Le marché est inondé de cuisses de poulets qui pénètrent sur le territoire national, souvent sans certificat médical. Ce qui n’est pas sans danger pour la santé des consommateurs
Les populations rurales et les promoteurs des fermes avicoles disséminées dans les zones périurbaines tirent des revenus substantiels des produits de l’aviculture. La politique en matière d’aviculture vise la satisfaction des besoins nationaux de consommation de produits avicoles et l’exploitation de la volaille. Sur la base des estimations de la direction nationale des productions et des industries animales (DNPIA), l’effectif de la volaille sur le territoire national est d’environ 42 millions de sujets, dont environ 38,5 millions issus de la race locale et près de 3,5 millions de poulets de chair et de poules pondeuses de race moderne.
La présidente de la Fédération des intervenants de la filière avicole au Mali (FIFAM), Mme Sanogo Diarata Traoré est vent debout contre les importations incontrôlées de cuisses de poulets. Elle soutient que la filière est victime des importations qu’elle juge illégales. La conséquence de cette concurrence déloyale, selon elle, est que la filière meurt à petit feu. Car, la production nationale a du mal à s’écouler sur le marché.
Le manque de coordination des actions des structures publiques intervenant dans le secteur, déplore-t-elle, n’est pas pour arranger les choses. Interviennent dans la filière, les ministères de l’Elevage et de la Pêche, de l’Administration territoriale, de la Sécurité et la Protection civile, de l’Économie et des Finances, de l’Agriculture, du Commerce et de la Concurrence, de la Santé et de l’Hygiène publique. Chaque département intervient de son côté sans pouvoir prendre en charge le problème qui coupe le sommeil aux producteurs nationaux, c’est-à-dire les importations frauduleuses de tonnes de cuisses de poulets. Ces produits de qualité douteuse inondent nos marchés, provoquant la mévente des produits nationaux. Sans compter que cette marchandise non contrôlée met en danger la santé des consommateurs.
Pourtant, Dr Kane Mahamadou, chef de division « santé publique » de la direction régionale des services vétérinaires du district de Bamako, assure que depuis l’éclatement des épidémies de grippe aviaire, le gouvernement a pris des dispositions sécuritaires et sanitaires pour protéger la population. Ainsi l’arrêté interministériel n° 09-1652 de 2009 interdit sur toute l’étendue du territoire national l’importation de la viande fraîche de volaille. Malgré cette disposition réglementaire, le marché malien est inondé de cuisses de poulets importées. Il est regrettable que certains importateurs arrivent à faire entrer frauduleusement la viande de volaille sans certificat sanitaire.
SANS CHAÎNE DE FROID – Les services vétérinaires chargés de faire respecter la réglementation s’acquittent tant bien que mal de leur mission de contrôle. La direction régionale des services vétérinaires du district de Bamako a saisi 64.521 kg de cuisses de poulet en 2017 et 23.862 kg en 2018 en provenance de la Guinée Conakry à destination du Mali. Cela démontre la défaillance dans l’application de l’arrêté interministériel due à la mauvaise coordination des acteurs intervenants dans le contrôle, déplore Dr Kane.
Le chef de division confirme que les produits importés, particulièrement les cuisses de poulets, causent d’énormes problèmes à la filière avicole, notamment la mévente des poulets maliens. Les cuisses de poulets importées reviennent moins chers aux consommateurs. Leurs prix non homologués handicapent les producteurs avicoles maliens qui, du coup, ne profitent pas des fruits de leur travail.
Selon la présidente de la FIFAM, « l’offre devenant supérieure à la demande, les aviculteurs nationaux n’arrivant plus à écouler leur production, sont obligés de vendre le poulet entier à bas prix, parce que les cuisses de poulet importées sont vendues par pièce et elles sont à la portée du consommateur». A titre d’illustration, si le coût de production d’un poulet local est de 1600 Fcfa à 1650 Fcfa, l’aviculteur est obligé de le vendre à 1200 Fcfa ou 1300 Fcfa à cause de la concurrence des cuisses de poulets importées.
Les vendeurs de poulets locaux aussi se plaignent de l’importation débridée des cuisses de poulets. Au marché Dibida, Alou Diarra, et beaucoup d’autres vendeurs de poulets locaux se plaignent de la mévente occasionnée par les cuisses de poulets importées.
Ce n’est pas le cas du vendeur de poulets importés Ba Sékou Diarra. La situation lui semble favorable. Il soutient que son activité permet aux consommateurs de se procurer à bon prix de la viande de volaille. Dans sa boutique située au Grand marché, sont disposés quatre réfrigérateurs remplis de poulets importés. Chaque jour, il parvient à écouler la moitié du contenu d’un réfrigérateur. Pour lui, les cuisses de poulets importées sont plus rentables que le poulet local, car elles se conservent plus longtemps.
Dans sa croisade contre l’importation, Mme Sanogo Diarata insiste sur le fait que les cuisses de poulets importées entrent dans notre pays sans certificat médical et souvent sans la chaîne de froid. « Ce sont des poulets nourris avec des produits chimiques et on ne sait même pas comment ils sont égorgés et conservés jusqu’à destination», souligne-t-elle. « Le consommateur doit faire la différence entre nos produits locaux nourris uniquement à base d’aliments bio locaux et les produits importés dans des conditions qui laissent à désirer », met-elle en garde.
Concernant le danger que représentent les cuisses de poulets importées sur la santé des consommateurs, Dr Kane explique que la provenance de cette viande reste inconnue et que son transport ne respecte pas les normes. A cela s’ajoute la chaîne de froid qui est toujours interrompue. Il conseille de faire extrêmement attention aux poulets de chair importés dont la provenance, encore moins les conditions de transport et de conditionnement ne sont pas connues. « Ces produits ne sont même pas accompagnés d’un certificat d’origine. Et cela est formellement interdit », signale-t-il, avant d’exhorter la population à consommer malien car cette viande est suivie par nos services vétérinaires.
Dr Kane Mahamadou invite tous les intervenants à une synergie d’actions et les autorités à une volonté politique pour mettre fin à l’importation de la viande de volaille.
La présidente de la FIFAM appelle elle aussi les autorités à prendre des mesures vigoureuses contre l’importation incontrôlée et à organiser davantage la filière avicole qui est porteuse. C’est pourquoi, c’est l’une des cinq filières prioritaires de l’UEMOA. «Qu’ils nous aident dans la structuration et dans la lutte contre l’importation des cuisses de poulets et qu’ils continuent d’exonérer les poussins d’un jour», plaide-t-elle tout en invitant les aviculteurs à jouer leur partition en adoptant des techniques professionnelles de production.
Anne-Marie KÉÏTA
Source: Essor