 2014. Elle avait exprimé ouvertement son désir d’épouser civilement Nevil Rome. « C’est une période que j’ai très mal vécue, car porter l’uniforme de la police était mon rêve de petite fille. De plus, la police n’a jamais pu me reprocher quoi que ce soit lorsque j’étais en fonction au sein de la police régulière, à la SSU ou à la CID.
C’est sur le plan personnel qu’elle avait des choses à redire. J’ai été forcée à la retraite et je n’avais pas mon mot à dire. Je me suis retrouvée du jour au lendemain sans emploi. Cela pour l’amour de ma vie qui, je suis convaincue, est innocent. Mais comme je dis toujours, c’est Dieu qui insuffle l’amour dans le cœur d’une personne », affirme-t-elle. Prisca s’est résolue à intenter un procès à la police et réclamer des dommages de Rs 5 millions. « Je laisse désormais la justice faire son travail », souligne-t-elle. Et afin de pouvoir subvenir à ses besoins et ceux de sa fille de12 ans, Prisca Édouard a rejoint le business familial.
Le mariage à la prison
Nous avons tenté de connaître les procédures pour la tenue d’un mariage d’un détenu. Selon les normes établies, le détenu ou la détenue doit formuler une demande auprès de l’administration carcérale. Des détails concernant la relation, l’identité et le profil du conjoint doivent être fournis par le détenu. Chaque demande est traitée minutieusement, en tenant compte de sa spécificité et en considérant l’aspect sécuritaire. Une enquête est menée par le département Welfare de la prison, avant d’accepter ou non une demande.
Par la suite, les officiers de la prison fixent un rendez-vous avec la personne. Une rencontre entre les officiers et les amoureux est tenue pour s’assurer des accords entre les deux parties. Le jour et l’heure finalisés, une liste très restreinte d’invités est mise sur papier. Les proches parents des futurs mariés sont présentés aux officiers et ils pourront ensuite accéder à la salle mise à disposition pour les besoins de la cérémonie. L’administration de la prison se charge également de faire dépêcher un officier de l’état civil pour compléter les formalités légales. Le seul contact humain rapproché autorisé par l’administration du milieu pénitentiaire, c’est à l’échange des anneaux. Pour le reste, le détenu doit attendre la libération, car à Maurice, les visites conjugales ne sont pas autorisées.
L’affaire Nevil Rome
Antonio Nevil Rome a été arrêté par la brigade anti-drogue lors d’une opération de controlled delivery. L’affaire remonte au 29 juin 2004. Les suspects Antonio Nevil Rome, Gino Gustave et Jean Paul Snorden François, un officier de la Special Mobile Force, avaient été pris en flagrant délit à Pointe-aux-Biches par l’Adsu. Lors de l’enquête préliminaire devant le tribunal de Mapou, les trois suspects avaient clamé leur innocence. Dans cette affaire, un ressortissant sud-africain a également été arrêté à l’aéroport de Plaisance le 27 juin 2004 avec, dans ses valises, 291,46 grammes d’héroïne.
