Dans cette interview, Dr. Mohamed Amara, sociologue et analyste sécuritaire, analyse la reconquête de Kidal par les FAMa en guerre contre la CMA. Il se prononce sur le mutisme de l’Algérie, chef de file de la médiation pour l’application de l’Accord d’Alger. Entretien.
Mali Tribune : Comment expliquez-vous que la Minusma ait précipité son départ de Kidal, ce qui a favorisé la reprise du camp par la CMA ?
Dr. Mohamed Amara : Deux explications. La première, Kidal reste toujours le bastion de la CMA. Pour cette dernière, il fallait occuper le terrain, celui de l’ancien camp de l’armée reconstituée et les différentes portes d’entrée dans Kidal, pour anticiper les affrontements entre elle et les FAMa. Depuis quelques jours, des affrontements opposent les FAMa à la CMA pour le contrôle de Kidal.
La deuxième explication au sujet du départ précipité de la force onusienne (Minusma) est qu’elle ne voulait pas être mêlée aux risques de crise humanitaire ou d’éventuelles bavures liées aux affrontements entre les frères armés : CMA et FAMa. Enfin, la Minusma voulait préserver son rôle d’arbitre qu’elle ne pouvait pas jouer dans la situation de crise actuelle. Sans oublier le fait que la communication entre la Minusma et les autorités maliennes était devenue inexistante à propos de Kidal.
Mali Tribune : Suite au retrait de la force onusienne, l’armée malienne a intensifié ses frappes chirurgicales. Quelle est votre analyse ?
Dr. M. A. : Ces différentes frappes restent des stratégies militaires qu’on retrouve sur tous les théâtres militaires pour préparer une intervention de l’infanterie. Attendons la suite. Par ailleurs, ces frappes consistent à mettre à la fois la pression sur la CMA et tester ses moyens de défense antiaériens. Mais, est-ce qu’elles suffiront à faciliter la prise de Kidal ? C’est une autre paire de manches.
Mali Tribune : Quels sont les risques à court et à long terme d’une reprise de Kidal par la force ?
Dr. M. A. : C’est avant tout une éventuelle crise humanitaire que la plupart des experts redoutent. C’est le premier risque. Le deuxième risque de ces affrontements entre la CMA et les FAMa, c’est la rupture entre les Kidalois et le reste du Mali, qui se traduirait par un rejet de l’Etat malien, si ce n’est déjà le cas. Un autre risque important, c’est la fin tout simplement de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger.
Mali Tribune : Quelle solution pour estomper ces affrontements directs entre la CMA et les FAMa à Kidal dont les populations commencent déjà à fuir ?
Dr. M. A. : Les affrontements sont déjà là. Dans ce contexte, la question de canaux de négociation est centrale. Des personnes ressources maliennes pourraient être impliquées dans un processus de résolution de la crise. Mais des personnes qui connaissent bien le dossier kidalois, pas de faire-valoir. Les résolutions, issues de ces négociations, doivent avoir un sens pour la paix au Mali.
Mali Tribune : Pourquoi ce silence assourdissant de l’Algérie, chef de file de la médiation ?
Dr. M. A. : Très bonne question. L’Algérie s’est murée dans le mutisme depuis que les tensions se sont exacerbées entre les autorités maliennes et le CSP-PSD. En tant que chef de file de la médiation pour l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation, l’Algérie ne se sentait plus écoutée par les différentes parties, malgré ses implications pour les ramener à la table de médiation. Par conséquent, l’Algérie semble laisser-faire les Maliens pour régler leurs différends.
MICRO-TROTTOIR
Le point de vue des Maliens sur les frappes
Dans ce micro-trottoir, les Maliens expriment ce qu’ils pensent des frappes coordonnées et chirurgicales de l’armée malienne à Kidal.
Ousmane Ambana (enseignant) :
“Les frappes aériennes permettent de réduire le nombre de risque, de détruire les grosses barrières, de renforcer la surveillance des hommes de terrain et de faciliter la voie terrestre pour une intervention chirurgicale bien coordonnée”.
Almainoune Touré (commerçant à Gao) :
“Ces frappes aériennes de l’armée malienne à Kidal, c’est pour lutter contre le terrorisme à Kidal et ses environs afin que les Kidalois puissent être en sécurité et sauvegarder l’intégrité territoriale du Mali”.
Mohamed Traoré (militant politique) :
“Je suis contre ces frappes aériennes de l’armée malienne. Parce que dans ce genre de frappes, il y aura toujours des dommages collatéraux. Pour moi, mieux vaut prendre Kidal par le dialogue que par les armes”
.Abdoul Aziz (militant du M5-RFP) :
“Ces frappes aériennes de l’armée malienne à Kidal, c’est pour anéantir l’ennemi et éviter des combats urbains dans la ville de Kidal, épargner les civils. D’ailleurs, selon les dernières nouvelles, grâce à ces frappes, l’armée a pu contrôler l’aéroport de Kidal”.
Dossier réalisé par
Ousmane Mahamane
Mali Tribune