Depuis l’annonce des présidents français et ivoiriens sur la naissance de la nouvelle monnaie ouest africaine qui va remplacer le franc CFA, les réactions des experts se multiplient. L’Eco sera-t-il différent du CFA ? Qu’est ce qui va changer ?
L’économiste et écrivain sénégalais Ndongo Samba Sylla n’est pas convaincu que l’Eco sonne le glas du CFA: “Non, le franc CFA n’est pas mort. Macron et Ouattara se sont seulement débarrassés de ses atours les plus polémiques”.
Dans un thread sur twitter, il explique pourquoi.
L’économiste et homme politique ivoirien, Mamadou Koulibaly ne jubile pas à l’annonce des deux chefs d’Etat.
Selon lui, le CFA n’est pas mort, puisque ce matin, à Dakar, à Ouaga, à Lomé, les gens continuent d’utiliser le CFA et pourront l’utiliser encore pendant longtemps.
“Déclarer que le CFA est mort, c’est vraiment politique, alors qu’il s’agit d’une question sérieuse, financière, monétaire. On a l’impression que pour calmer les pressions des opérateurs économiques, des hommes d’affaires qui s’inquiètent des difficultés de la zone CFA, les chefs d’État se disent “bon on va leur balancer quelque chose, ils vont s’amuser avec et puis pendant ce temps on continue”, juge-t-il.
Pour l’économiste sénégalais Felwine Sarr, c’est une étape, mais ce n’est pas la rupture qui est annoncée et ce n’est pas non plus la révolution, et il faut que les gens continuent à travailler pour avoir une autonomie monétaire absolue, fondamentale et surtout sur des questions qui sont stratégiques d’un point de vue économique : quel régime de change, quel type de parité, sur quel type de devise on le fixe, que l’on puisse aller dans le sens de ce que nous estimons mieux pour les économies de la zone.
Economiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi émet aussi des réserves.
A ses yeux, si l’ambition de quelques chefs d’État se réduit à rebaptiser le franc CFA en ECO, monnaie commune partagée par les huit pays de l’UEMOA, donc sans la puissance démographique et économique dominante, le Nigeria, et sans la deuxième économie ouest-africaine, le Ghana, autant faire des économies et arrêter de distraire les populations par des annonces contradictoires.
“La menace la plus importante à la réussite du projet de monnaie unique est aujourd’hui l’absence de personnalités politiques fortes, chefs d’État et dirigeants d’organisations régionales, qui essaient de “vendre”, la monnaie unique ouest-africaine aux populations avec conviction et passion. Oui à un projet crédible de monnaie unique pour toute l’Afrique de l’Ouest. Non à une énième démonstration éclatante de la légèreté avec laquelle des décisions cruciales pour l’avenir d’une région et de ses populations sont prises”, conclut-il.
L’économiste togolais Kako Nouboukpo salue la création de la nouvelle monnaie mais appelle à la vigilance.
Le Sénégalais Demba Moussa Dembélé pense que “Ouattara est un cheval de Troie pour la France dans la CEDEAO”.
A ses yeux, l’accord va peut-être changer le nom du franc CFA mais la servitude monétaire va continuer.
“En gardant un taux de change fixe avec l’Euro les banques centrales africaines vont mener les mêmes politiques monétaires en ayant comme objectif prioritaire la lutte contre l’inflation, comme la BCE. Donc, que les réserves de change quittent Paris pour aller ailleurs ne change rien pour les pays africains. En fait, l’accord signé entre Ouattara et Macron va perpétuer le même système sous une forme « rénovée ». C’est un très mauvais coup porté contre le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. La lutte continue contre la servitude monétaire et la tutelle de la France”, explique-t-il.
Co auteur du livre L’arme invisible de la Françafrique: Une histoire du franc CFA avec Ndongo Samba Sylla, Fanny Pingeaud pense que l’annonce de Macron et Ouattara “tue le projet de monnaie unique de la Cédéao”.
franc CFA « L’histoire tend à montrer que la France ne lâche du lest en Afrique que quand les tensions montent et que le risque de “tout perdre” devient trop fort. » (Extrait de “L’arme invisible de la Françafrique”). On y est : une pseudo réforme pour préserver le système.
BBC