Le moins que l’on puisse dire c’est que la CEDEAO prend très au sérieux la crise qui secoue actuellement notre pays. En témoigne l’arrivée aujourd’hui d’une délégation de très haut niveau (le terme n’est pas fort) composée du président du Niger, Issoufou Mahamadou ; du président du Nigeria, Mohamed Buhari ; du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara ; du président du Ghana, Nana Akufo Addo ; du président du Sénégal Macky Sall. Ils arrivent, cinq jours à peine après la fin de la deuxième médiation conduite par l’ancien président nigérian, Goodluck Johnatan. Le programme sera mené au pas de charge. Ils rencontreront le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita ; puis l’imam Mahmoud Dicko et le comité stratégique du M5-RFP ; enfin une synthèse et un communiqué final sanctionneront les rencontres.
Les chefs d’État viennent à Bamako afin de parachever le travail de la médiation de la semaine dernière et surtout de pousser à l’opérationnalisation rapide des propositions. Ils demanderont au M5-RFP d’accepter les offres afin de sortir le Mali de cette impasse qui inquiète au-delà de nos frontières. On sait que le M5 avait refusé les résultats de la médiation de Goodluck accusant celui-ci d’être passé complètement à côté des problèmes. Les chefs d’État auront à cœur de convaincre le M5 de mettre le Mali au-dessus de tout et à l’abri de soubresauts dont il n’a pas besoin. Il faut rappeler que c’est la troisième mission de la CEDEAO dans notre pays en un mois. Comme offre politique, le Président de la République n’est pas demeuré en reste. Lors de son adresse à la Nation, le président de la République avait proposé un accord politique triennal pour le rassemblement national.
On peut être tenté de dire que la CEDEAO est un habitué du Mali. En 2012, date du coup d’État infâme, c’est la CEDEAO sous la présidence d’Alassane Dramane Ouattara qui a remis le pays sur les rails de l’ordre constitutionnel. Cela a permis la Transition que l’on sait avec à la clé les élections générales. Mais déjà, tous les observateurs sont unanimes à reconnaître que le pays n’a jamais pu recouvrer la plénitude de ses moyens. La crise au nord de notre pays qui s’est amplifiée après le coup d’État avec l’occupation de toute la partie septentrionale jusqu’à Konna s’est métastasée tel un cancer. Aujourd’hui la région de Mopti et une partie de la région de Ségou sont en proie à des tueries inter-ethniques et à un djihadisme rampant (un euphémisme). Les points de fragilité sont connus et ils sont nombreux au point de placer le pays au bord de la rupture.
Parmi les nombreux griefs du M5 figurent les problèmes de gouvernance et d’impunité. A écouter l’imam Dicko, le gros changement attendu du pouvoir se situe à ce niveau. Et d’énumérer les « blindés en cartons », le scandale des avions cloués au sol, des engrais frelatés, de l’instabilité des équipes gouvernementales, de la présence des miliciens armés qui font la loi, des affrontements meurtriers entre populations civiles, de l’absence de l’Etat sur une bonne partie du pays, de la corruption, de l’immixtion de la famille dans la gestion de l’État, etc. Ce discours de Dicko a vite trouvé preneur. La dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase au point de mettre le pays sens dessus-dessous concerne les dernières législatives. Outre l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a « spolié » des élus de leurs voix au profit de personnes réputées proches du RPM, il y a eu des décisions qui ont pour le moins heurté les Maliens. Il s’agit de l’élection de Moussa Timbiné comme président de l’Assemblée nationale dans des conditions pour le moins rocambolesques et de la nomination d’Issiaka Sidibé, précédemment président de l’Assemblée nationale, à la tête de la Haute Cour de Justice. Au sein de l’opinion, certains ont vite fait d’accuser Karim Kéita d’avoir manœuvré pour que ce soit Timbiné qui assure la charge de Président de la République en cas de vacances du pouvoir ou que ce soit son beau-père qui soit chargé des dossiers au cas où il y aurait des poursuites contre responsables. Mieux ou pire, selon certains manifestants, ce qui s’est passé à la Cour constitutionnelle constituait juste une mise en jambes dans la perspective de l’élection présidentielle de 2023 où Karim Kéita devrait passer haut la main, sans coup férir.
Les chefs d’État ne viendront pas soigner toutes les plaies de ce grand corps malade qu’est devenu le Mali. Mais ils pourront attirer l’attention des protagonistes sur la responsabilité de chacun à veiller sur le Mali. Comme le disait le président Alpha Oumar Konaré dans son discours d’investiture du 8 juin 1992 : « Notre pays est aujourd’hui secoué de convulsions, ceci est normal pour un grand malade, mais ceci est encore signe de vie ».
Aly Kéita
Nouvelle République