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Burkina Faso La chute de Blaise Compaoré

Après le printemps arabe, voici l’automne africain. Les chefs d’Etat inamovibles tremblent de subir le même sort.

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Dans la foule qui, début novembre, manifeste encore dans les rues de Ouagadougou, personne n’est dupe. Tous ont l’impression de s’être fait avoir, d’être les cocus de l’histoire qu’ils ont écrite en brûlant l’Assemblée nationale, peuplée de députés à la botte du tyran, avant de marcher par milliers sur le palais présidentiel. Depuis, ils sont devenus la cible des militaires qui leur ont confisqué le pouvoir après qu’eux, armée de va-nu-pieds sans fusils, ont chassé leur despote, Blaise Compaoré, qui, au terme de vingt-sept ans de pouvoir, voulait une nouvelle fois trafiquer la Constitution pour rester président à vie.

En trois jours, le pays a connu trois présidents. Après la fuite de Blaise, comme l’appelaient affectueusement ses pairs africains et ses amis français, le chef d’état-major, le général Honoré Traoré, se proclame chef de l’Etat à la place, comme le stipule la Constitution, du président de l’Assemblée nationale, introuvable à ce moment-là. Mais les manifestants estiment le général trop proche de Compaoré. Surgit alors un autre officier, quasi inconnu, se présentant comme l’homme providentiel. Le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida est apparu quelques heures avant, au milieu des manifestants surpris. « Votre armée nationale a entendu votre appel et nous sommes là pour vous dire que le pouvoir est désormais au peuple. Le peuple va décider désormais de son avenir. Sachez que l’armée est avec vous », déclare-t-il avec solennité. Quarante-huit heures plus tard, il faisait tirer par sa troupe des coups de semonce pour dégager les manifestants de la radiotélévision et de la place de la Nation qui, selon ses propres paroles deux jours auparavant, était « désormais le siège du gouvernement du Burkina Faso », c’est-à-dire celui du peuple souverain ! De quoi donner des idées aux opportunistes.

Dimanche 2 novembre, devant le siège de la télévision, qui ne fonctionne plus, des manifestants attendent Saran Sérémé, dirigeante d’un parti d’opposition : elle doit annoncer qu’elle va devenir la présidente provisoire de l’Etat, car le peuple l’attend ! Arrive alors un 4 x 4. En descend un général à la retraite, Kouamé Lougué, cité dans la rue les jours précédents ; il s’engouffre dans le studio pour annoncer qu’il prend, lui aussi au nom du peuple, les fonctions de président… devant les caméras éteintes ! Il est à peine parti que Saran Sérémé déboule à son tour, sans parvenir à fendre la foule. C’est pour ramener le calme et occuper les lieux que l’armée se pointe alors et effectue des tirs d’intimidation.

 

Avec Internet, impossible de tirer sur des manifestants sans se mettre à dos la communauté internationale

Depuis, l’opposition demande le retour du pouvoir aux civils qui, en début de semaine, ne l’avaient pas récupéré. Car pour les manifestants, le lieutenant-colonel Zida est un homme du sérail, celui du régime déchu. Pis, il est à la tête, comme commandant en second du régiment de sécurité présidentielle, de l’unité d’élite qui protégeait Compaoré. Mille hommes divisés en cinq groupes de commandos, mieux formés et payés que les soldats de l’armée régulière, qui ont exfiltré Compaoré en Côte d’Ivoire grâce à l’aide de la France, plutôt que d’être entraînés dans sa chute. Avec Internet et les téléphones portables, impossible aujourd’hui de tirer sur des manifestants sans se mettre à dos la communauté internationale. Fin manœuvrier, l’ex-président savait qu’un bain de sang ne sauverait pas son fauteuil. Surtout, il n’avait pas vu la menace grandir. Ce n’était pourtant pas la première fois que les Burkinabés descendaient dans la rue.

En 2011, les étudiants incendient des commissariats et des gouvernorats. Ils saccagent les domiciles des ministres de l’Education et des Affaires étrangères. Puis c’est au tour de l’armée, en particulier de jeunes recrues, de se mutiner. Au départ, à propos de la condamnation par un tribunal civil d’un soldat qui, avec quatre camarades, avait tabassé un homme accusé de faire des avances à sa femme. Cette banale affaire de mœurs se transforme en rébellion contre la hiérarchie. Les condamnés sont libérés de la prison militaire par leurs collègues armés. Une quinzaine de stations-service et des commerces sont pillés. Les soldats veulent voir leur solde augmenter, accusant les gradés et les dignitaires du régime de s’en mettre plein les poches. Le maire de la capitale est blessé ; son épouse, molestée. Les mutins pillent ensuite la maison du ministre de la Défense et, dans une caserne, l’appartement du fidèle chef d’état-major de Compaoré.

 

En octobre dernier, François Hollande demande au “cher Blaise” de ne pas réviser la Constitution

Il y a trois ans, l’alerte était déjà passée au rouge quand des soldats d’élite du régiment de sécurité présidentielle avaient rejoint la rébellion au sein même du Palais. Motif de leur courroux : une indemnité de logement promise et non payée. En fait, une contestation de plus contre un régime autoritaire qui, peu à peu, se délite sans que le sommet du pouvoir n’en prenne la mesure. A Paris, on s’en rend compte. Le 7 octobre dernier, François Hollande demande au « cher Blaise » de ne pas réviser la Constitution. Mais Compaoré estime que la lutte contre le terrorisme au Sahel le conforte. Il s’appuie chez lui sur quelques fidèles, en particulier le général Diendéré, l’homme, dit-on, le mieux renseigné du pays, qui connaît tous les secrets du chef de l’Etat. Y compris le plus important, « le péché originel », l’acte fondateur qui lui a permis d’arriver au pouvoir le 15 octobre 1987, le jour où son ami, le jeune président Thomas Sankara, capitaine de la même promotion, a été assassiné à 37 ans avec une douzaine de ses proches dans les bureaux de l’état-major de la révolution à Ouagadougou. Depuis qu’il est devenu président en 1983 après un coup d’Etat mené par de jeunes officiers, Compaoré est son lieutenant. Mais le plus populaire, celui que la jeunesse compare à Patrice Lumumba, le père de l’indépendance du Congo belge, assassiné en 1961 à 35 ans, c’est bien Sankara.

Pour changer les mentalités, il change le nom de son pays : la Haute-Volta, l’un des pays les plus pauvres de la planète, devient le Burkina Faso, la « patrie des hommes intègres » en français. Sankara impose à ses ministres, et à lui-même, de rouler en R5 et de porter des tenues en coton tissées sur place plutôt que des costumes occidentaux. Dans les quartiers, les comités de la révolution veillent à maintenir l’esprit anti-impérialiste. A la tribune des Nations unies, il dénonce l’apartheid et demande aux pays africains de ne pas payer leur dette. Son discours dérange et, au fil du temps, une rivalité s’est instaurée entre les deux capitaines. « Le jour où vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’Etat contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car ce sera trop tard », avait-il confié à des journalistes. Dès lors, Blaise Compaoré est soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat de Sankara, un sujet encore tabou au Burkina. Seule sa veuve, Mariam, essaie de savoir la vérité.

Côté français, à l’époque, on ne cherche pas à en savoir plus. Sankara dérangeait, y compris chez ses pairs africains qui ne tenaient pas à avoir la révolution chez eux. Depuis, Compaoré, plus retenu que son prédécesseur, est passé maître dans la négociation des conflits de la région. Un pompier pyromane, affirment ses détracteurs, que l’on retrouve derrière la rébellion du nord de la Côte d’Ivoire, pendant les guerres du Liberia, de la Sierra Leone, et plus récemment du Mali, accueillant les mouvements touareg. Pour Paris, il devient indispensable avec l’arrivée d’Al-Qaïda dans la région et les premières prises d’otages au Niger sur le site d’Areva. Nicolas Sarkozy donne son feu vert, grâce à la bénédiction de Blaise, pour l’implantation d’une unité du Cos, le commandement des opérations spéciales, au Burkina. A partir de là, les commandos français peuvent être projetés jusqu’au nord du Mali, où ils sont en opération. A Ouagadougou, ils sont plus discrets, prêts à protéger et à évacuer la communauté française si elle était menacée. Tandis que Washington appelle l’armée à transférer immédiatement le pouvoir aux autorités civiles, Paris apparaît moins directif.

 

Un automne africain prêt à se répandre dans les autres pays du pré carré français

La révolte des Burkinabés pourrait être le début d’un automne africain, à l’image du printemps arabe, prêt à se répandre dans les autres pays du pré carré français. Comme Blaise Compaoré au Burkina Faso, d’autres présidents semblent en effet tentés de modifier la Constitution par des artifices législatifs. En Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, chef de l’Etat depuis trente-cinq ans, a été « réélu » en 2013 face à un unique député de l’opposition. Six mois après la réforme de la Constitution de 2011, il a fait nommer son fils 2e vice-président, préparant non pas une succession mais une dynastie. Paul Biya, président du Cameroun, aura été président trente-six ans lorsqu’il terminera son mandat, en 2018. Idriss Déby, à la tête du Tchad depuis vingt-quatre ans, est considéré comme un cas à part. D’abord parce que la France dispose à Ndjamena de sa principale base en Afrique. Mais aussi parce qu’il est courageux, prenant la tête de ses troupes face aux rebelles qui avaient attaqué la capitale en 2008. Après avoir changé de Constitution, l’Angolais dos Santos a, lui, entamé un nouveau mandat à 72 ans. En République démocratique du Congo, personne ne sait si Joseph Kabila se représentera en 2016, après deux mandats et quinze ans de pouvoir. Dans ce cas, il faudra qu’il modifie lui aussi la Constitution. Tous observent la situation au Burkina, qui risque de se répandre comme un feu de brousse.

En tout, une vingtaine de pays pourraient être concernés, sans savoir si, à l’avenir, la France aura dans la plupart d’entre eux les facilités dont elle dispose aujourd’hui, comme au Congo-Brazzaville avec le pétrole. Son président, Denis Sassou-Nguesso, élu pour la première fois en 1979, a été trente ans au pouvoir si l’on additionne ses mandats. Une nouvelle candidature en 2016 n’est pas à écarter, alors que la Constitution interdit d’effectuer plus de deux mandats. Elle interdit aussi de se présenter à plus de 70 ans. Mais, né en pleine brousse, à 400 kilomètres de la capitale, il ne sait pas quand il fêtera son 70e anniversaire : sur le registre de l’état civil, le fonctionnaire blanc de l’époque a écrit « né vers 1943 ». Aujourd’hui, Sassou-Nguesso sourit de ce pied de nez à la colonisation qui lui permettra peut-être de se présenter encore une fois.

 

Patrick Forestier

Source: parismatch.com

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