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Cachez ce ressentiment anti-français que je ne saurais voir : le cas de l’Afrique de l’Ouest

Longtemps, le ressentiment anti-français ouest-africain a été considéré, selon, comme l’apanage d’étudiants agités ou de réseaux sociaux peu représentatifs. Une parole décomplexée, résiduelle, qui ne pouvait être le reflet de l’opinion publique tant les liens entre la France et ses anciennes colonies sont certes pavés d’ambiguïtés, mais d’amitiés, malgré tout. Affirmer cette amitié est-elle performative ? Cela reste à (é)prouver désormais face à la contestation de la France sur de nombreux sujets : décolonisation inachevée, franc CFA, opération Barkhane… Les griefs s’accumulent. Paris a semblé un temps désarçonné avant de reprendre l’initiative de manière parfois incontrôlée : plébiscite d’« une réforme ambitieuse » du franc CFA, convocation des chefs d’État du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) à Pau. Dans tous les cas de figure et même si la fin du CFA était attendue, les paroles et les actions de la France sont scrutées. Elles génèrent frustrations et ressentiments et participe d’une ambivalence structurelle : le rejet et le besoin de la France, savamment entretenus par des chefs d’État africains en mal de crédibilité sur le plan national. Toutefois, dans un contexte de contestation sans précédent, l’étau se resserre sur l’Hexagone. Ce cycle ne traduit-il pas une bascule géopolitique nécessaire, une demande de redéfinition des relations internationales sur des bases égalitaires ?


Enterrement du franc CFA : la divine surprise

Février 2019. Sur le perron de l’Élysée, le président ivoirien, Alassane Ouattara, lors d’une conférence de presse improvisée, appelait de ses vœux que « cesse le faux débat sur le franc CFA, qui est une monnaie solide, bien gérée et appréciée ».  Décembre 2019. À Abidjan cette fois, où il recevait son homologue français, Emmanuel Macron, le même président, Alassane Ouattara, a annoncé la fin du franc CFA, prochainement remplacé par l’éco. La séquence du 21 décembre était presque parfaite. D’autres annonces s’en sont suivies : retrait des réserves de change du Trésor public français, transfert du compte d’opération vers les banques centrales et « retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’UEMOA ». Si de nombreuses questions demeurent – supposant un très haut niveau de technicité sur des points tels que le maintien de la parité fixe éco/euro, la création éventuelle d’un panier monétaire ou l’adoption de l’éco par l’ensemble des pays membres de la CEDEAO –, l’évolution sur ce dossier, en quelques mois, est pour le moins spectaculaire. Rappelons qu’Emmanuel Macron, qui pose sur la photo, interpellé sur cette question en marge de son discours prononcé à Ouagadougou en novembre 2017, avait soutenu que c’était là un « non-sujet » pour la France. Pourtant en quelques mois, on observe que « le faux débat », le « non-sujet » s’est imposé dans les agendas respectifs des chefs d’États africains et français. La pression conjuguée des intellectuels, des jeunes et des sociétés civiles aura eu raison de ce changement.

Si les processus électoraux africains sont souvent présentés comme des artefacts démocratiques, la lutte et l’opiniâtreté des mouvements populaires auront démontré que la démocratie ne saurait être réduite aux seules séquences électorales. Toutefois, ne feignons pas de déconsidérer que la France, de plus en plus conspuée et concurrencée par de nouvelles puissances comme la Russie ou la Chine, y avait également un sérieux intérêt géopolitique voire géoéconomique.

La parole lénifiante du président Emmanuel Macron : le « colonialisme a été une erreur profonde, une faute de la République »

Ce n’est pas un hasard si la fin du franc CFA a été annoncée conjointement par les présidents Ouattara et Macron, à Abidjan. Il s’agissait de mettre en scène les ressorts d’une nouvelle relation et de mettre symboliquement un terme aux liens de dépendance – même si ces derniers restent encore nombreux. Le président français, toujours dans la séquence questions-réponses en marge de son discours de Ouagadougou, avait soutenu que la dénomination « franc » de cette monnaie ne devait pas être « obsessionnelle ». « Sur ce sujet, avait-il ajouté à l’adresse des étudiants burkinabés, n’ayez pas une approche bêtement post-coloniale ou anti-impérialiste. »  Il semble avoir ripoliné son discours depuis, ayant opté pour le changement et la coopération de sorte à endiguer la parole de quelques groupes extrémistes qui jusque-là instrumentalisaient le franc CFA pour nourrir un sentiment anti-français primaire. En effet, de nombreux « anti-CFA » ne se revendiquaient pas comme « anti-français ». La question reste celle de la temporalité. Ce changement de posture n’intervient-il pas trop tard lorsque l’on observe que l’opération Barkhane subit désormais les mêmes assauts aux relents lexicaux « dégagistes », voire conspirationnistes ? Le malaise est profond, attesté par des prises de paroles, devenues virales comme celles de Salif Keita accusant la France de collaboration avec les terroristes. La plateforme « Yéréwolo Debout sur les remparts », dont on ne connaît pas à ce stade l’audience, a appelé à manifester vendredi 10 janvier contre la présence française au Mali. Les organisateurs, souhaitant mobiliser un million de personnes, ont déclaré qu’ils « n’[étaient] pas contre les Français, mais contre la politique France-Afrique ».

À l’issue de l’entérinement de l’acte de décès du franc CFA, Emmanuel Macron a déclaré selon certains journaux que « (…) le colonialisme (…) [avait] été une erreur profonde, une faute de la République ». Mais quelle est cette faute ? La mise sous tutelle administrative ? La création de territoires d’exploitation ? La politique assimilationniste ? Les crimes commis au nom de la colonisation ? Le travail forcé ? L’idéologie colonialiste qui pourtant n’a pas toujours été univoque Si l’adage populaire avance que « faute avouée, à moitié pardonnée », la faute n’est pas clairement identifiable dans ce cas précis… Si cette parole est politique – et seules les populations seront en capacité de l’apprécier ou non –, elle ne saurait pour autant rendre compte des processus historiques qui justement ont conduit à la colonisation et reste le travail des historiens. La déclaration de Macron contextualisée, et donc plus ou moins rapportée dans son intégralité, est autrement plus intéressante : « Trop souvent aujourd’hui la France est perçue » comme ayant « un regard d’hégémonie et des oripeaux d’un colonialisme qui a été une erreur profonde, une faute de la République », ayant par la suite appelée à « bâtir une nouvelle page ». Dans cette assertion, il dénonce tout à la fois la représentation hégémonique de la France et les oripeaux du colonialisme même si on relève une faute syntaxique et si l’on ne sait si cette hégémonie est teintée des oripeaux du colonialisme ou si les deux propositions doivent être prises indépendamment. Le commentaire de texte invite à la contorsion. Si la première proposition est plausible, alors il admet et a condamné un système qui perdure jusqu’à nos jours. Il reconnaît la nécessité d’un changement de logiciel.


Lors de son discours de Ouagadougou en 2017, considéré comme fondateur par son entourage, et qui de fait nous invite à le considérer comme tel, le président français avait avancé qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Si personne n’avait été dupe de cet effet de rhétorique, il avait souhaité initier un changement dans la politique française en évitant l’écueil de ses prédécesseurs, qui tous, avaient plaidé en faveur d’un renouvellement des relations entre la France et ses anciennes colonies. Pour finir par y céder. Si en haut lieu beaucoup se sont souvent escrimés à affirmer côté français que le ressentiment anti-français n’existait pas, on ne comprend pas cette nécessité incessante de revendiquer l’écriture d’une nouvelle narration entre la France et les anciens pays de l’AOF. Ou on la comprend trop bien…

Mais entre la parole et les actes, on observe tout de même un hiatus. Ce 5 décembre, Emmanuel Macron convoquait de manière peu amène les chefs d’État du G5 Sahel à Pau pour qu’ils clarifient leurs positions, voire réaffirment leur soutien à Barkhane. Une manière de faire qui fleure le manque de respect à l’égard de ses homologues en les campant dans une position de servitude volontaire à l’égard de la France tout en alimentant de manière collatérale le ressentiment anti-français. Emmanuel Macron n’en est d’ailleurs pas à son premier fait d’armes en la matière. Lors de son discours de Ouagadougou, répondant à la question d’un étudiant sur les problèmes d’électrification, et ce tandis que Roch Kaboré, président du Burkina Faso, avait momentanément quitté la salle – sans que les raisons aient été clairement identifiées –, il lançait goguenard à son homologue : « Reste là ! » Enchaînant aussitôt à l’adresse du public : « Du coup, il est parti réparer la climatisation », provoquant des rires hilares dans l’amphithéâtre. Un président humilié dans son propre pays devant sa jeunesse, alors que le respect à l’endroit des aînés y est un sanctuaire absolu…

Cette arrogance, cette morgue française, ce sentiment de supériorité que d’aucuns souhaiteraient voir disparaître n’est pas qu’imputable à Emmanuel Macron. Ses prédécesseurs avaient tous su se distinguer et le climax avait, sans doute, été atteint lors du discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Dakar en 2007 :  le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».

La faute du colonialisme sinon à considérer ses ramifications jusqu’à nos jours ne se niche pas que dans le comportement des gouvernants français. L’omnivisibilité des multinationales françaises (Orange, Suez, Eiffage, Bolloré, Auchan, Carrefour, pour ne citer que quelques exemples), et si désormais elles interagissent dans univers concurrentiels, agacent tout autant que les discours officiels sur l’incroyable croissance des PIB des pays de la région, sans développement tangible pour les populations.

Il y a donc tout lieu pour la France, par-delà des effets de communication, de se remettre en question et sans doute conjointement avec les chefs d’États africains, qui n’hésitent pas à jouer du double-discours. Cet effort doit être structurel et traduit en actes tangibles. Seuls le travail en commun, la confrontation des analyses, la mutualisation des informations, des savoir-faire, où bien évidemment la France conserve une expertise, permettront le basculement des mondes et que la géopolitique puisse s’écrire à partir de l’Afrique et non que l’Afrique continue à être inventée à partir de catégories d’analyses occidentales. Il en va désormais des relations entre la France et les pays ouest-africains. Dans tous les cas, côté africain, le changement est en marche. La France sera-t-elle au rendez-vous de l’histoire ? La question mérite d’être posée.

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