Le phénomène de la mobilité des enfants ne disparaîtra pas de sitôt. Il faut donc se pencher sur la réduction des dangers qu’il comporte
Aïssata est une aide-ménagère. Cette jeune fille qui a entre 14 et 15 ans est venue de son Dioro natal (région de Ségou) à la quête de son trousseau de mariage, explique-t-elle. La petite migrante, en situation de mobilité, a atterri dans la capitale avec ses « aînées » qui sont supposées la protéger de tous les risques que comporte la vie dans une ville comme Bamako. La migration est dans notre pays une réalité qui implique souvent des enfants mineurs, telle Aïssata. Ceux-ci, qui se déplacent accompagnés ou non, partent de chez eux à la quête d’un monde meilleur et pour subvenir aux besoins de leurs familles. Cette mobilité peut engendrer des conséquences complètement opposées. Elle rime aussi bien avec risques et vulnérabilité qu’avec opportunités et développement personnel. En effet, la mobilité des enfants rend ces derniers extrêmement vulnérables aux abus, à l’exploitation, à la coercition, à la duperie et à la violence. De 2008 à 2010, un projet régional d’études, porté par une large plateforme d’agences de protection de l’enfance, a permis de documenter et d’analyser les multiples formes prises par la mobilité des enfants et des jeunes en Afrique de l’ouest et du centre.
Le projet a synthétisé les recherches engagées dans la sous-région depuis le début des années 2000 et a conduit sa propre étude sur les itinéraires des enfants mobiles. Cette étude a permis de partager une compréhension commune de la dimension multiforme, multidimensionnelle et dynamique de la mobilité des enfants dans cette région. Il existe en effet diverses mobilités. Certaines formes sont par essence criminelles, comme la traite des enfants. D’autres présentent une dangerosité moindre telles que les migrations (saisonnière ou non), le confiage (placement dans des familles), le placement dans des formes traditionnelles d’apprentissage ou d’éducation religieuse, les fugues, les installations durables ou provisoires dans la rue, les déplacements à la suite de conflits ou de catastrophes naturelles.
Malgré la volonté des autorités et des différents acteurs intervenant dans le domaine de la protection de l’enfance, force est de reconnaître que les enfants concernés par les différentes formes de mobilité ne sont pas tous identifiés. Cela parce que très longtemps l’attention a été principalement axée sur la traite des enfants. Donc les mobilités volontaires des enfants et le rôle de ceux-ci dans le processus décisionnel de ces mobilités ont été largement ignorés. Pour mieux accompagner les enfants « mobiles », un projet sous-régional financé par l’Union européenne a été initié par l’ONG Terre des Hommes (TDH) et exécuté avec divers partenaires, dont Enda au Mali.
PAR LA MENACE OU LE RECOURS A LA FORCE. Qu’est-ce que la mobilité ? Pourquoi parle-t-on de la mobilité plutôt que de traite ou migration ? Selon Mme Attaher Salimatou Traoré, point focal national mobilité TDH dans notre pays, la mobilité constitue le déplacement d’un individu d’un espace géographique à un autre espace géographique et social et toutes les expériences vécues par l’intéressé au cours de ses mouvements et séjours en divers lieux de son parcours. L’enfant mobile enregistre donc dans son périple des transformations de son identité et de ses conditions d’existence.
La migration par contre, désigne, le déplacement d’une personne ou d’un groupe de personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire. La notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle, quelle qu’en soit la cause ou la durée. Quant à la traite des personnes, elle se définit comme le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace, le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte. La migration fait intervenir des pratiques comme l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou l’exploitation d’une situation de vulnérabilité. Dans certaines situations, on relève dans la pratique de la traite l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, le proxénétisme ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes.
Le distinguo entre mobilité et migration est important à observer. Parce que les deux phénomènes ont été longtemps confondus, la mobilité des enfants dans notre pays était exclusivement abordée à travers la dimension traite, alors que celle-ci n’est qu’un aspect de la mobilité. Mais, affirme Ayouba Gouanlé, Directeur national de la Promotion de l’enfant et de la famille, le tir a été désormais rectifié. En effet, le document de la Politique de promotion et de protection de l’enfant en cours de validation aborde la thématique de la mobilité. Son adoption permettra à notre pays d’apporter des solutions adéquates au traitement de ce phénomène. En attendant, les ONG partenaires sont à pied d’œuvre pour l’accompagnement et le suivi des enfants « mobiles ».
UN ACCOMPAGNEMENT PROTECTEUR. Prise en soi, la mobilité ne constitue pas un problème. C’est surtout lorsqu’elle n’est pas protégée qu’elle expose l’enfant à des risques et à des vulnérabilités énormes. La protection de la mobilité suppose l’accompagnement de l’enfant le long de sa route migratoire à travers la mise en place de filets et de services de protection capables de répondre à tout moment aux besoins de l’enfant. Il s’agit de protéger ce dernier contre les risques de maltraitance, d’exploitation et de traite. Car à défaut de pouvoir mettre fin dans le court terme à la mobilité des enfants, la meilleure solution serait d’accepter d’accompagner celle-ci. Ce qui signifierait en premier lieu, selon Mme Attaher, la protection des enfants depuis leur zone de départ à travers des campagnes de prévention et le développement d’actions durables susceptibles de fixer ces enfants comme les activités génératrices des revenus et la scolarisation qui réduiraient la précocité du phénomène.
Le second mode d’accompagnement serait assuré par des actions de protection tout le long de la route migratoire pour ceux qui se sont déjà engagés. Les actions porteraient sur la mise en place d’un système de détection, de signalement et de référence des cas avec des services de protection assez forts capables de répondre immédiatement aux besoins de l’enfant dans les zones de transit et de destination. Enfin, il faut un accompagnement protecteur, permettant à l’enfant de réaliser son projet de vie dans un environnement où les ressources locales et familiales sont exploitées durablement pour lui.
C’est justement ce à quoi va s’atteler le projet sous-régional de protection des mineurs non accompagnés en Afrique de l’ouest qui prévoit dans notre pays des actions directes avec les communautés (sensibilisation, renforcement de capacité des enfants, développement de synergie d’actions autour de la prise en charge, financement des initiatives communautaires de protection de l’enfance). A cet effet, six projets communautaires seront mis en œuvre dans notre pays. Ils valoriseront les pratiques endogènes de protection. Il est prévu aussi des actions de plaidoyer auprès des autorités pour la révision des accords entre le Mali et la Guinée Conakry et entre le Mali et le Burkina Faso contre la traite des enfants et celles de renforcement des capacités de l’Etat à travers l’appui à la Politique nationale de promotion et de protection de l’enfant. La mobilité des enfants, à défaut d’être éradiquée, doit se faire avec le moins de danger possible pour ceux qui ne peuvent s’en soustraire. Cela constitue un e pressante nécéssité.
M. A. TRAORÉ