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Dr. Mohamed Amara sur l’intervention militaire de la Cedeao au Niger : “C’est une utilisation légitime de la violence pour remettre Bazoum dans son fauteuil”

L’ultimatum lancé par la Cédéao à Abdourahamane Tchiani pour rétablir l’ordre constitutionnel sous peine d’une intervention militaire au Niger a expiré ce dimanche. Sur quelle base juridique et morale une éventuelle intervention militaire visant à restaurer l’ordre constitutionnel par la violence pourrait-elle s’opérer ? Quelles seront les conséquences d’une telle intervention pour la région déjà en proie à l’instabilité politique et sécuritaire ? Dr. Mohamed Amara, sociologue et auteur de plusieurs livres, répond à nos questions. Entretien.

Mali Tribune : Quelle analyse faites-vous du coup d’Etat militaire au Niger ?

Dr. Mohamed Amara : Par définition, tout putsch militaire est une débâcle démocratique qui replonge le pays (ici le Niger) dans le cycle de putschs militaires. C’est aussi une rupture constitutionnelle qui met à mal les institutions et les projets de développement. Aujourd’hui, certains partenaires comme la France et les Etats-Unis d’Amérique suspendent en partie de leurs soutiens au Niger. Donc, un coup d’Etat militaire est une confiscation du pouvoir. A la place d’un pouvoir démocratique, on triomphe par la force.

 

Mali Tribune : Ce coup de force militaire n’est-il pas un revers cinglant pour Bola Ahmed Tinubu qui a affirmé qu’il ne permettra jamais que les coups d’Etat se succèdent en Afrique de l’Ouest ?

Dr. M. A. : Ce coup d’Etat militaire permettrait à Bola Tinubu de jauger la capacité de la Cédéao à remettre de l’ordre dans ses affaires. En tant que président en exercice de la Cédéao, nouveau président du Nigéria, Bola Tinubu tente de tout faire pour que ce coup d’Etat soit le dernier de la sous-région.

D’ailleurs, ce putsch est considéré par certains experts de la région comme le coup de trop. Si Bola Tinubu réussit à ramener le président Bazoum (otage des putschistes nigériens) au pouvoir, il aura renforcé la crédibilité de la Cédéao. S’il ne réussissait pas, ce serait un véritable revers pour la Cédéao, avec un risque de perte de fiabilité chez une partie des Africains qui croient encore en elle.

 

Mali Tribune : N’est-ce pas ce revers qui a poussé Tinubu à prendre des sanctions musclées sans précédent contre le Niger ?

Dr. M. A. : Pas du tout. Bola Tinubu est dans son rôle, celui de président en exercice de la Cédéao. Il veut aussi imprimer sa marque. Ces sanctions traduisent le fait que son pays, le Nigeria, est la plus grande puissance militaire et économique de l’espace Cédéao. Rappelons que c’est le Nigeria qui fournit de l’électricité au Niger. Par conséquent, le Niger dépend du géant nigérian. La question : est-ce que Bola Tinubu sera suivi par la représentation nationale comme le Sénat ?

 

Mali Tribune : Parmi les sanctions musclées, la Cédéao n’a pas exclu une intervention militaire au Niger. Sur quelle base juridique et morale une éventuelle intervention militaire visant à restaurer l’ordre constitutionnel par la violence pourrait s’opérer ?

Dr. M. A. : Les aspects juridiques ne relèvent pas de ma compétence. Par contre, au sujet de la base morale d’un point de vue sociologique, c’est inacceptable pour les chefs de d’Etat de la Cédéao de cautionner un coup d’Etat, car le pouvoir est censé être pris grâce à un scrutin démocratique quelles que soient les conditions de son déroulement. Etre au pouvoir par la force (putsch militaire), c’est en contradiction avec leur imaginaire.

D’un côté, on a une “éthique de la responsabilité” incarnée par les présidents élus de la Cédéao. De l’autre, on a une éthique de la force, incarnée par les putschistes. Ces deux éthiques sont constamment en conflit, car elles sont antinomiques. Malheureusement, la suite, c’est la violence, légitime ou pas. L’intervention militaire de la Cédéao au Niger (à confirmer) est une utilisation légitime de la violence pour remettre Bazoum dans son fauteuil.

Mali Tribune : Le Mali et le Burkina ont mis en garde la Cédéao contre toute intervention militaire visant à rétablir Mohamed Bazoum et considérée comme une déclaration de guerre. Est-ce un coup de poker de la part des deux capitales ?

Dr. M. A. : C’est une façon d’anticiper sur les risques d’une intervention de la Cédéao au Niger. Parce qu’il ne faut pas oublier que si l’intervention de la Cédéao au Niger réussit, on pourrait admettre que le Mali, le Burkina et la Guinée seraient les prochains sur la liste. Donc, il est utile pour ces derniers de travailler à l’échec de l’intervention de la Cédéao au Niger. C’est pourquoi ils ont pris position contre toute intervention militaire au Niger. Mais, wait and see.

Mali Tribune : En cas d’usage de la force militaire, quelles seront les conséquences d’une telle intervention pour la région déjà en proie à l’instabilité politique et sécuritaire ?

Dr. M.A : Il est très difficile d’évaluer avec précision les conséquences d’une possible intervention militaire de la Cédéao au Niger tellement la multiplicité des acteurs complexifie le travail. N’oublions pas qu’il y a 1500 soldats français et 1100 soldats américains au Niger. Aujourd’hui, il y aurait plusieurs pistes d’intervention à l’étude pour minimiser les dégâts collatéraux sur la population nigérienne, le président Bazoum et les pays voisins.

La réaction des sociétés civiles africaines à l’égard d’une telle intervention est aussi à l’étude. D’ailleurs, le risque de gérer de possibles manifestations citoyennes pour dénoncer cette intervention au Niger est grand, si on se réfère aux manifestations pro putsch à Niamey. Mais le contexte nigérien est différent de celui du Mali ou de celui du Burkina Faso.

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

Source: Mali Tribune

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