ENTRETIEN. Au-delà de cette conviction coréenne qu’il relaie, l’ambassadeur sénégalais Mamadou Guèye Faye a accepté de partager tous les ressentis de la Corée sur l’Afrique mais aussi en quoi ce pays peut en être source d’inspiration.
Propos recueillis par Malick Diawara
Au moment où les relations économiques, politiques et culturelles se développent de plus en plus entre l’Afrique et l’Asie, les témoignages sont rares qui peuvent véritablement permettre de comprendre comment ces deux continents, naguère au même niveau sur le plan économique, se ressemblent, se distinguent et peuvent s’inspirer l’un l’autre. En remontant les sentiers de l’histoire à partir du XIXe siècle, on constate d’abord que l’Afrique et l’Asie ont ceci de commun qu’elles ont subi les affres de la colonisation. Celle-ci a été soit française, soit britannique, soit japonaise. A la veille de la vague d’indépendance qui a caractérisé le Continent dès 1956 avec, pour ouvrir le bal, la reconnaissance de la souveraineté internationale du Maroc et de la Tunisie suivis du Ghana, de la Guinée, des leaders des mouvements d’émancipation africains et des jeunes hauts responsables asiatiques ne se sont-ils pas rencontrés à Bandung, en Indonésie, dans une conférence qui a posé les bases de la doctrine du non-alignement dans un monde alors bipolaire entre l’Est et l’Ouest, entre la sphère occidentale et les pays derrière le rideau de fer, entre pays capitalistes et pays socialistes ou communistes ?
Nkrumah pour le Ghana, Chou en Laï pour la Chine, Sukarno pour l’Indonésie, Nehru pour l’Inde, Nasser pour l’Egypte, Aït Ahmed pour le FLN algérien, Sihanouk pour le Cambodge, entre autres, ont posé en ce mois d’avril 1955, les germes du courant d’idées qui va animer la vie et le positionnement de beaucoup de pays africains et asiatiques dans les années 60 et 70. Non-alignement et coexistence pacifique ont ainsi marqué le vocabulaire de pays désormais qualifiés de « tiers-monde » en référence à une expression utilisée par l’économiste et démographe français Alfred Sauvy dans une chronique intitulée « Trois mondes, une planète » publiée dans l’édition de L’Observateur du 14 août 1952. En guise de chute, Sauvy avait écrit : « Car enfin ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut lui aussi être quelque chose ».
Au regard de tous ces éléments, le cas d’un pays comme la Corée ne peut qu’être emblématique de ce que l’Asie et l’Afrique peuvent poser en termes d’échanges et d’inspiration mutuelle. Faut-il le rappeler : des troupes éthiopiennes envoyées par l’empereur Haïlié Sélassié 1er ont combattu aux côtés des Sud-Coréens pendant la guerre de Corée avant que les accords de Pan Mun Jom de 1953 ne scellent un armistice avec le 38e parallèle
En l’occurrence donc, la Corée peut utilement être servi par le regard d’un homme d’expérience comme Mamadou Guèye Faye en sa qualité d’ambassadeur bien sûr mais aussi et surtout d’observateur averti des enjeux politiques, économiques, stratégiques qui se sont joués sur plusieurs terrains d’opérations où l’ancien officier de l’armée sénégalaise et des forces des Nations-Unies qu’il est a servi : Irak et République démocratique du Congo, entre autres. En guise d’illustration : cet ancien du Prytanée militaire Charles N’Tchoréré de Saint-Louis devenu général de Corps d’armée, Haut-Commandant de la Gendarmerie et Chef de la Justice militaire du Sénégal, s’est distingué à Goma comme médiateur désigné de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco). En décembre 2013, il a réussi à faire entendre raison au mouvement M23 qui occupait Goma, à l’est de la RDC, et ainsi permettre le retour de la Police congolaise dans une ville qu’elle avait fuie sous la pression de ce mouvement composé d’anciens rebelles tutsi congolais qui avaient été intégrés dans l’armée de la RDC en 2009, à l’issue d’un accord de paix avec Kinshasa. Ceux-ci s’étaient mutinés par la suite, estimant que le gouvernement de la RDC n’avait jamais pleinement respecté ses engagements. En novembre 2013, pendant deux semaines, le M23 avait ainsi occupé la ville de Goma, dans le Kivu. Grâce à la médiation qu’il a mise en place avec le concours conjugué de pays africains et de la Monusco, la rébellion avait accepté de se retirer de Goma, en échange de l’ouverture de négociations par le Joseph Kabila alors président de la RDC. Aux questions du Point Afrique concernant les rapports de l’Afrique et de la Corée, voici les réponses qu’il a bien voulu nous donner.
Le Point Afrique : Quelle a été votre première impression quand vous avez débarqué en Corée ?
Mamadou Guèye Faye : Lorsque je suis arrivé en Corée, « le pays du matin calme », les deux aspects qui m’ont le plus frappé sont l’ordre et la discipline qui règnent partout, sans oublier la propreté, dans les rues comme les marchés, les bâtiments officiels et même les lieux de loisirs comme les parcs publics ou grandes surfaces commerciales, généralement davantage exposés aux nuisances de toutes sortes. L’on peut également mentionner la grande discrétion des Coréens, qui fait qu’ils vous regardent rarement dans les yeux, et leur politesse qui se manifeste, par exemple, dans les commerces par la jonction des deux mains pour prendre ou remettre votre carte bancaire et/ou une marchandise achetée, ainsi que dans la rue où l’on entend, très rarement, des bruits comme des klaxons intempestifs ou de la musique diffusée par des haut- parleurs.
J’ai été frappé par l’entreprenariat, qui se traduit par exemple par le nombre impressionnant de restaurants, pour la cuisine traditionnelle coréenne comme pour la gastronomie internationale, surtout dans une rue comme MyeongDong (où est localisée notre Ambassade), qui est réputée pour ses boutiques de cosmétiques attirant chaque jour plusieurs dizaines de visiteurs. J’ai remarqué que les Coréens aiment tellement travailler que même les personnes âgées trouvent à s’occuper !
Pour un étranger, la Corée du Sud est un pays fascinant, avec une société profondément traditionnelle, mais en même temps résolument tournée vers l’avenir et la modernité, cela rappelle la théorie de l’ex-président du Sénégal Léopold Sédar Senghor sur l’enracinement et l’ouverture comme fondements de la civilisation de l’Universel.
Quelle image avez-vous perçu que les Coréens ont de l’Afrique ?
D’une manière générale, j’ai l’impression que les Coréens, surtout la frange la plus âgée de la population, à l’instar de beaucoup d’autres peuples, ont une vision biaisée de l’Afrique : il est vrai qu’ils ont, peut-être, l’excuse de la distance, et le fait que pendant des décennies, l’Afrique a été présentée au monde entier comme le continent de tous les maux. Cependant, l’ouverture, depuis quelques années, de représentations diplomatiques et consulaires, de part et d’autre, et par conséquent l’action de celles-ci pour une meilleure connaissance mutuelle, a fortement contribué à infléchir tous les préjugés qui existaient.
Politiquement parlant, l’Afrique est considérée comme un fidèle partenaire de la Corée, et la convergence de vues sur certains sujets multilatéraux a, depuis très longtemps, renforcé les liens existants. Comme vous le savez, des circonstances historiques malheureuses (la guerre de Corée 1950-1953) ont conduit à la participation de troupes éthiopiennes sur le sol coréen, et ce fait a créé un sentiment de reconnaissance encore vivace. Dans le cadre de ses initiatives actuelles pour l’instauration d’une paix définitive dans la péninsule, et même avant quand la situation était plus difficile, la Corée du Sud sait pouvoir compter sur l’Afrique, et la récente visite de hautes autorités comme le Premier Ministre M. Lee Nak-yon (en 2018) et le Ministre des Affaires étrangères, Son Excellence Madame Kang Kyung-wha (en 2019) symbolisent, plus que tout, l’intérêt politique que la Corée accorde à l’Afrique, en attendant, peut-être, un prochain voyage du Président Moon Jae-in qui serait la suite logique et le couronnement de ce déploiement diplomatique. Je rappelle, à ce propos, que le Président Macky Sall a été le premier Président africain que le Président Moon a eu à rencontrer, c’était à New York le 19 septembre 2017, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, alors que le Sénégal occupait un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité.
Source: lepoint