A l’issue de leur premier sommet conjoint qui s’est tenu ce lundi 30 juillet à Lomé, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Afrique occidentale et centrale ont décidé de mutualiser leurs forces pour faire face aux différentes menaces sécuritaires qui planent sur la région. Bien que les risques soient réels, il reste à attendre la traduction en actes des engagements pris, lesquels ont un air de déjà-vu.
Aux défis communs, des réponses communes ! C’est l’état d’esprit qui qui a prévalu lors du premier sommet conjoint des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et leurs pairs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) qui s’est tenu, ce lundi 30 juillet 2018 à Lomé au Togo.
Pour ce premier sommet inédit des deux organisations d’intégrations sous régionales, l’objectif visé était de créer les conditions d’une paix durable et d’un environnement sécurisé dans l’espace commun. A la fin du sommet et sur la base des travaux en amont balisés par les experts ainsi que les ministres des Affaires étrangères et ceux de la sécurité de la CEDEAO et de la CEEAC, les chefs d’Etat ainsi que les responsables des délégations mandatés dans la capitale togolaise ont passé en revue la situation sécuritaire générale dans les deux régions et ont relevé, « les risques créés par la montée des défis sécuritaires, notamment en ce qui concerne le terrorisme, les trafics d’armes, d’êtres humains et de drogue, le blanchiment d’argent et la cybercriminalité ».
Afin de mieux faire face ensemble aux défis sécuritaires, ils ont souligné la nécessité d’une coopération plus renforcée et effective entre les deux communautés, et dans cette perspective, les 15 pays de la CEDEAO et les 11 de la CEEAC ont décidé « d’avoir une vision partagée des menaces et une approche commune des solutions à y apporter ». Ainsi, ils ont adopté la Déclaration de Lomé sur la paix, la sécurité, la stabilité et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent dans les espaces de la CEDEAO et de la CEEAC.
« Au titre de la promotion de la paix et de la stabilité, les chefs d’Etat et de gouvernement s’engagent à coopérer pour prévenir les conflits, promouvoir la paix et la stabilité dans les deux régions à travers notamment la mise en place et le renforcement, aux niveaux national et régional, de mécanismes d’alerte précoce et de réponse rapide aux crises impliquant la société civile, les leaders d’opinion, les femmes, les jeunes et les acteurs étatiques. Ils condamnent les actes violents commis notamment dans le cadre des crises internes visant à déstabiliser les Etats et tendant à remettre en cause les frontières nationales. Les Chefs d’Etat s’engagent également à adopter, lors de leur prochain Sommet, un cadre régional portant convergence des principes constitutionnels au sein de la CEDEAO et de la CEEAC » lit-on dans le communiqué final publié à la fin du sommet qui s’est terminé dans l’après-midi après une journée de travaux.
Feuille de route
Afin de traduire en acte leurs engagements, une série de mesures a été annoncé dans la « Déclaration de Lomé » ainsi que dans le communiqué final ayant sanctionné le sommet qui s’est déroulée sous la présidence conjointe du président togolais Faure Gnassingbé, président en exercice de la CEDEAO et son homologue du Gabon, Ali Bongo Ondimba, qui assure la présidence de la CEEAC.
S’appuyant sur des mécanismes de coopération déjà existant entre les deux organisations notamment dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritimes avec le Centre Interrégional de Coordination (CIC) issu des décisions du Sommet Conjoint CEDEAO-CEEAC du 25 juin 2013 à Yaoundé, des négociations seront bientôt entamées, entre les Etats des deux régions, en vue de la conclusion et de la mise en œuvre des procédures d’entraide et de coopération judiciaire. A cet effet, l’accord de coopération en matière de police criminelle entre les Etats de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale devrait être signé par les ministres désignés, avant la fin de l’année 2018.
« Fortement préoccupés par la multiplication et l’étendue des conflits violents entre éleveurs et agriculteurs liés notamment aux effets négatifs du changement climatique », les chefs d’Etat ont également instruit les ministres en charge de l’agriculture, de l’élevage et de la sécurité des deux régions à engager des consultations régulières, avec la participation des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs, dans le but d’identifier les mesures pour prévenir et gérer pacifiquement ces conflits. Au titre de la prévention et de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, il a été décidé « l’implication des leaders religieux et communautaires, des femmes, des acteurs du système éducatif et autres groupes concernés de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de dé-radicalisation, de réinsertion, de réintégration et de réconciliation ».
Par ailleurs, le Sommet s’est engagé à promouvoir les échanges d’informations et de renseignements entre les services de sécurité habilités de leurs Etats respectifs et à renforcer mutuellement les capacités de leurs forces de défense et de sécurité dans le domaine de la formation du personnel, des exercices conjoints, du renseignement et du respect des règles des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
Plus encore, les Etats de la CEDEAO et de la CEEAC ont convenus de « mettre en œuvre des politiques publiques et des programmes de valorisation des régions affectées par les activités des groupes terroristes, notamment par la création de pôles moteurs de croissance et de développement, générateurs de revenus en faveur de la jeunesse ».
Dans la même lancée et toujours au titre des réponses communes, les chefs d’Etat se sont engagés à soutenir l’investissement public et privé dans tous les secteurs productifs pour une croissance inclusive afin de lutter contre la pauvreté.
Des engagements en attendant des actes
Des engagements donc en attendant des actes et pour mieux s’assurer la mise en œuvre des mesures annoncés, des mécanismes de coordination et de suivi ont été décidés notamment la création d’un comité ministériel ainsi que l’institutionnalisation du Sommet conjoint.
Le Sommet de Lomé a été également l’occasion de plaider pour un appui de la communauté internationale aux efforts des régions dans la résolution de certains conflits et la prise en charge de certains défis comme la situation en Libye, dans le Bassin du Lac Tchad, au Sahel mais aussi en RDC ainsi que les enjeux climatiques et la crise migratoire. Des questions qui ont un air de déjà-vu d’autant qu’elles sont traitées dans d’autres plateformes comme l’UA, ce qui risque de multiplier les interventions et donc de diluer l’efficacité de l’effort pour une réponse commune aux défis qui affectent les deux régions. C’est d’ailleurs l’un des aspects qui laissent assez circonspects certains spécialistes des questions sécuritaires et de développement, celle de la capacité des Etats à honorer leurs engagements.
Bien que les menaces soient réelles et la mutualisation des efforts comme l’une des alternatives les plus appropriées, l’absence de véritable intégration dans certaines zones et la rivalité entre certains pays malgré la montée des risques, sont de nature à hypothéquer cette ambition commune. L’absence au Sommet de Lomé de certains leaders à l’image de Paul Biyadu Cameroun, Paul Kagamé du Rwanda ou Joseph Kabila de la RDC, en dit long bien que leurs pays aient été dûment représentés.
Afrique la tribune