« … Derrière une façade sommairement ravalée, qui entretient l’illusion à New-York et dans les chancelleries, le Mali est en ruine et n’a plus ni loi, ni guide, ni projet. Les Institutions maliennes ne décident de rien : le président navigue à vue ; l’Assemblée nationale n’a jamais eu à connaitre de l’Accord d’Alger ; les délégués à la Conférence d’entente nationale ont été désignés par l’administration. Aucune représentation fidèle de l’opinion ne participe aux décisions. Et les troupes étrangères de plus en plus mal acceptées savent qu’elles sont dépassées par les guérillas qui s’enracinent. La stratégie de la « communauté internationale » ne mène qu’à ça… ».
De qui ce constat implacable de quatre années de gestion d’IBK ? D’une dizaine d’intellectuels français qui ont commis récemment une Tribune dans Le Monde intitulée « Le Mali doit redécouvrir la décision démocratique ».
« En échos, cette sombre prédiction : Le Mali peut s’écrouler ». Quel est le Cassandre qui s’autorise ce propos alarmiste alors que notre président, dans un discours d’autocélébration, veut nous convaincre que nous vivons dans un pays « normal » ? Le Cassandre s’appelle Issoufou Mahamadou, président du Niger. Jamais deux sans trois. Moussa Sinko, démissionnaire de l’armée, y va aussi de son couplet : « Le bilan de IBK est nul et le pays marche directement vers le chaos voire sa disparition ».
Ces trois réquisitoires valent le détour pour la vérité des faits décrits et le profil de ceux qui le disent. Le débat démocratique s’est révélé improductif, voire impossible au cours des quatre dernières années par une volonté délibérée du pouvoir d’en obstruer les canaux à travers la caporalisation des médias de l’audiovisuel public. Mais l’obstruction la plus subtile a été la délégitimations de la critique politique. Elle a consisté à affubler les voix discordantes de « Nyengo », de « Hassidi » (des envieux, aigris…) qui étaient priés d’attendre le prochain scrutin !
Dans une démocratie républicaine, ceux qui ne sont pas d’accord avec la majorité s’appellent des opposants, des adversaires, des rivaux.
Sous IBK, on y a substitué des catégories religieuses ou sociales qui rendent la critique irrecevable parce que partant à priori de mauvais sentiments.
La Tribune des intellectuels français a l’avantage d’échapper à cette catégorisation. Elle émane d’hommes et de femmes dont on peut présumer la liberté par rapport aux chapelles politiques maliennes. Mieux si leur pays, la France, avait un faible pour un candidat en 2013 c’était bien IBK. Des articles de connivence dans la presse française n’étaient pas peu fiers de révéler qu’il était des 27 prétendants à Koulouba celui qui parle le latin et le grec, entre autres atouts comme la poigne et l’autorité.
Les auteurs de la Tribune ont aussi le mérite d’avoir donné du temps au temps, en évitant le reproche d’un jugement hâtif. A moins de 10 mois du terme du mandat, on peut dresser un bilan qui ne variera, au mieux, que marginalement.
Le président nigérien Issoufou Mahamadou ne peut être soupçonné de mauvais sentiment ni à l’égard du Mali, ni de son Chef. Leurs soldats meurent pour nous depuis qu’ils sont déployés aux premières heures de la crise. Niamey s’offusque d’autant plus qu’il avait cru à la surenchère électorale guerrière du candidat IBK, à ses coups de menton à propos « des rebelles qui ne se hisseraient jamais à son niveau».
Mohamed Bazoum ancien chef de la diplomatie et actuel ministre de l’intérieur est le porte-voix de cette mauvaise humeur qui ne se paraît même plus des oripeaux de la langue de bois. L’exaspération est à son comble, côté nigérien, et c’est le camarade Issoufou de l’international socialiste, qui, d’une formule assassine, démolit le bilan sécuritaire du régime. Issoufou ne perçoit que ruine là où IBK, tel Don Quichotte, voit des forteresses imprenables ! Bonjour l’ambiance aux prochaines réunions du G 5 !
C’est au cœur de ce débat hautement inflammable que Moussa Sinko est venu enfoncer une porte déjà ouverte. Tout autre que lui aurait fait le même constat de l’échec d’IBK, dans l’indifférence générale. Ce que dit le jeune ex-officier est ce que rabâchent les Maliens soucieux du Mali depuis quatre ans, dès les premières dérives du nouveau régime. Mais de la bouche de Sinko, le propos est tout sauf banal. C’est un homme de la junte ayant farouchement soutenu la candidature du président qui s’exprime. IBK peut quand même faire crédit à Moussa Sinko d’avoir travaillé à sa victoire et souhaité le succès de son mandat au point de s’être compromis avec sa célèbre et improbable formule de : « si les tendances se poursuivent, il y aura pas de second tour… ». Le ministre organisateur des élections s’était mue en sondeur sans peur de trahir son choix. Donc Moussa Sinko ne peut être classé dans la catégorie des « Nyengo » ou des « Hassidi ». Il nous dira sans doute sa part de responsabilité dans le désastre qu’il dénonce pour avoir aidé à l’avènement d’un régime « sans bilan », mais le fait est que sa charge est symboliquement fracassante.
Le poids des mots contenus dans la Tribune du Monde et dans les deux interviews n’autorise plus le pouvoir à rester dans le déni. « On ne peut cacher le soleil avec une main » !
Au reste, les propos lénifiants des thuriféraires du régime peinent à cacher le désarroi qui se lit dans certaines décisions commandées par l’énergie du désespoir. Sinon comment comprendre qu’un chef d’Etat puisse offrir 150 hectares du patrimoine foncier national à un religieux moyennant un retour d’ascenseur électoral. Les leçons du référendum raté n’ont même pas servi à plus de lucidité. Le pouvoir avait bâti sa stratégie autour du même personnage avant le rétropédalage que l’on connait.
En revanche, le religieux instruit par l’expérience et redoutant la bronca populaire, est plus réservé face au « don encombrant », à défaut de le refuser franchement.
Le problème de ceux qui nous gouvernent, c’est d’avoir pensé que le peuple n’était bon qu’à voter et à se taire sur l’usage du mandat ainsi donné. Ce qu’on ne voulait pas entendre de nos « bouches folles », ce sont nos partenaires, nos voisins ou les alliés de la première heure de IBK qui le disent sans prendre de gants.
Fidèles en cela à la rugueuse formule de Albert Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ». C’est dit !
(L’Aube 945 du lundi 18 décembre 2017)
Source: L’ Aube