Amnistie de prisonniers politiques, refonte annoncée de la commission électorale, éclatement de la coalition au pouvoir, manoeuvres au sein du camp de l’ex-président Laurent Gbagbo… les événements s’accélèrent en Côte d’Ivoire avant les élections locales d’octobre mais, surtout, à deux ans de la présidentielle.
La succession du président Alassane Ouattara, élu en 2010 et réélu en 2015, attise les convoitises dans son camp comme chez ses adversaires.
Beaucoup gardent en mémoire la décennie de violence qui a culminé avec la crise post-électorale de 2010-2011 et ses 3.000 morts.
Pourquoi Ouattara a-t-il amnistié Simone Gbagbo et les politiques?
En amnistiant lundi Mme Gbagbo, condamnée à 20 ans de prison pour atteinte à la sureté de l’Etat, et 800 autres personnes afin de favoriser la réconciliation nationale, le président ivoirien a pris tout le monde par surprise. Personne ne s’y attendait alors qu’on l’accusait de pratiquer une « justice des vainqueurs » (pas de procès contre les exactions de son propre camp).
Ouattara a fait un « coup de maître », pour un observateur occidental. « Ouattara s’enlève une épine du pied », car il a amnistié en même temps les « chefs de guerre, les ‘comzones’, qui l’ont aidé à prendre le pouvoir » et qui « vivaient sous la menace de poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale ou de la justice ivoirienne ».
« Il se pose en père de la Nation, au-dessus des camps, réconciliateur ».
En revanche, pour Jean Alabro, politologue ivoirien, « l’amnistie vient tard pour l’objectif politique recherché. Ouattara n’est plus en position de force (…) il n’a plus la main. Il n’a pas pris cette décision de bon coeur ».
Pour lui, Ouattara, attaqué de toutes parts, a lâché du lest.
Sur le plan diplomatique, le président a perdu la confiance des chancelleries européennes, qui jugent son régime peu démocratique, selon un rapport confidentiel cinglant de l’UE qui a fuité en juillet.
Au niveau politique, sa coalition avec son allié le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a éclaté, le PDCI refusant le « parti unifié » perçu comme une OPA.
Sur le plan socio-économique, les classes populaires grognent. La croissance, remarquable, est inégalement partagée, selon la Banque mondiale.
Ouattara a aussi été fragilisé par les mutineries de 2017.
Le retour des pro-Gbagbo?
Le Front populaire ivoirien (FPI) d’opposition, fondé par l’ex président Gbagbo actuellement détenu à la CPI, a été marginalisé du jeu politique, parce qu’il a boycotté la plupart des scrutins mais aussi en raison de la division entre les deux tendances, celle de Pascal Affi Nguessan, qui contrôle le parti, et celle d’Aboudramane Sangaré, proche de Gbagbo, présenté comme le « gardien du temple ».
« La libération de Simone Gbagbo change la donne. Cela va permettre de remobiliser les militants. Les élections locales diront qui prendra le dessus », analyse le politologue Ousmane Zina.
« Globalement un tiers de l’électorat a été ignoré ces dix dernières années. Ouattara et (l’ex-président Henri Konan) Bédié ont eu tendance à les oublier mais ils vont revenir dans le jeu », explique une source sécuritaire.
La refonte imminente de la commission électorale devrait les faire retourner devant les urnes.
Qui sera candidat en 2020 ?
« Le jeu politique est totalement ouvert. On n’avait pas vu depuis 20 ans. Chaque parti teste ses forces et met en place de nouvelles stratégies. Pour gagner, il faut des alliances » estime Ousmane Zina.
Côté Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la coalition de Ouattara, on affirme ne pas avoir besoin du PDCI.
Au pouvoir depuis 2010, bien organisés, ils n’entendent pas céder la main. « On est confiant pour les locales. Le RHDP sera le parti le plus représentatif, la seule formation à couvrir toutes les localités du territoire », souligne un haut cadre.
Ouattara a dit vouloir passer la main aux « jeunes générations » mais peu de jeunes émergent.
Au PDCI, l’ex-président Bédié, 84 ans, est aux commandes mais des jeunes entrevoient la lumière. Situé au centre du jeu politique, il peut s’allier aussi bien avec le FPI qu’avec les soroïstes (les partisans de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale), ou encore renouer le RHDP.
Dans la ligne de son créateur Félix Houphouet-Boigny, il peut rassembler large mais doit éviter « de se replier sur le peuple baoulé » (ethnie du centre).
Point commun: FPI, RHDP, PDCI doivent encore se trouver une figure charismatique pour aspirer à la victoire en 2020. Les locales peuvent permettre l’émergence de personnalités.
Le cas Soro
Guillaume Soro est la seule figure « jeune » à déjà émerger comme un grand leader. Populaire chez les plus pauvres et chez les jeunes, il est toutefois clivant, certains Ivoiriens étant très hostiles à l’ancien chef de la rébellion.
De source proche du président de l’Assemblée nationale, il est déjà en ordre de marche pour la présidentielle, se voyant un destin à la Emmanuel Macron, au dessus des partis.
« Acteur incontournable, joker! Il est officiellement lié au RHDP mais il a un agenda personnel. Il a deux options: se présenter ou être faiseur de roi », selon Ousmane Zina.
Journal du mali