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Il y a 60 ans… Octobre 1962 : La crise des missiles de Cuba, le monde au bord du gouffre

Caricature de Leslie G. Illingworth, publiée dans le journal britannique Daily mail, le 29 octobre 1962, lors de la crise de Cuba, montrant Khrouchtchev et Kennedy se livrant à un bras de fer, assis chacun sur une bombe H. 

Le 14 octobre 1962, les Etats-Unis découvrent, par une photographie prise par un avion espion américain, que l’URSS a installé des rampes de lancement de missiles nucléaires à Cuba, à 150 kilomètres à peine des côtes américaines. Il s’agit de fusées avec leur ogive contenant une charge nucléaire. Cette photographie aérienne montre distinctement les rampes de lancement, les abris de stockage, et des véhicules élévateurs de missiles. Cette découverte inquiète au plus haut point le gouvernement américain, déjà très préoccupé par l’arrivée au pouvoir à Cuba de Fidel Castro en janvier 1959, et fortement contrarié par l’échec du débarquement de Cubains anticastristes organisé par les Etats-Unis dans la baie des Cochons à Cuba en avril 1961.

Quelques jours plus tard, le 22 octobre, le président américain, John F. Kennedy, met en place un embargo – blocus – sur Cuba. Il prend également la parole à la télévision, s’adressant à la nation américaine : « Au cours de la dernière semaine, nous avons eu des preuves incontestables de la construction de plusieurs bases de fusées dans cette île opprimée. Ces sites de lancement ne peuvent avoir qu’un but : la constitution d’un potentiel nucléaire dirigé contre l’hémisphère occidental. Plusieurs de ces bases sont dotées de missiles balistiques à portée moyenne, capables de transporter une tête atomique de quelque 2000 kilomètres, ce qui signifie que chacune de ces fusées peut atteindre Washington, Cap Canaveral, le canal de Panama, Mexico et toute autre ville située dans le sud-est des Etats-Unis, en Amérique centrale et dans les Caraïbes ». Outre l’embargo, par lequel « tous les bateaux se dirigeant vers Cuba seront interceptés et devront faire demi-tour s’ils transportent des armes offensives », il décide d’instaurer « une surveillance permanente et plus étroite de Cuba et la mise en place d’un dispositif militaire ». De plus il considère que « tout missile nucléaire lancé à partir de Cuba contre l’une des nations de l’hémisphère occidental sera considérée comme l’équivalent d’une attaque soviétique contre les Etats-Unis, attaque qui entraînerait des représailles massives contre l’Union soviétique ». Enfin, il exige la réunion immédiate d’une séance d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU « afin de répondre à la plus récente menace soviétique à la paix du monde ».

Le monde est suspendu à cette crise, qui met la planète au bord de la guerre nucléaire. Finalement, l’URSS va céder (au grand dam de Fidel Castro qui était prêt à aller jusqu’au bout) : le 25 octobre, des navires soviétiques à destination de Cuba font demi-tour. Le 22 octobre, Kennedy écrit un télégramme à Khrouchtchev, amorçant un compromis : « Vous accepteriez d’éliminer les installations armées à Cuba sous une observation et un contrôle appropriés des Nations unies, et vous vous engageriez avec des sauvegardes convenables à interrompre toute nouvelle entrée de telles armes à Cuba ; nous, de notre côté, nous accepterions – après la mise au point d’arrangements convenables par l’intermédiaire des Nations unies – d’assurer la mise en œuvre et l’application de (…) la levée rapide des mesures de quarantaine actuellement en vigueur, et donner des assurances contre toute invasion de Cuba.(…) Mais le premier impératif, laissez-moi le souligner, est la cessation des travaux sur les bases de missiles à Cuba et la prise de mesures destinées à rendre ces armes inopérantes sous des garanties internationales efficaces ». Khrouchtchev lui répond quelques heures plus tard ; il commence par se défendre de toute intention offensive, écrivant : « nous avons expédié là-bas des moyens de défense, que vous appelez moyens offensifs. Nous les avons expédiés afin que ne fût pas menée une attaque contre Cuba ». Puis il amorce un modus vivendi : « j’éprouve respect et confiance à l’égard de la déclaration que vous avez faite dans votre message (…), selon laquelle il n’y aura pas d’attaque contre Cuba. (…) Alors, les motifs qui nous ont poussés à accorder une aide de telle nature à Cuba disparaissent également. (…) Nous sommes prêts à nous mettre d’accord avec vous pour que des représentants de l’ONU se rendent à Cuba afin de pouvoir constater la réalité du démantèlement des moyens que vous appelez offensifs. De la sorte (…), toutes les conditions indispensables existent pour que le conflit qui s’est créé soit liquidé ».

Le 28 octobre, l’URSS démantèle ses rampes de lancement à Cuba, en échange de la promesse des Etats-Unis de ne plus chercher à envahir Cuba et de retirer leurs missiles nucléaires de Turquie (d’où ils pouvaient être lancés en direction de l’URSS). Ainsi, grâce à la négociation entre « les deux K. », la crise est désamorcée et réglée, avec le rôle de l’ONU comme arbitre impartial.

Le 30 octobre 1962, Khrouchtchev, dans une lettre à Fidel Castro, désavoue ce dernier : « dans votre dépêche du 27 octobre, vous nous avez proposé d’être les premiers à utiliser l’attaque nucléaire contre le territoire de l’ennemi. Cher camarade Fidel Castro, je considère cette proposition comme incorrecte. (…) Evidemment, en pareil cas, les Etats-Unis souffriraient d’énormes pertes, mais l’Union soviétique et tout le camp socialiste souffriraient aussi beaucoup. Il est même difficile de dire comment cela pourrait se terminer pour le peuple cubain… ».

À l’issue de cette crise, qui a mis la menace nucléaire à son paroxysme, les deux Grands, URSS et Etats-Unis, mettent en place un « téléphone rouge », ligne de téléphone directe reliant le Kremlin à la Maison-Blanche, et permettant donc à Khrouchtchev et à Kennedy de se parler en direct en cas de crise analogue, pour éviter l’irréparable. Et en août 1963, les deux superpuissances, ainsi que le Royaume-Uni, signent l’accord sur l’interdiction des essais nucléaires dans l’atmosphère. Ainsi, à la suite de cette crise de Cuba, le monde entre dans l’ère de la « Détente », une période d’apaisement des tensions Est-Ouest. Cela aboutira notamment à la signature du « Traité de non-prolifération », le TNP, en 1968.

Aujourd’hui, 60 ans après, on compte au moins 9 puissances nucléaires :  États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord., et l’arsenal nucléaire mondial est d’environ 16 300 armes nucléaires, que se répartissent ces neuf puissances nucléaires. En 2020, les 9 États possédant l’arme nucléaire ont dépensé plus de 60 milliards d’euros par an dans leurs arsenaux nucléaires, soit 114 000 euros par minute ! Outre les dégâts humains, sanitaires et environnementaux des bombes nucléaires, elles engloutissent un énorme budget, qui serait mieux utilisé au service des peuples et pour l’éducation, la santé, le logement, la culture, etc.

Actuellement, les tensions nucléaires sont à nouveau à leur comble, suite aux menaces proférées par le président russe Vladimir Poutine, consécutive à l’invasion russe de l’Ukraine depuis février 2022. Toutefois, des signaux positifs surnagent dans cette situation critique, grâce à l’adoption en 2017, à l’ONU, du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), qui, signé aujourd’hui par 86 États et déjà ratifié par 65 d’entre eux (mais parmi eux aucune puissance nucléaire malheureusement), est entré en vigueur en janvier 2021.

Pour faire avancer la situation géopolitique internationale dans un sens plus pacifique, le rôle des populations est crucial, et notamment par le biais d’associations pacifistes. Celles-ci sont regroupées au niveau international dans ICAN : Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires. Cette association, créée en 2007 à Vienne en Autriche, compte aujourd’hui 468 organisations partenaires dans 101 pays. ICAN a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2017, ce qui a permis de médiatiser son action. Il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser les populations au danger des armes nucléaires et à l’urgence de les interdire.

Chloé Maurel

Historienne, rédactrice en chef de la revue Recherches internationales

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