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Ibrahim Maïga : «Le problème du Mali va au-delà d’IBK»

Dans l’interview ci-dessous, le chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité s’exprime sur
l’évolution de la situation sociopolitique du pays, dominée par l’entrée en scène d’un groupe d’officiers. Aussi, aborde-t-il l’impact que peut avoir cet évènement sur la situation sécuritaire dans le pays

 

L’Essor : Cette irruption de l’Armée sur la scène politique au Mali était-elle prévisible ?

Ibrahim Maïga : C’était un scénario parmi d’autres, même s’il n’était pas le plus probable jusqu’à sa matérialisation le 18 août dernier. L’expérience du coup de 2012 et la forte présence internationale dans le pays ont certainement contribué à atténuer les craintes de coup d’État chez une partie des acteurs internes et externes. Cependant, l’impasse politique dans laquelle le pays était plongé depuis plusieurs mois était un signe avant-coureur que les choses pouvaient s’accélérer et qui n’ont peut-être pas été appréciées à leur juste valeur.

La succession sur le long terme de grèves persistantes dans les secteurs de la santé, de la justice et de l’éducation a été le premier signal fort d’un essoufflement du pouvoir incarné par le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Ensuite, les mobilisations citoyennes répétées visant à dénoncer la dégradation de la situation sécuritaire, notamment avec les massacres récurrents de populations civiles dans le Centre du pays et, plus récemment, la gestion controversée de la crise sanitaire liée à la Covid-19 a mis à mal le peu de confiance qui restait entre le gouvernement et une partie de l’opinion nationale.

L’immixtion de l’armée dans la vie politique consacre aussi l’échec des médiations internes et externes dont celle particulièrement remarquée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Les recommandations à minima formulées par la Cedeao n’ont pas tenu compte de la soif de changement qui a permis au Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), composé en grande partie d’anciens alliés du président IBK, de rassembler au-delà des clivages idéologiques et des intérêts partisans.

Ce coup d’État est intervenu dans un climat surchauffé, et c’est ce qui explique en partie les scènes de joie ayant accueilli l’arrestation d’IBK et de son Premier ministre Boubou Cissé. Pour certains, cette situation n’est que l’aboutissement de la mobilisation contre le pouvoir en place, et d’autres y voient l’issue la plus évidente à ce bras de fer qui paralysait le pays depuis juin dernier. Il ne faut cependant pas oublier que les problèmes du Mali vont au-delà de la personne d’IBK.

L’Essor : La Cedeao a annoncé une série de sanctions contre le Mali à la suite des évènements du mardi 18 août. Qu’est-ce qui explique cette réaction de l’organisation régionale?

Ibrahim Maïga : Plusieurs raisons peuvent expliquer le positionnement de la Cedeao. Tout d’abord, l’organisation est dans une position de principe conformément à ses textes dont le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui condamne tout changement anticonstitutionnel de pouvoir.
Ensuite, le coup d’État intervient dans un contexte régional tout particulier. Plusieurs pays s’apprêtent à tenir des élections dont la Côte d’Ivoire et la Guinée où des contestations sont en cours contre les candidatures à un troisième mandat des deux présidents sortants. La Cedeao ne veut donc pas donner l’impression qu’un coup d’État pourrait se justifier dans des situations de blocage politique.

L’organisation est donc à la fois sur une posture de défense de principes, mais également de calculs d’intérêts politiques. Une position plus conciliante vis-à-vis des auteurs de la démission forcée du président IBK pourrait être interprétée comme une prime aux coups de force. Enfin, ces positions fortes pourraient également viser à garder un levier de négociation, notamment sur la question de l’exil éventuel du président déchu ou encore s’agissant du rythme du transfert du pouvoir aux civils. Tout comme la Cedeao, l’Union africaine a suspendu le Mali de l’organisation continentale en représailles au coup d’État.

L’Essor : Quel peut être l’impact de ces sanctions sur le Mali ?

Ibrahim Maïga : La Cedeao a, en effet, décidé de suspendre le Mali de ses instances décisionnelles et ordonné la fermeture des frontières, l’arrêt de toutes les transactions financières ainsi que de certains flux économiques et commerciaux. Ces décisions risquent de perturber l’économie malienne déjà en difficulté et qui est en train de vivre l’une des pires campagnes cotonnières. Dans la pratique, elles risquent d’avoir un impact en premier lieu sur les populations maliennes les plus fragiles, et pas sur les auteurs du coup.

Le Mali est un pays dépendant des importations et l’annonce d’un embargo pourrait même avant sa mise en œuvre, conduire à une inflation sur des produits de première nécessité. Cela a été constaté dans les premiers jours de l’annonce de la fermeture des frontières du fait du Covid-19, et ce malgré les annonces rassurantes des pouvoirs publics affirmant que les biens de consommation n’étaient pas concernés par la mesure. Il y a un facteur psychologique chez les acteurs économiques à ne pas négliger dans l’annonce de sanctions.

L’objectif est probablement d’exercer une pression indirecte sur les militaires en les poussant à faire des concessions de forme et de fond. Mais, si les sanctions sont un moyen de pression important sur le pouvoir militaire, elles peuvent également compliquer davantage le processus de médiation en cours. Tout en condamnant le principe du coup d’État et en exigeant le retour à l’ordre constitutionnel, l’organisation régionale devrait éviter les positionnements extrêmes qui avaient largement contribué à affaiblir son intervention dans le bras de fer qui opposait IBK au M5-RFP.

Pour réussir sa mission de médiation, la Cedeao doit instaurer un climat de confiance avec le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et les autres parties prenantes comme le M5-RFP, l’ex-majorité présidentielle et la société civile afin de les accompagner dans l’élaboration d’une feuille de route inclusive.

L’Essor : Quel impact peuvent avoir ces évènements sur la situation sécuritaire dans le pays ?

Ibrahim Maïga : Que l’Armée s’occupe de la chose politique ne rassure pas sur sa capacité à se consacrer en même temps aux affaires militaires et le fait qu’une partie du commandement et des autorités militaires ait été mise aux arrêts est évidemment une source d’inquiétude sur le plan de la continuité de certains processus et de suivi de certains dossiers. Le CNSP, dans sa première déclaration, s’est d’ailleurs voulu rassurant en exprimant son souhait de poursuivre la collaboration avec les différents partenaires militaires du Mali, notamment la Mission des Nations unies, la force Barkhane ou encore la Force conjointe du G5 Sahel. Il ne faut pas oublier que les situations de confusion à Bamako ont souvent été exploitées par les groupes armés actifs dans le pays pour s’implanter ou gagner du terrain.

En 2012, les groupes affiliés à Al Qaïda et les groupes rebelles avaient su tirer profit de la crise politique consécutive au coup d’État contre le président Amadou Toumani Touré (ATT). Bien que les groupes extrémistes violents soient aujourd’hui plus divisés que par le passé, un des canaux de communication habituels du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) a diffusé un message dans lequel le coup d’État est évoqué et les combattants sont invités à exploiter la situation à leur avantage. C’est donc une dimension qui doit sérieusement être prise en compte dans les discussions autour du retour à un ordre constitutionnel, s’agissant notamment des priorités immédiates ainsi que de la répartition des rôles. Cependant, l’impact sécuritaire pourrait aller au-delà de la menace posée par les groupes extrémistes violents.

Les évènements de ces derniers jours dans la ville de Gao ayant débouché sur de nouvelles tensions inter-communautaires illustrent la fragilité du climat sécuritaire et la diversité des situations d’insécurité. La gestion du pouvoir politique à Bamako ne devrait donc pas faire perdre de vue les enjeux de sécurité dans le reste du pays.

L’Essor : Que faudrait-il faire pour que cette rupture soit l’occasion d’un nouveau départ pour le Mali ?

Ibrahim Maïga : En 2012, suite à l’interruption du mandat du président ATT, deux mois avant son terme, les acteurs régionaux et internationaux ont poussé pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel et à l’élection de nouvelles autorités chargées de mettre en œuvre les réformes dont le Mali avait besoin. Huit ans après, un nouveau coup d’État est intervenu. Il convient de s’interroger sur les limites de l’approche qui consisterait à recycler la formule classique appliquée lors des coups d’État et de s’assurer que la transition pose les bases d’un processus de réformes suffisamment solides afin qu’il devienne irréversible pour les nouvelles autorités élues.

Pour y parvenir, il faudra s’affranchir de la tyrannie de l’urgence. Il faudra aussi éviter de résumer la situation malienne à la personne d’IBK et de son entourage. Au-delà des personnes, ce sont des réformes profondes qu’il faut amorcer. La volonté du CNSP de passer le pouvoir aux civils doit se matérialiser par la mise en place d’autorités de transition chargées d’initier les réformes sur lesquelles les Maliens se seront entendus. Le CNSP semble bénéficier d’un soutien populaire. Certains acteurs politiques maliens, le M5-RFP en tête, lui ont aussi apporté leur soutien, tout comme une partie des groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015. Ce temps de consensus devrait être mis à profit pour mettre sur la table les réformes que les Maliens ont bruyamment réclamées au cours des derniers mois.

La transition devrait se focaliser sur quelques axes majeurs dont l’élaboration d’une nouvelle Constitution, la refonte du système électoral ainsi que la réforme du secteur de la sécurité. Si elle parvient à mettre en œuvre ces réformes, elle aura jeté les bases de la refondation du Mali. Il est donc impératif que la feuille de route qui devra être définie prenne en compte les causes profondes de cette crise et non plus uniquement les conséquences si l’on veut éviter au Mali une autre secousse aux effets potentiellement dramatiques.

Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ

Source : L’ESSOR

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