La Côte d’Ivoire et le Bénin ont retiré à leurs citoyens et ONG la possibilité de saisir la cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Les défenseurs des droits humains y voient un recul démocratique.
Il ne reste plus que quelques pays (le Burkina Faso, le Ghana, la Gambie, le Malawi, le Mali et la Tunisie) qui permettent à leurs citoyens et aux ONG de saisir directement la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Après le retrait du Bénin suivi de la Côte d’Ivoire ce mois d’avril, la Cour est menacée de paralysie, affirme Fatsah Ougergouz, un ancien vice-président de cette juridiction.
Une Cour africaine devenue indésirable
Au Bénin, le ministre de la justice, maître Sévérin Quenum constate que “les égarements de la Cour africaine sont devenus source d’une véritable insécurité juridique et judiciaire”. La CADHP aurait connu d’un dossier qui relève du droit commercial, critique-t-il. Le retrait du Bénin n’aurait rien à voir avec le dossier de l’opposant Sébastien Ajavon.
Le porte-parole du gouvernement ivoirien Sidi Tiemoko Touré dénonce les “graves et intolérables agissements que la Cour africaine s’est autorisée dans ses actions”, après une décision de la juridiction africaine en faveur de l’ex-Premier ministre et candidat à l’élection présidentielle Guillaume Soro.
Recours aux tribunaux nationaux
Dans les deux cas, les décisions de la Cour ne font visiblement pas plaisir à Porto Novo et à Yamoussoukro. Selon le gouvernement béninois, le dossier qui aurait motivé son retrait de déclaration à la CADHP n’est pas encore vidé.
Le ministre ivoirien des Affaires étrangères, Ally Coulibaly, a appelé les citoyens et ONG privés désormais de la possibilité de saisir la cour africaine, à se tourner vers la justice nationale. “Notre justice est impartiale. On ne peut pas accepter que nos juridictions soient affaiblies à cause de cette adhésion à ce protocole de reconnaissance de compétence”, martèle-t-il.
Seuls neuf pays africains avaient au départ reconnu à la Cour sa compétence pour être saisie par des particuliers et des ONG
Ancien président de la Cour constitutionnelle au Bénin, l’avocat Robert Dossou regrette un recul, du fait du retrait des dirigeants africains.
Selon lui, “lorsqu’on fait un recul de ce genre, on n’est pas dans le progrès, on avoue être gêné par des condamnations prononcées contre soi. Certains Etats africains n’aiment déjà pas que leurs propres tribunaux nationaux les condamnent. Donc ce qu’ils reprochent à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est également reprochable à certaines juridictions nationales. Ceux qui se retirent, on ne peut qu’en prendre acte. Mais on comprend le message que le retrait véhicule”.
Amnesty International condamne
Fidèle Kikan, directeur exécutif d’Amnesty International Bénin voit dans ces décisions de la Côte d’Ivoire et du Bénin “une décision regrettable”. Selon le militant des droits de l’Homme, “cela est d’autant plus inquiétant encore tant sur la menace que cela fait peser sur la répression des voix dissidentes que sur ce que cela provoque en matière de création d’un environnement potentiellement crisogène”.
Un autre défenseur des droits de l’homme en Côte d’Ivoire indique qu’il y a “manifestement” une volonté des dirigeants africains de se montrer réfractaires aux décisions qui ne les arrangent pas.
Le Rwanda a ainsi décidé en février 2016 de retirer aux Rwandais et aux ONG la possibilité de la saisine de la CADHP.
La Tanzanie où siège pourtant la cour, avait aussi retiré sa déclaration en 2019. Jusqu’en septembre 2019, 40% des décisions de la cour basée à Arusha en Tanzanie concernaient ce pays, note Amnesty International.
Fatsah Ougergouz, ancien vice-président de la CADHP craint que “ces retraits n’encourage pas les autres Etats africains à accepter cette compétence et risquent même d’inciter les Etats qui l’ont déjà acceptée à retirer également leur déclaration. Dans un avenir plus ou moins proche, la Cour africaine court donc le risque de la paralysie si le réservoir de requêtes individuelles s’épuise. Les Etats concernés doivent respecter les décisions adoptées à leur encontre. Et s’ils ne font pas, les organes politiques de l’Union africaine doivent prendre leurs responsabilités”.
Fatsah Ouguergouz propose donc la prise de sanctions. Mais cela relève du domaine politique, “plus complexe”, reconnaît-il.