Militant politique actif au sein des mouvements de l’Azawad au nord du Mali et ancien candidat aux législatives à Tessalit, Bay Ag Mahmoud trouve «insensé» l’appel au dialogue lancé mardi par la junte militaire, au moment où ses forces «bombardent» des positions de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il décrit comme inquiétante la situation qui prévaut dans le Nord malien, marquée par «d’intenses activités» terroristes et «des opérations d’hostilité» de l’armée malienne contre les positions de la CMA, tout en laissant les portes ouvertes à l’espoir d’un retour à la paix à travers l’application de l’Accord d’Alger.
– Le ministère malien de la Réconciliation a appelé dans un communiqué, «les frères signataires de l’accord pour la réconciliation à revenir à la table des négociations» tout en réitérant «l’attachement» du gouvernement «à l’accord de cessez-le-feu de 2014 et celui d’Alger, en 2015». Quelle lecture faites-vous de cet appel ?
Il faut d’abord que le gouvernement arrête de provoquer les mouvements. Depuis quelques semaines, les forces armées maliennes ont pris une ville qui était sous le contrôle de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Dimanche et lundi derniers, leurs avions ont bombardé des positions du mouvement à Anefif. Après de telles actions, je peux dire que leur appel n’a aucun sens.
– Après les affrontements entre l’armée malienne et les mouvements de l’Azawad, suite au retrait anticipé de la Minusma (Mission des Nations unies pour le Mali), ordre a été donné par les chefs de la CMA de cesser les opérations d’hostilités, suivi du déplacement à Bamako de médiateurs pour négocier une solution à la crise qui mine la région du nord du pays. Où en sommes-nous et y a-t-il des chances pour imposer la voie du dialogue ?
Je pense que nous ne sommes toujours pas arrivés à la phase de non-retour. Il peut y avoir des solutions à la crise. Le cessez-le-feu signé en 2014 par les mouvements de l’Azawad et le gouvernement malien a été pratiquement rompu à partir du moment où le gouvernement a pris la position de la CMA dans la région de Ber, juste après le retrait de la Minusma. Il faut rappeler qu’à la déclaration du cessez-le feu, la CMA avait sous son contrôle de nombreuses positions au nord du pays.
– Qu’en est-il des tractations engagées par les médiateurs dépêchés à Bamako ?
Pour le moment, les tractations sont au point mort. Les contacts directs entre les belligérants ont cessé depuis quelques mois.
– Dans sa déclaration, le porte-parole de la CMA a confirmé la défection de certains membres de la coordination aux groupes terroristes et mis en garde contre un ralliement de groupes de rebelles à ces mêmes organisations «djihadistes». Comment expliquer de telles situations ?
Nous n’avons pas eu écho de cette information. Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il y a un désengagement ou un manque de rigueur des garants de l’accord signé entre les parties. Chose qui pourrait pousser beaucoup de jeunes à vouloir reprendre les hostilités, peut-être même aux côtés des terroristes. Ceux qui le feront seront en situation de désobéissance à l’égard de leurs chefs et de la CMA.
– La ville de Tombouctou a été assiégée par des groupes islamistes armés, alors qu’Iyad Ag Ghali, chef terroriste refait surface et promet le pire. Qu’en pensez-vous ?
Cette situation s’explique par le fait que les terroristes contrôlaient déjà et depuis des années presque toute la région. Certainement que le pire est déjà créé autour de cette ville où il va multiplier ses actions en mettant à profit l’affaiblissement de forces de l’armée positionnées à l’intérieur de Tombouctou et un éventuel soulèvement de la population contre elles.
– Mais la ville de Tombouctou est connue comme étant un terrain de prédilection des combattants de la CMA. Comment les groupes djihadistes ont-ils pu prendre son contrôle ?
La CMA ne contrôle pas uniquement Tombouctou, mais toutes les grandes villes, appelées par certains, régions du Nord. A la date de la signature de l’Accord d’Alger, il n’y avait presque aucun sympathisant des groupes terroristes dans ces zones. Cet accord constituait un espoir pout tout le monde. Les groupes terroristes n’ont signé aucun accord avec le gouvernement, pourtant, ils se sont déployés dans la région. Maintenant, ils sont en train d’occuper les meilleures positions.
– N’est-ce pas une menace sérieuse sur l’Accord d’Alger ?
Effectivement, cet accord est sérieusement menacé depuis le coup d’Etat.
– Justement, depuis le coup d’Etat, de nombreuses voix s’élèvent de part et d’autres des belligérants contre l’Accord d’Alger alors que, de l’avis des experts, il reste la voie la plus propice à l’instauration de la paix dans la région de l’Azawad. A votre avis, pourquoi de telles positions et quel avenir a encore cet accord ?
Certes, beaucoup de voix de personnes ou entités ayant des agendas cachés se sont soulevées contre l’Accord d’Alger et son application. Je pense que c’est juste une stratégie bien élaborée qui profiterait à plusieurs acteurs inconnus. Pour la junte militaire, c’est une application intelligente de l’accord qui est évoquée. L’avenir reste incertain.
– Avec la prolifération des groupes terroristes, de bandits de routes, de trafiquants, l’avenir est aussi incertain. Est-ce le scénario du pire ?
Dans l’immédiat, nous voyons un Nord sous contrôle des groupes terroristes séparé du Sud.
– Si c’est le cas, c’est la scission qui est visée. Comment éviter une telle situation ?
Pour éviter le pire pour tout le pays, il faut appliquer dès aujourd’hui le contenu de l’Accord d’Alger. De nombreux groupes armés, qui activent dans la région du Nord, peuvent dès demain, profiter de la situation de vide engendrée en raison du retrait des troupes de la Minusma, pour prendre le contrôle des villages et même des villes.
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