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Dialogue national inclusif/ Contribution aux débats : Qu’en est-il en réalité des conflits dits« intercommunautaires » au centre du Mali ?

Dans quelques jours  les assises sur le Dialogue National Inclusif  vont se terminer, nous l’espérons, sur une dynamique résolue et sincère pour venir à bout entre autres, des problèmes sécuritaires du pays. Il était prévu que les échanges et discussions abordent tous les thèmes sans tabou. Aussi, ce forum national  devrait être une occasion importante et appropriée pour poser et  analyser honnêtement et en profondeur la question sur lesdits « conflits intercommunautaires  au centre du  pays » et surtout de discuter de l’opportunité, de la légalité et de la moralité de l’utilisation par l’Etat des milices ethniques pour résoudre des problèmes de défense et de sécurité nationale. Mais jusqu’ici, rien ne semble indiquer que cette problématique sera posée comme thème spécifique de discussion des assises du Dialogue National Inclusif. Aussi,  dans cette contribution, nous abordons ce problème pour, d’une part,  partager notre lecture et notre appréciation de la gestion  faite par l’Etat de la crise que notre pays vit dans sa partie centrale, et d’autre part, contribuer à informer le large public du pays sur les vrais tenants et aboutissants de la crise sécuritaire au Centre du Pays.

 

L’emballement dramatique des évènements à l’Est et au Nord du pays, malgré  l’ampleur des pertes et l’émotion suscitée, malgré la dangerosité de la situation, tout cela ne devrait pas faire oublier qu’au Centre du pays, surtout dans la zone exondée de la région de Mopti, la situation reste toujours préoccupante. Le sang d’innocentes personnes dogons, peulhs et autres continue de couler par la fait des djihadistes, des miliciens « chasseurs » de Dan Na Ambassagou et surtout par l’impuissance de l’Etat à assurer son rôle régalien de protection de l’ensemble de ses citoyens. Aujourd’hui, il faut reconnaître que l’utilisation des milices ethniques pour juguler la crise sécuritaire au centre du Mali n’a non seulement pas atteint les résultats escomptés, mais elle a, au contraire exacerbé le problème, complexifié sa gestion et rendu difficile  l’obtention de résultats probants et satisfaisants. Officiellement, l’Etat nie toujours avoir joué un quelconque rôle dans l’apparition et l’animation de milices ethniques dites d’autodéfense. Mais aujourd’hui, il ne se trouverait aucune personne  sensée et de bonne foi pour le nier.  En plus du fait d’être coutumier de l’utilisation des milices par le passé, au Centre,  la démarche était si grossière et si évidente, qu’elle n’a trompé que ceux qui voulaient être trompés, parce qu’ayant intérêt à l’entreprise. Que reste-il à cacher quand les milices elles-mêmes revendiquent leur filiation et les rôles à elles dévolus ! L’Etat, complètement décrédibilisé, se retrouve pris à son propre piège, incapable de soutenir un processus sincère, dynamique et continu de retour vers la paix parce qu’accusé (à tort ?) par toutes les parties d’incapacité et de parti pris. La leçon qu’il faut tirer de cette douloureuse expérience est que le Mali a sur joué l’utilisation des milices et qu’il est temps, s’il arrivait à sauver l’essentiel, l’existence du pays, d’extirper définitivement cette pratique des éléments de sa stratégie de défense.  En effet, en ce qui concerne l’utilisation des milices dites d’autodéfense, il est évident que l’Etat, pour se justifier, ne peut évoquer ni la légalité, ni la légitimité, encore moins la moralité  de l’entreprise. C’est vrai, on dit que les « raisons d’Etat » n’ont que faire de la morale. Ce sont les résultats qui compteraient pour elles.  Mais même là, en termes de résultats, nous ne savons pas ce que l’Etat a obtenu de positif dans cette entreprise. Par contre, les aspects négatifs que nous tirons de cette malheureuse expérience, pour le pays, sont si nombreux qu’on ne peut pas les évoquer tous. Nous nous contenterons des aspects négatifs les plus saillants. Ainsi, on peut noter que plus que les engagements militaires directs face aux djihadistes, ce sont les expéditions sanglantes des  milices armées contre les populations civiles paisibles dans les villages, loin des champs de bataille, qui ont depuis deux ou trois ans, le plus endeuillé la nation et rendu les maliens, à leur grande stupeur, méconnaissables et perdus.  On peut  également noter que les actions des milices ont durablement cassé bien de ressorts qui tenaient le pays  et  occasionné beaucoup de malheurs, de souffrances inutiles et injustifiées. Des crimes abominables ont été commis et ces crimes stigmatisent et salissent injustement tous les maliens (les dogons en premier) et contribuent à affaiblir et à honnir le Mali. La tolérance, le vivre ensemble et la fraternité qui caractérisaient le Mali, et dont les maliens étaient si fiers se remettront difficilement des épreuves endurées. Malgré la relative accalmie observée ces derniers temps dans le Centre, il faut convenir que  la situation reste précaire : la paix n’est pas revenue ; les affrontements et les victimes se multiplient ; le nombre de réfugiés au lieu de baisser grâce au retour de certains dans leurs lieux d’origine a, au  contraire, tendance à augmenter ; la peur et la suspicion y règnent en maitres. Mais la conséquence qui sera la plus néfaste pour l’Etat est qu’il s’est complètement dévoilé comme incapable et faible. L’ère de l’Etat tout puissant, recours des faibles et des personnes lésées, l’Etat  craint et respecté par tous semble révolue, si cet Etat est obligé de se « cacher » pour se reposer sur d’autres forces afin d’exercer ses prérogatives. Aussi, il n’inspire plus ni peur, ni confiance, ni respect, car ayant perdu ce que les maliens appellent son « goundo » (son mystère, son jardin secret). Les dernières attaques à l’extrême Est et au Nord du pays ajoutent aux doutes et à la confusion des maliens. M Barthélémy Sangala dans une récente publication intitulée « Région de Mopti : A l’épreuve du déconditionnement »  dans le journal « Le 26 Mars » en date du 1er octobre 2019, décrit  de manière saisissante  les sentiments qu’inspire, aujourd’hui,  la situation du Centre et plus largement le pays : « Koulogon,  Ogossagou, Sobane-da, etc. que de paisibles villages anonymes sortis de l’ombre par des drames les uns plus cruels que les autres. Des bourgades qui vont désormais, malheureusement, résonner dans notre conscience collective comme le symbole de la nature bestiale et brutale des hommes. L’illustration la plus négative de l’homme capable de tuer, de piller et de brûler sans aucune raison particulière. Malheureusement, nous sommes astreints de faire désormais avec cette réalité sinistre de l’homme sans foi, sans loi ». Et B. Sangala  de poser les questions qui avec beaucoup de nos compatriotes de bon sens, nous nous posons tous, à savoir « Comment en sommes-nous arrivés là et pourquoi dans notre pays auparavant réputé comme un havre de paix et de cohabitation intelligente entre les communautés ? Qui a failli alors ? … Chacun y va de son analyse en s’interrogeant non sans rage et s’efforçant de donner une orientation pour une vie harmonieuse en société ». Et on constate avec B Sangala et avec  grand désespoir, que « Peu à peu, tout s’est progressivement dégradé, détérioré et a perdu du sens en donnant du sens à l’insensé ». Car « Aujourd’hui, ôter la vie est une victoire de guerre, l’hospitalité cède son sens à la capture, la solidarité devient espionnage, le traître récompensé, le voyou plus méritant que le loyal, l’autorité exsangue, le mythe de la force et de l’ordre tombe. Les âmes sensibles se sont endurcies, insensibles à la douleur, à la souffrance, aux cris de désespoir. Que sommes-nous devenus ? Quand le voisin devient l’ennemi à abattre ». Il est logique de se poser la question de savoir à qui la faute ? Et quand on répond qu’on est tous fautifs (gouvernants et gouvernés), même si cela parait vraisemblable, il n’en demeure pas moins que cette réponse, formulée comme telle, ne nous aide pas beaucoup pour comprendre et trouver les solutions idoines aux problèmes posés. Elle  élude aussi le fait que nous ne pouvons pas tous être fautifs au même degré. Il y aura fatalement des gens qui seront plus fautifs que d’autres du fait que les responsabilités des uns et des autres dans la gestion de l’Etat et la gestion de la crise ne sont pas les mêmes.

Nous devons noter que tant qu’avec nos autorités, nous continuerons à louvoyer au lieu de chercher les vraies solutions à nos problèmes, tant que notre mode de gouvernance reposera sur le mensonge d’Etat, l’injustice et l’impunité, à la place de la vérité, du droit et de la justice, nous continuerons longtemps cette quête vaine de la paix, de l’entente et du développement harmonieux.

Ne dit-on pas qu’à quelque chose malheur est bon ? En effet, la gestion faite des différentes crises sécuritaires  que notre pays a connues ces dernières années, a mis à nu la décadence morale et patriotique  de l’essentiel de l’élite dirigeante du pays, ainsi que  toutes les tares  qui minent sa gouvernance depuis des décennies.

Ainsi, depuis 2015-2016, les communautés peules du Centre du Mali sont victimes, dans la quasi indifférence des responsables et de l’intelligentsia du pays, d’une guerre d’extermination de la part de milices dites  «d’autodéfense»,  milices qui, malgré les dénégations de l’Etat, se sont révélées être en réalité, des forces militaires supplétives qui seraient montées, orientées et entretenues par des milieux liés aux services secrets et les forces de défense du pays. Mais les officiels, aidés en cela par une puissante machine de propagande, ont préféré épiloguer sur des « conflits interethniques ».  Beaucoup de maliens et d’étrangers ont été longtemps abusés par cette incessante et puissante campagne de désinformation initiée et soutenue par l’Etat et probablement ses partenaires stratégiques de la dite « Communauté internationale » avec leurs puissants moyens de communication, pour faire croire que les djihadistes manipulent les peulhs et les opposent aux  autres ethnies du Mali  et spécifiquement les ethnies  bambara, dogon et bozo. Et ce serait la raison pour laquelle les représentants  de ces ethnies se seraient organisés en milices  pour assurer leur propre défense. C’est la pire des infamies dont l’Etat pouvait se rendre coupable vis-à-vis de son peuple. Les tenants du pouvoir ont sciemment inventé, encouragé et entretenu ce mensonge visant à faire accroire que ces milices sont nées spontanément de la volonté des populations locales, alors que tous les observateurs avertis ont suivi le processus de leur « mise en place spontanément assistée ». Contrairement à l’histoire et aux faits historiques attestés, des représentants de l’Etat et des « historiens, sociologues et journalistes missionnés », leur ont conféré des rôles « traditionnels » de protection de la cité, rôles que les chasseurs n’ont jamais eu à assumer par le passé. Nous sommes tous enfants de ce pays et nous savions pertinemment que les tondjons, les sofas et autres archers, lanciers ou cavaliers des temps anciens n’ont jamais été des chasseurs ou issus des confréries des chasseurs. Leurs rôles et celui des chasseurs étaient et sont nettement distincts. Les hommes en armes pour protéger le pouvoir d’Etat et les chasseurs pour faire la chasse des animaux et éventuellement la protection de l’environnement et la pharmacopée traditionnelle à base de plantes. Mais il fallait justifier cette initiative machiavélique qu’on a pensé être la clef de tous les problèmes sécuritaires du pays.  Pour cela,  des officines occultes ont été apprêtées et n’ont pas hésité, sur commande, à créer la confusion et à falsifier l’histoire. Si non, un mouvement « dit d’autodéfense » mis en place de « manière endogène et  spontanée », tel qu’on veut le faire croire pour la milice Dan na Ambassagou, ne pouvait pas du tout,  du jour au lendemain, avoir un programme d’actions écrit et structuré, un état-major militaire et une direction politique prêts à mener la guerre avec une stratégie militaire d’occupation de l’espace et d’expulsion des populations. Avec une stratégie de communication bien ficelée et quasi parfaitement exécutée. En fait, ici, comme ailleurs, on peut le constater, il n’y a rien de spontané. Tout a été préparé, prémédité et calculé avec l’appui d’experts connus de tous. Qui n’a pas vu dans les locaux du palais présidentiel de Koulouba, l’appui décisif apporté par les plus hautes autorités du pays à la milice Dan Nan Ambassagou ? Qui sait la nature et l’ampleur de ce  que lui a été proposé hors caméras et qui n’a pas été montré à la télévision nationale ? Il est clair que sans l’adoubement officiel ou « tacite » de l’Etat, les milices ethniques  « d’autodéfense »  n’auraient jamais vu le jour, ni prospéré !  Les falsificateurs de l’histoire, apprentis sorciers ont si bien réussi leur « œuvre », qu’aujourd’hui le mot « dozo » est devenu synonyme de criminel, assassin, bandit et autres qualificatifs négatifs et dégradants. L’Association Nationale des Chasseurs du Mali (la vraie cette fois-ci, si elle existe !) a là un motif valable pour porter plainte pour usurpation d’identité et utilisation frauduleuse et  criminelle de ses emblèmes, cris de ralliement et de salutations. Cela pourrait arriver un jour !

Le plus hallucinant et décevant dans tout cela, c’est que dans cette situation dramatique pour la nation,  il ne s’est trouvé presqu’aucun intellectuel malien,  aucun homme politique d’envergure (à quelques très rares exceptions) pour dénoncer ces contrevérités, cette supercherie qui confine au crime ! Ne dit-on pas que  le mal triomphe toujours quand les honnêtes gens ne combattent pas ? Même en temps de guerre, il est nécessaire de garder, en plus de la fibre patriotique,  une certaine dose de lucidité, d’objectivité  et de sens de justice, de solidarité et d’empathie pour des victimes innocentes. Donc, visiblement les objecteurs de conscience nationaux n’ont pas été suffisamment à hauteur de mission pour jouer efficacement leur rôle de sentinelle. La société civile a été à peine  un peu plus courageuse.

C’est vrai que la campagne de désinformation et de propagande était et est toujours si prégnante et si puissante que même les personnes de bonne foi, qui étaient convaincues qu’il s’agit d’un faux procès contre les peulhs et même  celles qui avaient de doutes sur la véracité des accusations ont toutes dû faire profil bas, se terrer et ruminer leurs ressentiments en silence, quelque fois convaincues que tôt ou tard  la vérité finira par jaillir. Mais entre temps que de mensonges ont été distillés par presse inter posée. Que d’accusations sans fondements ont été formulées contre des maliens parce qu’ils sont peulhs et qu’ils ne sont pas d’accord avec les amalgames et qu’ils ont osé dénoncer des crimes d’Etat indubitables ! Que de manipulations pour faire endosser à l’ensemble de la communauté peulhe, la responsabilité des crimes et du sang qui coulait à flots dans la région du Centre.

Ainsi, après les massacres de Sobame Da,  M Dembélé  a écrit dans ‘Ségou Tuye’ un éditorial intitulé ‘Sursaut national pour sauver le Mali’: « … Que l’on le sache bien, nous ne sommes ni pour les peulhs ni contre les dogons parce que quoi qu’on fasse, nous sommes tous des Maliens appartenant tous à ce pays qui se meurt. Mais il faut souvent dire la vérité dans cette affaire car, qui sont ceux qui les premiers se sont retournés contre leurs frères  dans le centre du pays ? Tout Malien le sait. Toutes les tueries au départ ont été commises par qui ? Qui sont ceux qui les premiers ont donné asile aux djihadistes ? ». Drôle de manière de n’être ni pour les uns, ni pour les autres. Ces trois « questions » inductives, vicieuses et tendancieuses ne sont même pas des questions, malgré les points d’interrogation. Ce sont en fait des accusations directes et gratuites contre les peulhs, sans discernement et sans fondements  des tenants de la thèse que « tout peulh est djihadiste et que tout djihadiste est peulh » ! Voilà la conviction que des milieux politico-sécuritaires ont créée, cultivée et largement propagée. Au  détriment de la vérité, de la paix, du vivre ensemble et des véritables intérêts du Mali et des maliens.

Ce sont là, des thèses absolument fallacieuses débitées  dans certains journaux et radios  de la place, à longueur de journées par des pseudos analystes et pseudos journalistes. Les réseaux sociaux n’ont pas été en reste. Même la tristement célèbre « Radio Mille collines » du Rwanda n’aurait pas fait mieux.  Et pourtant ces  funestes thèses n’ont jamais été étayées par quelques faits tangibles que ce soit. Et pour cause, il n’y en avait pas avant et il n’y en a pas aujourd’hui ! Et pour l’essentiel elles n’ont pas  résisté à l’épreuve du temps (tôt ou tard, dit-on la vérité finira par jaillir et triompher !) et ne pouvaient pas  résister à l’analyse objective des faits.

L’Etat du Mali et ses partenaires stratégiques connaissaient très bien ce qui se passait sur le terrain, mais ils ont délibérément opté de taire ou de  minimiser le rôle néfaste, pour ne pas dire criminel,  qu’ils ont fait jouer aux représentants de l’Etat, à travers ses services sécuritaires, dans la survenue et l’aggravation de la crise au Centre du pays, quand ils ont entrepris d’opposer les différentes composantes de la nation par le truchement des milices armées ethniques dites ‘dozos’. Dans une région où les tensions sociales étaient si grandes, les sensibilités déjà à fleur de peau, comment est-ce que des décideurs responsables ont pu d’une manière si légère, ignorer les lourdes conséquences qui découleraient de leurs actes ?

Contrairement aux apparences et à la propagande développée, pour l’essentiel, il n’y a à proprement parler, pas eu de guerre ou de conflits interethniques au Centre du Mali.  En effet, une guerre suppose la présence et la confrontation d’au moins deux forces antagonistes préparées et déterminées à s’affronter. Tel n’a jamais été le cas dans le centre du Mali. On ne pouvait pas soutenir et on ne peut le faire encore  aujourd’hui, qu’il y avait d’un côté des peulhs organisés, armés et décidés à faire la guerre  en face d’adversaires formés de forces armées maliennes, appuyées par des forces supplétives des différents « chasseurs »  de l’autre côté  Dans ces conditions, évoquer « de guerres ou de conflits interethniques » sur ce qui se passe au Centre du Mali est dans une large mesure  soit un abus de langage,  soit un grossier stratagème pour couvrir des crimes d’Etat. En réalité, il s’est presque toujours agi d’expéditions punitives sanglantes contre les communautés peules, coupables  d’être de la même ethnie que Hamadoun Kouffa. Cependant, quoi qu’on pense ou qu’on  dise, Hamadoun Kouffa et ses partisans djihadistes ne sauraient engager l’ensemble de la communauté peulhe qui ne leur a jamais rien demandé et qui a été la première cible attaquée par eux. Tout le monde se souvient que bon nombre de notables, autorités et autres légitimités traditionnelles  des villages et régions peulhes, abandonnés par l’armée et les services techniques de l’Etat et investis par les djihadistes,  ont  dû fuir vers Bamako et les grandes villes du pays pour ceux qui n’ont pas été tués.  Comment comprendre  et comment ne pas s’indigner, que dans ces conditions, qu’au lieu de venir en aide aux populations de ces zones, en venant vers elles et en préparant avec elles la riposte et la résistance, l’Etat, contre toute attente  logique, déclenche contre ces mêmes populations, en plus d’expéditions militaires punitives et sanglantes, une violente campagne de stigmatisation, de désinformation et d’amalgame tendant à faire croire que tous les peulhs  sont des djihadistes ou des pro-djihadistes. Et que c’est eux, les peulhs, qui sont à la base et la cause de la déstabilisation du pays. On n’oserait pas penser que les autorités du pays (politiques et militaires) avaient un autre agenda pour le Mali et pour les peulhs.

Cependant,  Kouffa, ses employeurs et ses partisans n’ont jamais caché que leur objectif est l’instauration de la charia, donc le renversement de l’ordre étatique dans son ensemble et non la défense exclusive ou prioritaire des intérêts peulhs. Et jusqu’à preuve du contraire, rien ne prouve que l’objectif déclaré des djihadistes est partagé par tous les peulhs et seulement par les peulhs. Personne n’ignore que Kouffa et ses adeptes constituent un pion important entre les mains d’Iyad Ag Ghali, malgré le nom pompeux de « Front de Libération du Macina », vite abandonné au profit de la « Katiba du Macina ». Les responsables sécuritaires du Mali et leurs partenaires stratégiques en sécurité le savaient mieux que quiconque. Qu’ils aient eu des appréhensions sur  les capacités de leurs forces à contenir les hordes djihadistes après avoir abandonné le terrain, c’est possible.  Mais cela ne  saurait justifier le recours aux milices ethniques pour les opposer injustement et imprudemment à la communauté peule, minoritaire, désarmée, isolée  et sans défense. Ce qui  est revenu à la condamner injustement à la vindicte populaire, à la tentative de sa destruction et à son expulsion de ses terres d’origine en zone exondée de la région de Mopti.

Jusqu’ici  la communauté nationale et spécifiquement la communauté peule attend, ne serait-ce qu’un début de preuves qui puisse justifier le traitement illégal et injuste que lui a infligé son propre Etat, sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.  Il est certain, aujourd’hui, que ces agissements de l’Etat sont passibles de poursuites judiciaires, car ayant occasionné des crimes de masse, assimilables à de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, crimes réputés imprescriptibles ! Et qui sait ? Peut-être, un jour viendra et des comptes seront demandés aux auteurs et complices.

Loin de nous, l’idée de penser ou d’insinuer que les terroristes djihadistes ont raison ou sont les bienvenus. Avec ces gens nous n’avons pas les mêmes  objectifs, ni les mêmes valeurs de référence.  Donc, nous n’attendons  rien d’eux. Mais, nous ne comprenons pas que  notre Etat agisse comme une entité hors la loi. Oui, nous convenons que le terrorisme doit être fermement combattu. Et c’est le vœu le plus ardent de tous les maliens qui espèrent  et croient encore en ce pays.   Mais, malheureusement, il faut constater que chez nous au Mali, la lutte contre le  terrorisme a eu « bon dos ». Aujourd’hui, il est de notoriété publique que cette lutte a avant tout servi à masquer la trahison nationale et la pire des carences en gouvernance d’Etat que le pays ait jamais connue ; elle aurait servi à couvrir de colossales malversations financières et des crimes et abus pour des enrichissements illicites scandaleux de certains milieux de l’élite politico-sécuritaire du pays ; et enfin elle a permis aux milieux extrémistes  des miliciens de Dan Na Ambassagou de couvrir et d’opérer sans opposition aucune, au vu et au su de l’Etat, un nettoyage ethnique sans précédent dans l’histoire du Mali, qui s’est traduit par l’expulsion sanglante des peulhs des terroirs  du Gondo, du Séno et du Hairé  qui correspondent à la zone exondée de la Région de Mopti.

Aussi, ce n’est pas étonnant que dans le Centre du pays et ailleurs, cette « lutte » contre les groupes djihadistes tarde à produire tous les effets escomptés.  Le peuple a comme légitimement des doutes sur la volonté réelle ou la capacité des autorités en place à mener efficacement cette lutte. D’où, certainement sa réserve pour coopérer efficacement avec l’armée. Par son incurie administrative et ses accointances douteuses avec des groupes délictueux des milices, l’Etat  semble avoir définitivement perdu la confiance de tous les habitants de la zone et  on n’ose pas l’envisager, peut-être même la partie.

Heureusement que des maliens sont en train de se ressaisir et de sortir petit à petit du moule mensonger dans lequel on voulait éternellement les enfermer, grâce à une habile et complexe campagne de communication.  C’est ainsi que le Pr Clément Dembélé dans Aujourd’hui-Mali  en date du 21 Septembre 2019 note : « Vous savez, le problème d’insécurité au Mali, ….. le conflit intercommunautaire pour ne pas dire la crise au centre du Mali, le problème du nord du Mali, le tout revient à deux choses : la corruption et l’impunité. C’est l’Etat malien qui est aujourd’hui responsable du problème au centre du Mali à travers la mauvaise gouvernance ».Et il poursuit pour illustrer son idée : « Je vais vous livrer une anecdote(Une anecdote pour lui, mais la « vérité vraie » pour nous, ressortissants de la région  ayant vécu les faits. BGD !) Vous vous souvenez, un moment, où les magistrats, les policiers, les gendarmes se bousculaient afin qu’ils soient mutés au centre du Mali, plus précisément dans la région de Mopti. A l’époque, on se posait la question de savoir pourquoi tous ceux-ci voulaient être affectés à Mopti et non à Ségou ou Koulikoro qui sont tous proches de Bamako. Il y a eu des moments, des magistrats (pas tous), des gendarmes et policiers, des gouverneurs, des Préfets qui étaient dans cette zone, se sont organisés en réseau de mafia, pour racketter les gens, notamment les éleveurs. Bref, toutes les communautés qui sont dans cette localité ont été victimes de ces représentants de l’Etat, parce que tout simplement, avec l’idée que ces gens-là sont loin de Bamako. Donc ces communautés-là étaient prises en sandwich entre le nord du Mali et la capitale. Profitant de cette position, ces autorités  ont racketté ces populations durant plusieurs années, créant l’injustice. C’est dans cette frustration qu’un homme est sorti de nulle part, un prêcheur, s’est radicalisé. Il s’agit bien d’Amadou Kouffa. Celui-ci, à travers ses prêches, a manipulé  l’opinion en disant que c’est seulement la communauté peulh qui est victime de cette injustice. Il fait cette lecture parce que lui-même est peulh. Ecoutez tous les prêches d’Amadou Kouffa car j’ai eu la chance d’écouter 53 de ses cassettes, avec une centaine de prêches. Dans ces propos, il ne parle que de la corruption et de l’injustice.  Il dit,  on vous met en prison injustement, on vous rackette injustement, parce que l’Etat malien, selon lui, est représenté par des gens corrompus. C’est comme ça que certains l’ont suivi et pour contrebalancer, certains sont partis de l’autre côté pour créer des milices à qui on a donné des récépissés. Sinon, depuis quand un dozo chasse-t-il avec des kalachnikovs ? ». A la question du journaliste demandant : Pr Clément, soyez précis en disant que certains sont partis de l’autre côté pour créer des milices. Vous voulez faire allusion à qui ? Sa réponse a été on ne peut plus claire : « Il faut qu’on arrête de penser que c’est la France ou le Burkina Faso qui sont derrière ces milices. Ce sont plutôt ceux qui ont créé l’insécurité, l’injustice, qui ont créé la corruption qui ont donné ces armes à ces milices pour jouer contre Amadou Kouffa,  sauf que ça été vu comme étant un conflit intercommunautaire. Sinon, en réalité, il n’y a pas de conflit intercommunautaire au Mali, ce sont plutôt des dirigeants bandits, ici à Bamako, qui ont fabriqué tout ce problème-là ».

Alors faut-il s’étonner que le journal le Démocrate du 07 novembre 2019 s’alarme  dans un de ses articles du jour : « En dépit d’un matraquage médiatique sans relâche, d’un maquillage permanent des réalités de la situation sécuritaire actuelle, d’un conditionnement subtile des citoyens et d’un bâillonnement raffiné de ceux qui pensent autrement, la vérité est que nous sommes en train de perdre le Mali pour lequel les pères de l’indépendance se sont sacrifiés ».

Espérons que les résultats des assises du Dialogue National Inclusif  et d’autres initiatives hardies contribueront à imprimer une autre tournure, plus positive à notre destin national. Que  Dieu assiste et bénisse le Mali !

 

Bamako, novembre 2019

Pr Bouréima Gnalibouly DICKO,

    Directeur de Recherche, en    retraite à Bamako

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